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bob dylan - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : ROCKABILLY GENERATION NEWS / BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 549

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 04 / 2022

     

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM

    PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE

    BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD

     JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 549

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 21

    AVRIL / MAI / JUIN 2022

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    En avril ne te découvre pas d’un fil. Est-il vraiment obligatoire de préciser électrique. Pour cette vingt-et-unième livraison Rockabilly Generation s’est branché en triphasé, z’ont même éliminé la Terre qui normalement permet d’évacuer le surplus d’énergie, c’est un peu plus dangereux mais le rock’n’roll n’est pas une musique pépère. Donc on frôle la perfection. Sans attente plongeons sans ménagement nos doigts humides d’impatience dans le boîtier, sans même accorder ( pour le moment ) un regard à l’effigie du couvercle.

    Greg Cattez nous présente Ricky Nelson.  Peut-être le premier pionnier que j’ai vu dans mon enfance. Dans Rio Bravo, avec John Wayne, m’en souviendrai toujours, surtout du shoot d’Izarra verte, un plein verre que m’avait généreusement servi Jeannot un ami de mes parents qui nous avait invité voir le film à la télé. C’est cela le rock ‘n’roll, y a toujours d’autres trucs plus ou moins raides et voluptueux qui traînent avec. Mais revenons à Ricky. L’est pas mort comme l’amiral Nelson sur son bateau mais dans son avion qu’il avait racheté à Jerry Lou. Un étrange destin, un de ces enfants stars que les chaînes américaines s’arrachaient. Un feuilleton familial un peu gnan-gnan grand public. Tout pour ne pas devenir un rebelle. Oui mais piqué à quinze ans par la tarentule Elvis Presley il décide de devenir chanteur de rock. Le pire c’est qu’avec l’aide de papa, il réalise son rêve. Pas riquiqui en ses débuts le Ricky, malgré sa gueule d’ange propre sur lui l’a quand même Joe Maphis et James Burton sur ses premiers disques. En France l’a été un peu boudé par les premiers rockers, mais depuis sa cote est bien remontée… Greg Cattez raconte la légende, on écoute et on rêve, mieux que les photos d’archives qui l’accompagnent l’on s’attarde sur la pleine page de quarante-deux disques de sa discographie.  

    Y a pas que les amerloques qui rockent. Les néerlandais aussi. A part que le guitariste des Hi- Tombs est français. Fredo Minic est né à Issy-Les-Moulineaux. Raconte son histoire, le parcours classique, un premier groupe de copains et la montée en puissance au fil des années. Ne se prend pas pour un cador, reste humble, longtemps rythmique avant d’être lead, n’a pas l’envie de surpasser les devanciers, il apprend, il travaille, mais l’a une forte personnalité, les échecs ne l’arrêtent pas, si un groupe se débande il en projette tout de suite un autre, trouve enfin en 2007 la formule avec Hi-Tombs, une des formations de stature européenne du paysage rockabilly actuel… L’a un secret, ne fait pas de concession.                                           Y a pas que les amerloques qui ont des pionniers à la toque. Certes on en a moins, mais on a Tony Marlow. Et à lui tout seul il en vaut trois ou quatre. Zieutez ses yeux malicieux et son regard de velours sur la couve. Pas moins de quatorze pages pour résumer sa vie ès rock ‘n’roll. L’a dû naître l’année du chat car il a déjà vécu une quinzaine de vies rock ‘n’roll.   Une existence au service du rock ‘n’ roll et que serait le  rock français s’il n’y avait pas Marlow le marlou. L’est le témoin, l’est le passeur et surtout l’est le novateur. L’a tout vu, tout connu, tout embrassé. Toujours un coup en avance, toujours là où ne l’attend pas. Toujours fidèle à lui-même. Quelle que soit la formule qu’il adopte il tient la route, ne négocie pas ses virages, mais trouve immanquablement son public. Sa discographie est une revisitation du l’histoire du rock depuis le swing, les pionniers, l’early french sixties, le revival rockabilly, le son anglais, le psyché, le punk ‘n’ roll avec Alicia F… à la batterie, à la guitare, au chant, à la compo, à l’écriture. En anglais, en français et même en corse… Il y a quarante ans que cela dure, le Marlow-rock a la vie dure ! Rassurez-vous, ce n’est pas fini.

    Parfois n’y a que les amerloques qui ont le bidule dans la bicoque. L’on s’est mis à deux pour vérifier. Un article bien écrit de Julien Bollinger qui inaugure la nouvelle rubrique : Racines. Inconnus au bataillon. Oui ils sont deux, l’auteur et Bob Dunn. Avec Mister B, le copain, l’on est allé illico annihiler notre ignorance ( honteuse ) sur You Tube, imitez-nous, tout ce que raconte Julien est vrai, Ce Bob Dunn est le premier à avoir traficoté sa guitare pour l’électrifier, un sacré bricolo, mais ce n’est peut-être pas le plus important, le fameux Crossroad de Robert Johnson c’est lui, sidérant, une vidéo de vingt minutes Bob Dunn’s Vagabonds Steel guitar 7 songs 1939. Un feu d’artifice. Le passage du blues au country, la gestation du boogie, la concomitance avec Django Reinhart, et bien d’autres encore, prêtez l’oreille, les plans se suivent et ne se ressemblent pas. Un trésor, une découverte. En plus Bob Dunn aimait beaucoup cette Izarra jaune que les américains appellent whisky.

    Là, les amerloques peuvent aller se cuire un œuf à la coque. Ce numéro de Rockabilly Generation ne sera pas terminé avant que le coq français n'aura pas chanté trois fois. Tout comme pour Tony Marlow, Kr’tnt a souvent présenté The Atomics en concerts. Peu de disques, n’ont enregistré sous leur propre nom qu’un EP de quatre titres. L’on écoute parler Raph, le guitariste, un de mes préférés, très électrique, dans ses mots défile toute l’histoire du rockabilly français cette génération boostée par l’apparition de Brian Setzer, qui se perpétue et résiste sans faille, constituant l’épine dorsale du public rock national. L’on retrouve chez Raph cet amour invétéré pour les pionniers et cette modestie consubstantielle qui caractérise la majeure partie des musiciens de rockabilly. Pas de frime, des actes, une obstination et une persévérance qui éblouissent.

    Suivent les chroniques habituelles, nouveautés, concerts, un backstage consacré aux Spunyboys, deux annonces, une qui serre le cœur, Help for the Wise Guys in Ukraine, et Dans la chaleur de Johnny une boutique spécialisée dans des objets Johnny Hallyday, tenue par un fan Cédric, et sise Rue Magenta à Epernay ( 51 ).

    Superbe numéro. L’aventure Rockabilly Generation menée de main de maître par Sergio Kazh continue. Papier glacé, mise en page attrayante, documents d’archives, des interviews qui libèrent la parole, et des photos à vous arracher les yeux. C’est Sergio Kazh le coupable.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

                                                            

    Baby Gillespie

     

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             Quand on voit la photo de Bobby Gillespie qui orne la jaquette de Tenement Kid, son autobio récemment parue, on comprend tout. Enfin, c’est une façon de parler. On comprend surtout que Bobby est un éternel adolescent, ce que confirme l’écoute des albums de Primal Scream. Sa voix n’a jamais mué. Il est resté le Baby Gillespie de son adolescence, tel qu’on le voit, là, sur cette photo, en train de chevaucher une petite moto de ville. On serait presque tenté de penser qu’il est un vampire, au même titre que Jean-Michel Jarre qu’on croisait à une époque sur les bords de Seine, sidérant de jeunesse éternelle. Baby Gillespie aurait très bien pu jouer le rôle d’Adam dans l’excellent Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush, un film nocturne qui nous emmène sur les traces de Brian Jones à Tanger, quand bien même le pauvre Brian Jones n’est pas un vampire, comme on sait. Par contre, on a vu en 2020 un Baby Gillespie sidérant lui aussi de jeunesse éternelle danser comme un vampire lors du tribute à Rowland S. Howard à la Maroquiqui, et si on examine la petite photo qui se trouve sur le rabat de jaquette en troisième de couve, on se voit contraint d’admettre que Baby Gillespie n’a pris aucune ride en quarante ans. On remarque juste l’éclat noir de son regard, qui est bien sûr l’apanage des vampires. N’allez surtout pas croire que la condition du vampire est un privilège. Il en va du fil des siècles comme du fil des ans, on finit par en avoir vraiment marre. Ce qu’a très bien compris Jarmush, puisqu’il fait mourir, oui, mourir, Marlowe, le vieux vampire que joue John Hurt dans son film. Ras le bol de l’éternité. Seul un vampire supérieurement intelligent peut comprendre ça.

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              Ce book vaut le temps qu’on lui consacre pour deux raisons principales : Baby Gillespie y narre une éducation musicale parfaite, et d’autre part, il nous narre l’histoire des Mary Chain telle qu’on a toujours rêvé de la lire, racontée de l’intérieur, du temps où Baby G battait le beurre pour les frères Reid.

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             Si Flaubert avait grandi en Écosse au XXe siècle, il aurait pu écrire Tenement Kid sur le modèle de l’Éducation Sentimentale. Non pas que Baby G soit un grand écrivain, mais il donne beaucoup d’allure à ses convictions, d’autant plus d’allure qu’il grandit dans un milieu pauvre et fortement politisé. Il dit sa fascination pour Fidel et le Che qui ont viré les Américains et la mafia de Cuba. Il va même jusqu’à prétendre, et il a raison, que Fidel et le Che ont démarré les sixties trois ans avant les Beatles. On a tous eu des posters du Che dans nos chambres. Rien de surprenant à cela, le Che arborait non seulement une allure de rockstar, mais il agissait en plus comme un héros - Che was our Jesus, a rockstar revolutionary - Baby G ajoute que Dennis Hopper avait basé son look sur le Che. Small Baby G admire aussi Cassius Clay parce qu’il refuse d’aller se battre au Vietnam en balançant dans la barbe du pouvoir néo-nazi américain : «No Viet Cong ever called me a nigger !». Small Baby G admire donc les sportifs noirs, Cassius Clay et Pelé - Sport is an incredible way of breaking down racial préjudice - Mais en même temps, il se dit consumé de l’intérieur, par une douleur à la fois psychique et spirituelle. Il est convaincu pendant toute son enfance que la vie n’est que confrontation, compromis et violence. Les rues de Glasgow ne sont pas sûres à l’époque. Il se fait souvent casser la gueule et doit apprendre à se défendre ou à raser les murs. Quand il arrive à l’école primaire de Mount Florida en 1972, un kid lui dit : «Tu es au courant pour Skin des Tiki ? Il a reçu un coup de hache dans le dos hier soir.» Les Tiki sont le gang local - Everywhere you went in Glasgow there were gangs - Baby G rappelle les principes de base de la vie d’ado à Glasgow : tu dois être dur - it was all about how hard you were - et plus tu es dingue, plus tu es respecté. Sinon, évite de faire le cake et de te faire remarquer car tu vas recevoir une grosse branlée. Et un peu plus loin, il amène une conclusion qui tombe sous le sens - So when punk came along, I was just ready for it - En 1976, il a 14 ans et encore toutes ses dents.

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             Bien que ses parents soient d’une extrême pauvreté - la famille habite dans un deux pièces, le fameux tenement, c’est-à-dire le taudis - ils écoutent des disques. Et pas n’importe quels disques. Certainement pas Chantal Goya. Baby G se souvient très bien d’un Greatest Hits de Diana Ross & the Supremes sur Motown. Le chouchou de Dad, c’est Muddy Waters avec «I Got My Mojo Working». Il y a aussi le Greatest Hits Volume 2 de Ray Charles «on the stateside label with a cool photo of Ray. Dad would play this record A LOT.» Ils écoutent aussi Bob Dylan - Dad loved The Times They Are A-Changing LP with all the protest songs on it - Mum adore Hank Williams, «Moaning The Blues» which she played A LOT. Elle adore aussi Doris Day et un single d’Elvis que Baby G passe son temps à admirer, thinking how beautiful he looked. Il se souvient aussi d’un live de Smokey Robinson au dos duquel Dylan disait de Smokey qu’il était «America’s greatest living poet». Baby G indique aussi qu’il n’y avait pas de disques des Beatles in the house - Mum later told me she never liked them; she preferred the Stones - Comme ça au moins les choses sont claires. On ne sera pas obligé de lui demander s’il préfère les Stones ou les Beatles.

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             Il se souvient de la teuf-teuf familiale qu’ils avaient dans les early seventies : une beautiful dark green Vauxhall Viva, équipée d’un lecteur de cassettes et Dad écoutait Bridge Over Troubled Waters et Glen Campbell - That’s when I first heard the Rolling Stones, in that car - À 11 ans, il flashe comme tous les kids d’Angleterre sur Marc Bolan, il appelle ça du bluesy hard rock, puis un copain d’école lui passe Aladdin Sane, et il est frappé par le portrait de Bowie à l’intérieur du gatefold, «à la fois satyre, mi-homme mi-bête, de sexe indéterminé» - It was a totally mind-blowing image - Ça lui tournicote les hormones. Puis il découvre tout le glam à la téloche, dans Top Of The Pops, Sweet, Roy Wood and Wizzard, Gary Glitter, Slade, Mott The Hoople, Bowie, Sparks et T. Rex - Bowie and Bolan introduced me to androginy an poetry - C’est le parcours classique d’un kid qui grandit dans les seventies. Il existe énormément de points communs entre cette autobio et celle de Kris Needs. Puis c’est la révélation : une petite photo de Johnny Rotten - My first outsider hero. No words needed - Puis ça continue avec Diamond Dog, le Slaughter On 10th Avenue de Mick Ronson et le 16 And Savaged de Silverhead. Le premier single qu’il achète avec son argent de poche est l’«Hellraiser» de Sweet. Puis chez le copain Butchie, il découvre Meaty Beaty Big And Bouncy des Who, ainsi que Who’s Next et Live At Leed, le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones, puis il flashe sur le Stupidity de Doctor Feelgood, sur Nazareth, sur «Motor-Biking» de Chris Spedding, quelques singles de Status Quo et le Machine Head de Deep Purple - Rock and roll totally consumed me. It became my religion - Il voit la culture rock comme un espace de liberté, où les gens peuvent devenir eux-mêmes. Il finit par découvrir que c’est aussi un moyen de se réinventer. L’imagination au pouvoir, en quelque sorte. C’est exactement ça, Baby G. Il a tout compris. Il veut échapper au monde réel qui ne lui plaît pas - I think punk did that for me - Il pense même, comme beaucoup de gens qui ont suivi le même chemin, que le rock lui a sauvé la vie. Vers la fin du book, il évoque les blues people qui sont à ses yeux the ultimate outsiders - Soul and country are both artforms created by working-class Americans, Black and white - C’est parce que petit il écoutait Ray Charles (Dad) et Hank Williams (Mum) qu’il a ça en lui, a deep love of the blues. Dans les années 90, il passe son temps à écouter ce qu’il appelle des «albums sérieux», ceux des masters; sixties and seventies soul songwriters, the country soul guys comme Dan Penn, Donnie Fritts et Kris Kristofferson. Grown-up, adult songwriters. Serious guys with a life story. Literary songwriting. Songs of experience, à la différence de ses chansons qui sont des songs of innocence. Il veut écrire des songs of experience, lui Baby G, l’éternel adolescent ? Ha ha ha, quelle blague ! Éducation parfaite. Baby G est ce qu’on appelle un gosse rudement bien élevé.

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             Il nous fait aussi des pages superbes sur Alex Harvey Band et Thin Lizzy. Alex Harvey parce que c’est un mec de Glasgow et tous les copains d’école ont un patch SAHB (Sensational Alex Harvey Band) cousu sur leur blouson Wrangler - Harvey was one of our own, a Glasgow boy qui avait réussi après des années d’efforts. Son Sensational Band portait bien son nom. They took no prisoners and stormed the nation’s pop charts and concert venues with a mixture of street-sharp hard rock, sea shanties, murder ballads and Weimar decadence - Baby G flashe sur l’album Next, avec Alex les bras en l’air sur la pochette et cette invitation à se battre, «Come ahead, your tea’s out !», Baby G voit Alex comme «the shamanic pagan high priest, comme Richard Wagner fronting a rock band». Il se demande comment un mec aussi pauvre a fait pour réussir à devenir célèbre - He was just a guy from the same streets as me, from Tradeston - Et ça repart de plus belle avec Thin Lizzy et «The Boys Are Back In Town», la chanson qui pour Baby G définit le mieux l’été 1976, l’été de ses 14 ans. Il voit Lizzy à Top Of The Pops et il est frappé par l’«extremely handsome black Irishman dressed in tight blue jeans, stack-heeled shoes and a loose-fitting glammed-out silver-streaked cowboy shirt unbuttoned halfway down his chest, revealing a silver necklace. He wore his hair in the afro style, tight like Jimi Hendrix. He was just so confident and outrageously flash.» What a portrait ! Baby G a du pif, il choisit les bonnes idoles. Quand il voit dans le journal local que Thin Lizzy passe à l’Apollo Theatre de Glasgow, il décide d’y aller avec un gosse du quartier qu’il ne connaît que de vue, Alan McGee. En trottinette, ça fait trop loin, alors ils y vont tous les deux en autobus. Pour Baby G, c’est le dépucelage - I lost my rock and roll virginity to Phil Lynott and Thin Lizzy that night. I was filled with the Holy Spirit of Rock and Roll, never to be the same again. The classic line-up of Lynott, Downey, Gorham and Robertson transmogrified my teenage soul with raw-powered street rock and flash glam electric sexuality. My love for Lizzy will never die. They were the first real musical love that I discovered by myself and they still inspire me to this day. Phil was the greatest, a true working-class hero. Every boy wanted to be him, every girl wanted to fuck him - Et soudain le punk arrive.

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             Baby G commence par tomber sur les Damned à la télé. Nest Neat Neat ! Boom badaboom ! Il tombe de sa chaise. Puis à Pâques 1977, il achète le NME avec les Clash en couve. Les trois Clash, avec Simonon au milieu ! Oh la la ! Il est choqué par leur brutally short hair, car «in early 77, tout le monde a les cheveux longs». Il achète l’album des Clash et rentre chez lui en courant pour l’écouter sur la stéréo de ses parents qui sont au boulot. Il met le volume à fond, cranking up the volume full blast. Comme tous les kids de son âge, Baby G est ratatiné par cet album, c’est un phénomène purement britannique. Puis il achète «God Save The Queen» et rentre chez lui en courant pour l’écouter avec son petit frère Graham - We were just ORGASMING - Ils expérimentent tous les deux ce qu’il appelle le psychic jailbreak, l’évasion psychique. Leur vision du monde change ce jour-là, avec le full blast des Pistols. Puis il découvre les Dolls. Quoi, des mecs qui sonnent comme les Pistols ? Ce n’est qu’un plus tard qu’il comprendra que les Dolls étaient là avant et qu’ils sont devenus les Heartbreakers. Baby G commence à hanter les disquaires de Glasgow, il y en a six à proximité du lycée et celui qu’il préfère s’appelle Bloggs car il vend du punk et le vendeur n’est autre que Mickey Rooney, futur chanteur des mighty Primevals - A Stooges and MC5 fanatic - Baby G se lance comme tout le monde dans l’achat de disques américains, avec «Sheena Is A Punk Rocker» des Ramones et «Spanish Stroll» de Mink DeVille, puis il continue avec Patti Smith, Richard Hell, les Runaways et les Dead Boys. Mais son chouchou reste Johnny Rotten - Everything he said in the interviews was deeply confrontational and launched with a fusillade of hate - Baby G n’en finit plus de l’admirer, d’autant plus qu’il n’avait rien d’un sex-symbol à la Rod Stewart - He was exactly like one of us working-class street kids - Les Pistols renversent l’échelle des valeurs, tout ce qui était joli devient laid et tout ce qui est laid devient joli. Oh et puis les fringues - Black leather trousers and jackboots, Mod bum-freeze jacket and Destroy shirt, the studded wristband, S&M belt and his digital watch. I thought he was the coolest-looking guy in the world - Quand Johnny Rotten se pointe sur Radio One, John Tobler lui demande ce qu’il écoute, et Rotten lui répond : «Football chants and Irish rebel songs.» Alors Baby G est sidéré : «I thought, that’s me !», oui, car il va voir les matches de foot et chante les football chants and Irish rebel songs at Celtic games... and he is in the best rock and roll band in the world. Johnny Rotten comes from a council estate, so I do. THIS GUY’S LIKE US !

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             En 1977, Baby G casse sa tirelire pour aller voir des concerts : Lizzy deux fois, Graham Parker And The Rumour, Status Quo, the Jam, the Damned, Dead Boys, the Clash et ça se termine avec that amazing Christmas show : Ramones supported by the Rezillos. Il tombe sous le charme des Ramones, comme tout le monde - Ramones were perfect in both charm and vision. Ramones were a total assault on the senses. Ramones were godhead - Et quand après la fin des Pistols, John Lydon revient avec PIL, Baby G en bave d’admiration, parce que justement, Lydon ne revient pas avec des nouveaux Pistols, mais avec un son nouveau - We’d never heard anything like this before - Il faut bien se souvenir que PIL fut révolutionnaire à l’époque. Du coup, Baby G se sent encore plus proche de son idole - He was my guiding star - Il va ensuite flasher sur Ian McCulloch qui selon lui a tout, the looks, the hair, the voice - The Bunnymen had a mystique - Puis il devient roadie pour Altered Images qu’il trouve really good.

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             En 1978, il commence comme tout le monde à écouter le John Peel Show on Radio One sur un petit transistor à piles, du lundi au jeudi. Puis grâce à Zigzag, il découvre Love, les Byrds, les Doors, Buffalo Springfield, Tim Hardin et Tim Buckley. Small Baby G ne sait plus où donner de la tête. Et puis il y a Johnny Thunders en couverture de Zigzag, avec à l’intérieur son interview par Kris Needs pour la promo de So Alone. Ah la longueur des filets de bave ! Et comme tout le monde, Baby G se met à acheter chaque semaine la trilogie impérative, NME, Melody Maker et Sounds. De quoi devenir dingue.

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             Un soir, lors d’une party chez Severin à West Hampstead, Baby G tombe sur sa collection de disques. Il est choqué d’y voir trôner l’Electric Ladyland, non pas à cause des gonzesses à poil sur la pochette - Baby G ne bande pas encore - mais parce que l’album était à l’époque considéré comme un hippy album, et donc mal vu chez les punks - That’s how it was in those days - Il se souvient aussi d’avoir réagi de la même façon en découvrant le White Album chez Andrew Innes, qui est alors un copain du quartier - It was a crime to admit you liked anything before 1976 except for the Velvet Underground, Iggy and the Stooges, New York Dolls and MC5 - C’est vrai que le sectarisme régnait sans partage, surtout à cette époque. Tout le monde devenait à moitié con avec le punk-rock. On lançait des anathèmes à tout bout de champ. Fuck ci, fuck ça. Si Can et Van Der Graaf échappaient aux purges, c’était grâce à Johnny Rotten qui en disait le plus grand bien à la radio.

             Et comme tout le monde, Baby G s’achète une première guitare électrique, une copie de Les Paul Classic, «a cherry-burst reddish-brown colour, very Thin Lizzy» et un ampli Peavy Bandit. La première chose qu’il apprend à jouer dessus, c’est «Time’s Up» et le solo sur deux notes du «Boredom» des Buzzcocks. Puis il s’achète une basse, «a black Fender Mustang bass guitar and an Electro-Harmonix Clone Thenry effects pedal». Il adore jouer comme Jah Wobble de PIL.

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              Il revient longuement sur l’autre grande idole de son enfance, Jimbo, un Jimbo héroïque qui traite le public de Miami de bande d’esclaves. Baby G et son frangin Graham adorent rouler la nuit dans Glasgow, au volant de Mum’s little Renault, en écoutant une cassette des Doors, la compile de singles qui s’intitule 13 - Five to one baby/ One in five - Baby G admire autant Jimbo que le Che : «Jim Morrison vivait réellement les choses qu’il chantait. In the future I would personnaly find that was a very dangerous game to play.»

             Il se met à vénérer les auteurs comme Jagger & Richards, Jim Morrison, Lou Reed, Ray Davies et Iggy Pop. Son copain Beattie avec lequel il va démarrer Primal Scream s’achète une douze pour sonner comme les Byrds - He was hooked on Roger McGuinn’s jingle-jangle magic Rickenbacker guitar sound - Alors Baby G s’achète une «sky-blue Vox Pantom as played my hero Sterling Morrison, guitariste extraordinaire of the Velvet Underground.» Et puis en 1984, le punk passe de mode - It was seen as an embarassment in the UK music papers - Et les hip people de Glasgow étaient tous des clones de Bowie Young Americans, dans leurs fringues atroces, playing the white-boy funk that was as funky as Margaret and Dennis Thatcher attempting to dance the Funky Chicken: naff central - Eh oui, les années 80. Comme tout le monde, Baby G se réfugie dans les «ultra-damaged poster-boys of underground rock», Syd Barrett et d’autres misterioso figures comme Arthur Lee, Brian Wilson et Alex Chilton - Not a lot of people were interested in these artists. They were seen as sixties drug casualties and burnouts, embarassments from another era - Puis comme tout le monde, Baby G part à la chasse aux disques dans les record fairs, il ramasse de tout, Electric Prunes, Eddie Floyd, Isaac Hayes, des Stax singles, 13th Floor Elevators, Byrds, Misunderstood, puis c’est le déluge des compiles fatales, Perfumed Garden, Acid Dreams, tout le bazar de Rhino puis de Line Records en Allemagne qui se met à rééditer tout ce qui peut intéresser les kids boulimiques comme Baby G. En 1984, il ne jure que par ses psychedelic heroes Jim Morrison, Lux Interior, Roky Erickson, Syd Barrett et Arthur Lee. Et pour entrer en osmose avec le psychédélisme, il faut bien sûr prendre des psychedelic drugs, otherwise you can’t be psychedelic ! Logique imparable.

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             Il évoque brièvement la scène de Glasgow, Teenage Fanclub, les Vaselines qu’admirait tant Kurt Cobain, et Stephen Pastel - He was a freaky kid, total outsider in his own way - mais qui choque Baby G car il lui dit ne pas aimer les Pistols. Baby G lui demande pourquoi et Stephen Pastel lui répond : «They’re like heavy metal.» À quoi Baby G ajoute : «Stephen was more into Dan Treacy, TV Personalities and Swell Maps. We agreed on the Shangri-Las, Velvet and Subway Sect though.» Baby G ajoute que Stephen est toujours d’actu à Glasgow et qu’il possède a fantastic record shop called Monorail. Baby G évoque aussi Mark E. Smith qu’il admire, comme tout le monde, et Prince plus encore, surtout les singles parus dans les années 80 - They’re as good as the Beatles or the Stones, Bowie, Phil Spector, Tamla-Motown, Stax, anyone - À tel point qu’il le veut comme producteur du premier album de Primal Scream, ce qui fait marrer McGee. À la place de Prince, il obtient Stephen Street.

             Quand dans les années 80, Baby G s’installe à Brighton, il ouvre avec ses copains un club nommé SLUT. Sur le poster du club figure le fameux portrait de Brian Jones en uniforme nazi, avec comme légende le fameux ‘Stay sick Turn blue’ emprunté aux Cramps et qu’on trouve, précise Baby G, au dos de leur premier single, «Human Fly» on the Vengeance label. Des groupes viennent jouer au SLUT : Strawberry Switchblade, Felt, Loop and Weather Prophets, des groupes dont il est fan, surtout Loop - We loved Loop - Faut pas louper Loop. Puis il tombe dans les bras de Bobby Blue Bland - noir-pop-bed-chamber blues and adult existentialism - et du great O.V. Wright - His classic records are occult Mississippi Delta alchemical conjurings made under the guidance of the great producer Willie Mitchell - Il explore les labyrinthes de cette Soul, espérant qu’un jour I could emulate it. Mais pour chanter comme O.V. et Bobby Blue, il faut muer, Baby G, et il ne mue toujours pas. Il évoque aussi les fameuses compiles Northern Soul sur Kent et les Ady Croasdell’s soul nights au 100 Club dont Andrew Innes est un habitué. Il va voir les Spacemen 3 en concert, car il aime bien le single «Revolution», mais quand il entre dans la salle, il en reste comme deux ronds de flan : au pied de la scène, les kids sont assis par terre comme des hippies, et les Spacemen sont eux aussi assis, le cul dans des chaises. Incroyable ! Il découvre plus tard qu’ils sont des smackheads, alors pour lui, ça tombe sous le sens.

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             Ce sont surtout ses paragraphes politiques qui rendent Baby G infiniment sympathique. Il nous raconte mieux que quiconque l’écroulement de la classe ouvrière anglaise. Le foot sert à cristalliser la colère, d’où la violence dans les stades. Il sait que la classe ouvrière n’existe que pour travailler dans les mines et les usines qui sont la propriété des bourgeois, cette sale race qui fait des profits obscènes sur le dos des travailleurs, Baby G n’y va pas de main morte, il développe bien cet aspect des choses, car la rage politique est directement liée au rock, il parle de siècles de féodalisme dégradant et des horreurs de la révolution industrielle qui, c’est vrai, a battu tous les records en Angleterre. Et voilà que Baby G se retrouve sur le marché du travail, à l’aube de la post-industrialisation. Comme tout le monde, Baby G voit que les lois votées au parlement sont des actes de violence dirigés contre les plus pauvres, il cite des fameux plans d’austérité alors qu’on allégeait les impôts des plus riches, Baby G en écume de rage, il sait que la pauvreté tue et il voit la femme la plus détestée d’Angleterre, la mère Thatcher, écrabouiller les mineurs, elle a enfanté nous dit Baby G des créatures aussi politiquement ignobles qu’elle et il balance les blazes de Blair et de tous ceux qui ont suivi, all are Thatcher’s children and I hate them all equally. But I hate her more. She was their Elvis - Plus loin, il tombe à bras raccourcis sur Queen, Elton John et Rod The Mod qui sont allés jouer en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid - They had all taken the apartheid gold - Il a raison de s’énerver, Baby G, ces comportements sont impardonnables. Il développe ainsi son radicalisme à longueur de pages et c’est une dimension d’autant plus capitale qu’elle n’apparaît jamais dans la presse rock, connue pour son édifiante superficialité. Le rock et la contestation politique sont issus du même principe de refus de l’autorité, et dans le cas de l’Angleterre, du despotisme libéral, qui est sans doute le pire fléau du XXIe siècle. La notion de profit n’a jamais autant fait de ravages dans les cervelles. Il faut désormais s’habituer à l’idée qu’un monde meilleur n’existera jamais.    

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             Baby G cite souvent les Cramps sans jamais vraiment en parler. Il fait juste des petites allusions de temps en temps, comme s’il en avait la trouille et qu’il n’osait pas s’en approcher. Lors d’une fête sauvage dans une usine abandonné avec les frères Reid, Baby G dit entendre le «Caveman» des Cramps. Il rencontre à une époque un nommé Joogs qui est fan des Cramps. Joogs jouera du tambourin dans la première mouture de Primal Scream. Lors de son premier voyage à Los Angeles, Baby G croise sa guitar heroin Poison Ivy Rorschach chez un disquaire. Il est tellement intimidé qu’il n’arrive pas à parler - Ivy was so fucking sexy. The queen of rock and roll - D’ailleurs, quand il compose «Ivy Ivy Ivy» pour le deuxième album de Primal Scream, il pense bien sûr à Ivy Rorschach of the Cramps. Et sur scène, avec Primal Scream, ils jouent en rappel «Up On The Roof» by Carole King and «Lonesome Town» by Ricky Nelson and the Cramps.

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             Quand on bénéficie d’une telle éducation, on finit fatalement par mal tourner, c’est-à-dire jouer dans un groupe. Baby G a déjà commencé à acheter des guitares, à prendre des drogues et à composer des chansons. Alors il monte Primal Scream avec le copain Beattie. Le nom du groupe sort d’un texte de Mark E. Smith sur Live At The Witch Trial, à la fin de «Crap Rap» - I believe in the R&R dream/ I believe in the primal scream -  Et hop c’est parti. Pas plus difficile, tu flashes et tu agis. Il a ce qu’il appelle lui-même a year-zero mentality de young punk. Rien à voir avec le primal scream de John Lennon. Les punks nous dit Baby G ne commenceront à écouter les Beatles qu’au moment où Paul Weller va pomper «Taxman» pour faire «Start». Du coup,  Beattie achète Revolver. Avec Beattie, ils écoutent aussi les deux premiers albums des Stooges sous acide, allongés par terre, la tête entre les deux enceintes - You haven’t lived until you’ve heard «We Will Fall» and «Dirt» in this way, I’m telling you. Beautiful primitive urban blues - Puis il cite Dickinson qui qualifiait les Stooges de «primitive modernists». Selon Baby G, les Stooges ont créé «a post-adolescent urban white bues qui encapsulait les peurs, les espoirs, les frustrations sexuelles et l’ennui existentiel of teenage outsiders everywhere.»

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             Alors qu’il vient de lancer Primal Scream avec le copain Beattie, Baby G commence aussi à fréquenter les frères Reid. Il va vivre avec les Mary Chain l’un des épisodes les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Et grâce à lui, on va pouvoir le vivre de l’intérieur. Comment commence cette belle aventure ? Assez bêtement : Baby G reçoit chez lui une cassette C-90 que lui envoie Nick Lowe. Dans le petit mot d’accompagnement, il indique à Baby G que les deux guys qui sont leur la cassette pourraient éventuellement se joindre au duo Primal Scream qu’il forme avec le copain Beattie et que Lowe a vu jouer sur scène. Sur la cassette est écrit le nom du groupe au stylo bille : Jesus and Mary Chain, et quatre titres de chansons : «Never Understand», «Upside Down», «Inside Me» et «In A Hole». Baby G rencontre les frères Reid un jeudi du mois de juin. Jim et William nous dit Baby G portent des cheveux très haut sur le crâne et ceux de Douglas Hart, le bassman, sont noirs de jais et bouclés. Il manque le batteur Murray qui est à l’école. Alan McGee est l’un des premiers à s’intéresser au groupe, car sur scène, c’est le chaos garanti : ils sont tellement défoncés que William joue «In A Hole» alors que Jim chante «Upside Down» et Douglas joue «Inside Me», et c’est là qu’ils commencent à se battre comme des chiffonniers, devant tout le monde. Pif paf, dans ta gueule, et ils quittent la scène. C’est la fin du set qui n’a même pas commencé. Pour McGee, c’est du genius à l’état pur. Quand Baby G les voit jouer à Glasgow pour la première fois, William et Jim arrivent en titubant sur scène, ils se cognent partout - It was just noise, carnage - Ils jouent trois cuts - a cacophonous, violent fuck-up noise, it was completely unmusical, mais en même temps ça faisait sens pour Beattie et moi, parce qu’on comprenait ce langage - Baby G apprend que les frères Reid appréhendaient tellement de monter sur scène qu’ils avaient bu comme des trous, au point qu’ils tenaient à peine debout. Au point de se faire virer de la scène par les videurs. Les frères Reid nous dit Baby G s’abreuvaient directement «à la source de l’universal psychedelic punk energy.» Ils proposaient le «true primitive power of rock and roll en opposition à la musique clean, safe et asexuée dont les médias et les music papers gavaient les gens.» Et puis un jour, McGee appelle Baby G pour lui annoncer que les May Chain ont viré leur batteur Murray et qu’ils le veulent lui, Baby G, comme batteur. Le seul problème c’est que Baby G n’est pas batteur. Pas grave. Et hop tournée en Allemagne avec les Mary Chain, le Biff Bang Pow d’Alan McGee et les Mod punk rockers d’Aberdeen, les Jasmine Minks. Baby G profite de l’occasion pour préciser que les Mary Chain ne répétaient jamais - Every single gig was freefall. Every gig. Even when we made Psychocandy - Il garde aussi des souvenirs attendris de camaraderie, quand ils dormaient tous les quatre dans des sacs de couchages, serrés les uns contre les autres sur la plancher d’un appart, in the cold autumn London night. Jouer sur scène avec ces trois loustics, ça reste pour Baby G les meilleurs souvenirs de sa vie. Ils n’ont même pas besoin de se parler entre eux. Un regard suffit - The best relationships are like that - Il va loin, le petit Baby G car il parle même de spiritualité. Au retour de leur tournée allemande, ils découvrent que dans le NME, un journaliste déclare : «Les Mary Chain sont the new Sex Pistols.» Ça y est, ils commencent à décoller. Les labels se rapprochent de McGee qui est leur manager. Baby G est de plus en plus épaté par la grandeur des Mary Chain - The Chain as a band was perfect as it was: four punks with clear minds and a defiantly powerful, well thought-up group aesthetic (...) I loved the purity in the Mary Chain; it was kind of religious. Actually, it WAS religious. Pure rock and roll - Mais en 1985, chaque fois que les Mary Chain jouent à Londres, ça tourne à l’émeute. Baby G dit que dès qu’ils commencent à jouer, une pluie de missiles s’abat sur eux - Et soudain le public attrape Jim, des mecs du service d’ordre sont obligés d’aller le récupérer car des mecs le tabassent - C’est la guerre nucléaire ! - And the missiles were coming the whole time - Comme il l’a déjà précisé, les Mary Chain ne répètent jamais. Ils démarrent un cut et s’arrangent pour le finir - it was free-form madness - Ils font une version du «Mushroom» de Can que Baby G qualifie de «creepy crawl death-rattle low moan blues». Le concert à l’Electric Ballroom est encore plus extrême, nous dit Baby G. Des gens viennent pour zigouiller les Mary Chain. Pour étayer son propos, Baby G cite une anecdote : «Jim Reid était allé voir Nick Cave & the Bad Seeds à l’Hammersmith Palais et un mec est venu le trouver pour lui demander : ‘Are you the singer in the Mary Chain?’. Et six mecs tombent sur Jim pour lui filer la branlée du siècle. Gave him a doing. Kicked fuck out of him. Alors que Jim gît au sol dans une mare de sang, les mecs lui disent  : ‘Dis à ton fucking batteur qu’il est le prochain !’.» Même si Baby G essaye de se faire passer pour un petit dur, il ravale sa salive. Il sait que ces mecs-là ne rigolent pas et qu’il va prendre une trempe.

             En 1985, il part en tournée américaine avec les Mary Chain. New York, punk city of my dreams. Premier arrêt au Gem Spa sur St Mark’s Place pour rendre hommage aux New York Dolls,  tels qu’on les voit au dos de la pochette de leur premier album. Puis Midnight Records, pour les albums psychédéliques. Cette fois, la tournée se passe bien, pas de violence. Sur scène, William Reid règne sans partage. Il sort un son qui est un «shot de high-grade amphetamine sulphate, pure white light, white heat, wired soul genius.» - His gonzoid riffage and energy sprawl would propel me forward rhythmically - Et puis, les premières crevasses apparaissant dans ce beau rêve de fraternité. Un jour, il va chercher sa copine Karen à la gare. Elle arrive de Glasgow et lui apprend qu’elle va jouer à sa place le soir-même dans les Mary Chain. Ça interloque Baby G pour deux raisons : un, Karen ne sait pas battre le beurre, et deux, ses frères spirituels ne lui ont rien dit. Baby G lui demande quand même pourquoi elle a accepté, sachant qu’elle lui retirait le pain de la bouche. Oh, Karen n’est pas à ça près. Elle dit avoir d’abord refusé, mais William a insisté, lui promettent de lui donner tout ce qu’elle désirait si elle acceptait de jouer avec eux. Alors elle a demandé un gramme de speed et William est parti en courant lui chercher ce qu’elle demandait. En fait, le problème, c’est que Baby G qui a les yeux plus gros que le ventre joue dans deux groupes à la fois, les Mary Chain et Primal Scream. Les groupes sont même souvent à la même affiche, et Baby G chante et gratte sa gratte dans l’un et il bat le beurre dans l’autre. On appelle ça de l’omnipotence et c’est une tare qui ne convient pas, mais alors pas du tout, à un mec aussi intègre que William Reid. Et ça ne servait à rien d’en parler. Aussi le soir même, quand ses copains de Primal Scream voient Karen jouer à sa place, ils demandent à Baby G pourquoi il ne joue pas. What could I say ? Les frère Reid ne parlent jamais des problèmes. Baby G doit fermer sa gueule et l’accepter, parce que les Mary Chain sont leur groupe. Il sent bien que c’est le commencement de la fin. Effectivement, le lendemain, Jim Reid appelle Baby G au téléphone, ce qu’il ne fait jamais. Il l’appelle pour lui mette le marché dans les pattes : soit il devient le batteur des Mary Chain à plein temps, soit il dégage - We don’t want you to be in Primal Scream anymore. You can’t be in both bands, you have to make a choice - Le choice est vite fait. «Ok I’ll be in the Scream, then. And that was that.» Fin de l’épisode. Baby G est bouleversé. Il note toutefois que pour enregistrer leur deuxième album, the existential blues album Darklands, ils ont utilisé une boîte à rythme pour le remplacer, which is cool. Puis il découvre qu’ils avaient déjà prévu un batteur en remplacement pour les concerts, le fameux John Foster Moore, qui fera ensuite équipe avec Luke la main froide dans Black Box Recorder. 

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             L’autre personnage principal de cette apologie de l’éternelle adolescence, c’est la dope. Baby G en est incroyablement friand, plus encore que des bombecs. La dope se situe au même niveau que l’engagement politique et le rock, c’est un moteur, une psycho-vitamine dirait Marc Z. Baby G attaque sa carrière de drug-head avec les acides, pour vivre en osmose avec sa passion pour le rock psychédélique. Il découvre aussi le pouvoir du sexe sous acide avec sa copine d’alors, la fameuse Karen évoquée plus haut. Puis quand il fréquente McGee, il lui balance le fameux slogan de Ian McCulloch : «No snow, no show !», formule magique qu’il prononçait selon Baby G chaque soir avant de monter sur scène. Avec des yeux devenus globuleux, Baby G traîne dans les parties avec Throb et les mecs de Felt où tout le monde est sous speed and magic mushrooms. Il découvre ensuite l’ecstasy, «plus adapté au vibes de basse et aux sons électroniques, alors que le speed convient mieux aux amateurs de high-energy rock and roll.» Il ajoute que «the Southern Soul sounds is great on smack et que l’herbe est parfaite pour le Jamaican Reggae and dub.» - Different drugs for different sounds - Il en connaît un rayon, le petit Baby G. Pas la peine de lui faire un dessin. Il achète son premier E (ecstasy) aux Happy Mondays. Il en éprouve une grande fierté. Mais sa dope préférée reste le speed - Ecstasy was a different psychotropic trip. My life was changing and I didn’t even know it - Quand ils roulent vers le Nord pour aller jouer à Londres, ils prennent du speed et quand ils redescendent à Brighton après le concert, ils droppent des Es. Ils goûtent pleinement à la joie et à la liberté de leur jeunesse. C’est pour ça que la scène acid house lui plaît, tout le monde est sous E, il parle d’un «holy sacrament drug», alors que la scène indie pue la bière, et Baby G ne supporte pas les pintes. En plus ces mecs-là ne prennent même pas de drogues. Baby G n’aime pas non plus les pubs - Pubs were never my scene - Un jour Throb ramène des tablettes de dexys, la fameuse Dexedrine qu’il qualifie de best drug in the world - We all took dexys to do the interview - Un jour en arrivant au studio, Toby leur dit à tous les trois, Baby G, Throb et Innes d’ouvrir la bouche et il leur balance à chacun des pilules. Il en a un bocal plein. Ils veulent quand même savoir ce qu’ils avalent et Toby se marre : «C’est ce qu’a avalé Keith Moon la nuit où il est mort.» Alors les trois autres répondent : «Yeah ! Great !». Le problème, c’est qu’après, la situation devient bizarre : les quatre Primal Scream tombent dans les pommes. Quand Dick Green l’associé de McGee chez Creation appelle l’ingénieur du son Leggatt pour savoir comment se déroule la session, Leggat est bien embêté. Il répond : «The band are in a coma.» Green ne comprend pas : «What d’you mean, they’re in a coma ?». Alors Leggatt décrit ce qu’il voit : «Well, Bob and Innes are on the floor, Throb est sur le canapé et Toby vient de se glisser sous la console de mixage.» Les pills de Keith Moon sont des somnifères qu’on administre dit-on a des éléphants. Quand ils commencent à palper des gros billets, Throb achète des gros pochons de coke. Il en fait même le commerce à Brighton. Il a acheté une bagnole pour faire les trajets et bien sûr il n’a pas de permis. Baby G tente de le ramener à la raison, lui disant que s’il se fait choper, il va détruire le groupe. Mais Throb se marre. Il passe vite au freebasing - We all did. It was great fun.

             Retour aux balbutiements de Primal Scream. Beattie et Baby G enregistrent des démos avec Elliot Davies qui dit à Baby G : «The songs are both very good. Bob you’re not a singer.» Choqué, Baby G lui demande ce qu’il veut dire et l’autre lui explique : «You’re not a proper singer like Al Green or Marty Pellow, you’re more like Bernard from New Order.» Baby G s’en tire à bon compte, car il adore New Order, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Heureusement, on finira par trouver quelques points de désaccord avec Baby G. Puis il rencontre son futur Soul Brother, Robert Young, alias Dungo, un gosse du quartier. Un jour Baby G le croise dans la rue et lui demande ce qu’il a eu comme cadeau de Noël. «A Telecaster guitar !». Baby G découvre que son nouveau copain est bourré de talent. Il écoute les Byrds et Love. Ils se mettent vite à la recherche d’un son - We were aiming for a mix of ecstatic sixties joyous transcendental psychedelic pop and modern eighties electronic dance beats - Comme tout le monde, Baby G goûte au plaisir suprême qui est de jouer dans un groupe et il sait dire pourquoi c’est une affaire sérieuse : «Rock and roll at its highest point is serious magic. An alchemical transformation is possible, but only if people with the right attitudes, minds and spirits are involved in the ritual.» Au début, ils sont cinq, Beattie gratte sa douze, Robert on bass, Baby G sur une six cordes électrique et au chant, Tam McGurk au beurre and our pal Joog on tambourine. Aux yeux globuleux de Baby G, Robert est le musicien le plus doué qu’il connaisse. Un jour, alors qu’il sont en tournée, ils s’arrêtent pour pisser un coup au bord de la route. C’est là qu’ils découvrent le pot aux roses : Robert est monté comme un âne - For fuck’s sake would you look at the size of that thing? - Robert ne comprend pas pourquoi ils s’extasient devant sa queue. Baby G lui dit qu’elle est «like a fucking python». Alors Robert se marre et leur dit que le problème n’est pas la grande taille de sa queue, mais plutôt la petite taille des vôtres, it’s just that you guys are all too wee - C’est là qu’il chope le surnom de Throb.

             Primal Scream commence à se bâtir une petite réputation mais bizarrement, John Peel ne s’intéresse pas à eux. Il s’intéresse plus nous dit Baby G aux groupes with girls in it, «surtout si elles ne savent pas jouer de leur instrument.» Il est revanchard, le petit Baby G, faut pas lui marcher sur les doigts de pieds. Puis Andrew Innes rejoint Primal Scream.

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             Leur premier album s’appelle Sonic Flower Groove et paraît en 1987, en plein boom des futals de cuir noir. Dès le «Gentle Tuesday» d’ouverture de balda, on sent un léger problème : Baby G n’a pas de voix. Ce qui semble logique, vu son extrême jeunesse. Ces sont les deux guitaristes Throb et Innes qui mènent le bal. Mais le loup - c’est-à-dire la voix - n’y est pas. Ça reste de la pop d’agneaux blancs comme neige. Baby G chante comme une savonnette. Bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il est assez pénible sur «Sonic Sister Love», et les cuts suivants ne valent guère mieux. On sent une volonté Velvet dans «Love You», mais dès que Baby G ouvre le bec, il ruine tout. Il se prend pour les Ronettes et ça devient très compliqué, pas pour lui, mais pour l’auditeur qui au vu de la pochette s’attendait à entendre du beau gaga de Glasgow. Baby G fait encore son cirque dans «Aftermath» et bat tous les records d’immaturité.

             Beattie quitte le groupe après Sonic Flower Groove. Il emporte avec lui le son de sa douze. Il ne voulait pas quitter Glasgow, alors que Baby G, Throb et Innes voulaient se barrer. Pour Primal Scream, il faut tout reprendre à zéro. Ils décident d’aller plus sur un son twin guitar attack comme dans le MC5. Ça tombe bien, car Throb ne porte plus que du cuir noir, et il peut jouer aussi bien que Johnny Thunders et Wayne Kramer. Pour la voix, ça reste compliqué.

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             Leur deuxième album sans titre paru sur Creation vaut vraiment le détour. Plus rien à voir avec le soufflé raté du Sonic Flower Groove. Cette fois, ça vole assez haut. «Ivy Ivy Ivy» éclate au Sénégal avec des chœurs de Dolls. Ils remontent dans le heavy power d’Ivy Ivy Ivy comme des saumons, c’est un vrai smash et cette fois la voix de Baby G colle mieux à la réalité, Throb et Innes ramènent les meilleurs power chords d’Écosse. On voit arriver des clap-hands sur le tard et ça devient du pur Mary Chain. C’est Andrew Innes qu’on voit sur la pochette avec sa Les Paul. La fin d’Ivy sonne comme une fabuleuse descente aux enfers d’aw aw aw avec un Throb all over the sound. Puis Baby G se remet à chanter comme la reine des brêles dans «You’re Just Dead Skin To Me». Il aurait fallu l’empêcher ce chanter. Ils tentent ensuite de sauver l’album avec «She Power» et renvoient Baby G au front. Quelle erreur ! Si on ouvre le boîtier, on tombe sur une photo de Baby G, encore une erreur. Il faut aller à l’intérieur du dépliant pour trouver une photo de Throb torse nu avec sa Les Paul blanche. Baby G se prend encore pour un chanteur dans «I’m Losing More Than I’ll Ever Have». Pire encore : il se prend pour un Soul Brother. Throb sauve le cut avec un killer solo flash. Ils tapent ensuite «Gimme Some Teenage Head» sur les accords du MC5. Ils tapent dans la caisse. C’est la came de Throb. Il joue les accords de «Kick Out The Jams». Le pauvre Baby G est embarqué comme un fétu de paille. Ils font une cover du «99th Floor» des Moving Sidewalks. Puis il tapent «Lone Star Girl» au heavy glam. C’est le même son qu’Ivy Ivy. Les tornades noient la voix de Baby G, donc ça passe. Encore une énormité avec «Sweet Pretty Thing» amené au heavy drumbeat de Glasgow. Ça joue au c’mon now, Throb ramène le power, c’est lui l’âme du Scream.

             Ils enregistrent cet album avec le batteur Toby Tomanov, un vétéran de toutes les guerres et ex-junkie. Pendant l’enregistrement d’«Ivy Ivy Ivy», Toby et Throb disparaissent un moment et quand ils reviennent dans le studio, il est évident nous dit Baby G que Toby had shot Throb up with some smack. Cette nuit-là Thob a joué comme un dieu, et il continuait à jouer quand le groupe s’arrêtait.

             En 1988, McGee dit à Baby G que plus personne ne s’intéresse à la musique que joue Primal Scream - It’s so old-fashioned, personne ne veut plus écouter ça - Mais ils continuent de jouer et de se doper, Baby G est fier de son groupe et de ses «two great guitar players on Les Pauls blasting through hundred-watt Marshall stacks.» Ce soir-là, Andrew Innes monte sur scène tellement défoncé qu’il oublie de se brancher. Ce sont des kids au premier rang qui l’alertent : «You ain’t plugged in mate !».

             Tenement Kid s’achève sur Screamadelica. Baby G envisage sûrement un deuxième volet, comme le fit avant lui Brett Anderson qui pour son premier volet autobiographique s’arrêtait aux portes du succès commercial de Suede. Baby Gillespie utilise la même ficelle de caleçon mais il en profite pour dresser une étrange apologie de l’acid-house qui, faut-il le rappeler, nous a tous bien barbés à l’époque. On appelait ça les machines, et Screamadelica est un album de machines.

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             Alors que les cuts des deux premier albums sont composés sur des guitares, ceux de Screamadelica le sont sur un piano. Throb adore Carole King et Brian Wilson. Pour Baby G, Screamadelica est un song-based record. Cause toujours. Il faut bien dire qu’il en pince surtout pour l’acid-house. Ils vivent à Brighton et vont traîner dans les acid house clubs. Throb rechigne un peu, il appelle ça du fucking disco shit. Dans les acid house parties, Baby G découvre une étrange forme de fraternité - No one is a stranger on ecstasy. It’s a chemical brother- and sisterhood - Il a l’impression de vivre encore une fois les plus grands moments de sa vie sur les danceflloors de l’acid house phenomena, some of the greatest, most transcendant, connected and soulful moments of my life - C’est pourquoi il compose «Don’t Fight It Feel It». Ah les dancefloors ! Que deviendrait-on sans les dancefloors ? Comme si on n’avait pas bien compris, Baby G en rajoute une petite couche : «To me, acid house culture was a joyful celebration of underground resistance, not with guns, bullets and bombs but with love, drugs, great music, sex and righteous youthful energy.» Et pour enfoncer son clou (rappelons que le destin du clou est d’être enfoncé), Baby G affirme ceci : «Nous n’aurions jamais connu le succès sans l’acid house. Screamadelica n’aurait jamais pu exister sans l’acid house. Primal Scream n’aurait jamais eu une carrière de trente ans sans l’acid house.»

             Alors arnaque ou pas arnaque ? On est encore nombreux à se poser la question. Mais pour ceux qui ne supportent pas les machines, la réponse est claire. Mis à part le «Movin’ On Up» d’ouverture de balda, c’est de l’electro. «Movin’ On Up» est un joli cut de Stonesy, mais le loup, c’est-à-dire la voix, n’y est pas. Ils refont les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want» avec un solo de Throb. On imagine le carton qu’aurait fait le Scream là-dessus avec un vrai chanteur. Ensuite, les machines arrivent et Baby G chante comme une casserole sur le «Slip Inside This House» du 13th Floor et tout ce qui suit. Une vraie malédiction. Quelle arnaque ! Les gens considèrent Screamadelica comme une album classique, mais c’est une catastrophe épouvantable. On se sent puni d’écouter ça. C’est l’album des caprices de jeunesse de small Baby G.

             Il faut aussi saluer le style parfois ronflant de big Baby G. Quand il évoque l’English Disco club de Rodney Bingenheimer à Los Angeles, il parle «d’underground freaks like Kim Fowley, New York Dolls ans Iggy Pop carroused with superstars like Led Zeppelin and Quaalude-damaged teen queen glam-rock groupies like Lori Maddox ans Sable Starr.» Il voit aussi arriver «a bunch of Hollywood post-hippie cocaine cowboy cognoscenti» qui vient assister au tournage d’une vidéo de Neil Young. Ailleurs il met le turbo sur le langage musical : «Cool young people into sharp threads and the latest US soul imports. Swap speed for ecstasy and Sue, Tamla and Stax records for Trax, DJ International and Carnaby Street, King’s Road for Hyper Hyper, Ken Market, Browns, South Moulton Street and you get the picture.»

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             Pour saluer la parution de Tenement Kid, Jon Mojo Mills accorde six pages à Baby G dans Shindig!. Le principe de l’interview permet à Baby G de brosser des panoramas complémentaires, comme par exemple celui des groupes anglais des années 80 qui à ses yeux reflétaient la cupidité et la vulgarité du Thatchérisme. C’est pour ça qu’il a rejoint les Mary Chain qui incarnaient l’exact opposé de cette vulgarité - We wanted something more underground, more authentic, more deranged, more poetic and more righteously sincere - Et il ressort ses modèles Syd barrett, Sky Saxon et Arthur Lee. Puis dans un deuxième souffle Jim Morrison, Lou Reed et Iggy Pop - The Stooges were like a godhead band for us - Et puis les Cramps. Il revient aussi sur l’acid house : ça se passait dans les clubs avec les meilleures drogues de l’époque - Ecstasy was a great drug. It was just such an utterly exciting time. And it was vital in the way that rock music had ceased to be - Comme Mojo Mills l’entraîne sur le terrain de la relève, Baby G cite l’exemple de Sam France, le mec de Foxygen. Il dit n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi brillant et pouf, le groupe s’est dégonflé comme un ballon de baudruche. Et pour lui, la relève, ce sont surtout les rappers noirs américains, the rock stars of today. Et comme Mojo Mills le branche sur le style vestimentaire, Baby G cite ses références : Johnny Thunders; Peter Tosh, Gregory Isaacs, Bryan Ferry 1974-78, Gene Vincent, Elvis et John Lydon.

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             À l’époque, les gens reprochaient au Scream d’avoir collé un drapeau confédéré sur la pochette de Give Out But Don’t Give Up. En fait, l’album était enregistré chez Ardent à Memphis et pour entrer en osmose avec la légende de Memphis, le Scream avait opté pour une photo de Bill Eggleston. De la même façon que sur les albums précédents, Baby G ruine pas mal de cuts à commencer par «Jailbird». Il jongle avec les clichés du genre monkey on my back. C’mon, oui c’est ça, t’as raison. Ils tapent «Rocks» au beat rebondi mais la voix de Baby G ne passe pas la rampe. Dommage car le cut est bon - Get the rocks out honey - Le coup de génie des Scream est d’avoir enrôlé George Clinton. C’est la raison pour laquelle on tombe sur «Funky Jam». Baby G se met à hurler comme un poulet décapité, il a dû faire marrer les mecs d’Ardent. Son magique mais ça n’a plus rien à voir avec Memphis. Denise Johnson vient sauver «Free» et Baby G ruine un bel essai de Stonesy, «Call On Me». George Clinton et Denise Johnson déboulent dans le morceau titre et tout à coup ça devient génial. Elle éclate le heavy groove de give out. On se demande ce que ce heavy doom de funk fait ici, mais on se régale. Il faut aller sur un album de Primal Scream pour trouver du heavy funk dégénéré ? Eh oui.

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             Ils sont de retour en 1997 avec Vanishing Point. Mauvais départ avec un «Burning Wheel» tapé aux effets. Ça cache la misère. Ils font entrer un sitar, la batterie puis la voix de Baby G. Aucun attrait, aucune valeur artistique. C’est mal barré. Trop de machines encore dans «Kowalski». Comme il ne sait pas chanter, Baby G chuchote. Encore plus insupportable : «Out Of The Void», il chante en rampant. Pour «Stuka», ils ramènent tout le power du dub. C’est le bassmatic le plus pur qui soit, mais les machines ruinent tout. Retour à la terre ferme de la Stonesy avec «Medication». Here we go !  Baby G est plus çà l’aise, il fait son Jag à la petite semaine, mais dès qu’il élève la voix, il redevient ridicule. Mais c’est bien qu’il essaye. Ne perdons pas de vue qu’il est avant toute chose un fan de rock. Les solos de Throb sont eux aussi des preuves de bonne foi. Ils enchaînent avec une superbe cover de «Motorhead». Comme la voix de Baby G est noyée dans l’assaut, ça passe. Throb joue des tas de layers qui entrent en collision, ça explose dans tous les coins. Voilà le grand Scream. 

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             Pas mal de belles choses sur cet XTRMNTR paru en l’an 2000, à commencer par «Accelerator», authentique coup de génie. Le pauvre Baby G lance des c’mon dans la tempête, le son est poussé à l’extrême, mais pas la voix d’orvet de Baby G. Ce sont les autres qui font le son. Il faut dire que cet «Accelrator» remonte le moral car il arrive aussitôt après cette daube immonde qu’est «Kill All Hippies». Ils font n’importe quoi et toujours ce pas de voix. On n’entend que ça, le pas de voix. Bizarrement, sa voix passe mieux sur «Swastika Eyes», car il chante à ras des pâquerettes. Bon d’accord, on entend des machines et des spoutniks, mais c’est plutôt dans l’esprit d’Hawkwind, ce qui est un bon esprit. Instro de fantastique allure, «Blood Money» est bien plus puissant sans la voix. Ils rendent plus loin un bel hommage à Sun Ra avec «MBV Arkestra» et une belle poussée de fièvre. Retour aux valeurs sûres avec un «Shoot Speed/Kill Light» claqué du beignet par Throb, un space invader à la mode Hawkwind. Aw comme c’est bien balancé !

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             Paru en 2002, Evil Heat pourrait bien être le meilleur album du Scream. Les coups de génie y grouillent comme la vermine sur la peau d’un bagnard. Et paf, après quatre cuts calamiteux (dont une tentative foireuse de Kraftwerktisation des choses à coup d’Autobahn), tu prends «Rise» entre les deux yeux. Riffé au riff, c’est du big Scream monté sur le beat des vainqueurs. Belle dégelée d’outerspace, Rise ! Rise ! Ils tapent ensuite «The Lord Is My Shotgun» au heavy groove infectueux. C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à taper un cut aussi insidieux. Le petit Baby G fond dans la matière du son comme une noix de beurre dans une grosse poêle noire. Puis il chante «City» à l’avenant du bon gaga de Glasgow. C’est excellent car visité par le Throbbing Throb, here he comes ! Throb envoie des dégelées de guitares folles, power maximaliste, quand ça claque à la Throb, ça claque à la Throb, il est bon de le savoir. Ils tapent à la suite une énorme cover de «Some Velvet Morning», montée sur un heavy bassmatic d’electro, Baby G chante comme une fiotte, mais ça passe. Belle cover, Baby G ! Puis ils nous assaisonnent avec un coup de «Skull X» et ce petit démon de Baby G chante dans le vent de l’action. Il chante comme un Dylan qui serait en colère et ça devient tout simplement génial. Il est en plein vent, il chante face à la tempête, il est petit et frêle, mais il se tient droit, le small Baby G de Glasgow, il y va de bon cœur, c’mon baby do it again ! Le voilà au cœur du white heat de Scream. 

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             Le Riot City Blues qui paraît quatre ans plus tard est encore meilleur, ça explose dès «Country Girl», yeah ! ce démon de small Baby G fait le chanteur au cœur de la meilleure Stoney d’Angleterre, full blast de Scream, ça pousse dans l’ass des dieux du rock, ils ont trouvé le moyen de revitaliser la Stonesy et ça devient génial. On peut même dire qu’ils outrepassent la Stonesy, ils vont beaucoup plus haut, c’est très spectaculaire, tu ne t’en relèves pas, ils jouent avec une puissance rarement égalée, Country girl forever ! L’autre coup de génie de l’album s’appelle «The 99th Floor», explosé d’entrée de jeu, avec une montée en puissance inexorable, wild gaga shaking all over, c’est violent et beau à la fois. Small Baby G est dedans jusqu’au cou, il chante à la toute petite arrache, soutenu par les chœurs du diable. Ils restent dans la Stonesy pour «Nitty Gritty». la voix de small Baby G se noie dans l’excellence du sugar. Ça explose encore avec «When The Bomb Drops». Forcément, avec un titre pareil, ça ne peut qu’exploser. Small Baby G se tient bien au chant, il s’équilibre bien dans la fournaise, sa voix finit enfin par passer, comme si elle avait mué. Il sonne comme un petit imposteur, mais le rock grouille de petits imposteurs. Ça veut dire en clair que les vraies voix ne courent pas les rues. On les connaît et malheureusement pour lui, small Baby G n’en fait pas partie. Mais il a bien d’autres qualités, à commencer par la ténacité, car il faut du courage pour chanter sans voix dans un groupe comme Primal Scream. Ils se tapent plus loin une rasade de boogie avec «We’re Gonna Boogie», le boogie du Garbage Man, infiniment bon. Puis on reprend en pleine poire «Dolls (Sweet Rock’n’Roll)», small Baby G fait son shouter gaga à gogo et il fait illusion. Throb vole à son secours et gratte ses poux au génie pur. Le Scream jette tout son poids dans la balance et n’a jamais été aussi bon.

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             Paru en 2008, Beautiful Future est le premier des albums post-Throb. Apparemment, Innes veille au grain, car l’album tient sacrément bien la route. Baby G vise la postérité dès le morceau titre, on le sent très motivé, après quelques années de vaches maigres. Puis on est surpris par le souffle de «Can’t Go Back». Ils tapent dans l’extrême power absolutiste avec un killer solo flash in tow. Le groupe se compose d’Innes, Martin Duffy, Darren Mooney au beurre et Many on bass. C’est vite avalé et ça presse bien sur la purge. Les basses n’ont encore jamais sonné comme ça en Angleterre. Baby G chante presque bien. Ces mecs sont capables de rallumer la flamme. Ouf ils sont enfin débarrassés de l’acid house. Avec «The Glory Of Love», ils replongent dans le glam, le fucking Glam des origines, oh oh oh ça sonne comme du Bolan, ils lui rendent un sacré hommage. Chapeaux bas, les gars. Ils enchaînent avec un «Suicide Bomb» suicidaire, au bon sens du terme, ils ont une présence énorme, on peut leur confiance, après toutes ces années. Baby G est un vrai gamin, il y va de toutes ses forces. Cu’mon, c’est du pur jus de cu’mon ! Ils restent dans le heavy Scream avec «Zombie Man», authentique purée de heavy Stonesy, ils vont chercher la meilleure Stonesy d’Angleterre, avec des développements inespérés au nah nah de Zombie man. C’est un big album, bardé de son, comme le montre encore «Beautiful Summer», un nouveau modèle de heavyness. «I Love To Hurt (And To Be Hurt)» est amené au deep savoir-faire du Scream, c’est beau et plein d’esprit. Puis Baby G chante «Over & Over» comme une casserole, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Back to the slam in the face avec «Necro Hex Blues». Ils adorent percuter de plein fouet. Baby G pose sa voix de Glasgow kid sur l’enclume pour recevoir les coups de marteau et les solos d’Innes sont fabuleusement incendiaires. Il garde le feu sacré du no way out, ça devient une occlusion attestinante d’effarence inclusive, un vrai shot de trash-boom uh-uh. Une façon comme une autre de dire qu’Innes fout le feu.

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             Sur la pochette de More Light, Baby G fait le lapin. Ça vaut le coup de rapatrier l’édition spéciale qui propose un deuxième CD, Extra Light. Étant donné que le groupe vieillit bien, il ne faut pas s’en priver, ce serait trop bête. Deux bombes sur More Light : «Turn Each Other Inside Out» et «It’s Alright». Le Turn Each Other est monté sur un big drive de basse infiltré par des guitares, avec une volonté d’hypno clairement affichée. Ça monte encore d’un cran avec «It’s Alright» et sa production à la Jimmy Miller, du shuffle à la surface du son et du piano en dessous, it’s alright, it’s okay, pur jus de Sticky Fingers, avec le développent du bassmatic, et il y va le Baby G, il est sur la crête, il mène bien le bal, and you cry ooh la la, il chante son couplet magique d’une voix d’ado et ça devient un vrai coup de génie. Par contre, il chante mal sur «River Of Pain», il concocte des effets de voix qui te mettent mal à l’aise. Il chante en chuchotant. Dommage. Il chuchote encore sur «Culturecide», c’est battu comme plâtre et le Scream joue le heavy doom. Pour ça, ils sont imbattables en Angleterre. Ils sont sans doute les derniers à pouvoir sortir un son aussi massif. On entend un solo de sax dans «Hit Void», et dans «Tenement Kid», Baby G se prend pour une star. Il exploite la misère de ses parents, il sonne comme un parvenu, c’est très bizarre, I don’t know why. Il est même assez ridicule sur ce coup-là. Puis avec «Invisible City», il nous fait le coup de - pardonnez l’expression - l’atroce merdier new-wave, c’est n’importe quoi, avec des crack-house zombies et des one night stands, tous les clichés à la mormoille - Profit freak/ Nazi radio/ Politicians/ Death TV - Et ça continue de péricliter avec une reprise de «Goodbye Johnny» qui est une insulte à Jeffrey Lee Pierce, puisqu’ils transforment cette merveille en fiotte de pop à la petite semaine. Ça donne la nausée, rien que de penser qu’un avorton puisse transformer l’art sacré de Jeffrey Lee Pierce en amusette acidulée. Gerbe assurée. Puis dans «Elimination Blues», il se prend pour un chanteur de blues, alors que derrière, semble-t-il, Robert Plant fait des ah-ooh et des eh-ooh. On aura tout vu. Dernier spasme d’ignominie avec un «Walking With The Beast» qui n’est heureusement pas celui du Gun Club, mais en tant que chanteur, Baby G s’y grille pour de bon. Il est d’une rare ingénuité, ce qui lui fait croire qu’il peut tout se permettre. Sur Extra Light, on trouve des remix et un «Nothing Is Real Nothing Is Unreal» chanté à ras des pâquerettes. Le cut est magnifique, comme incendié, une vraie cavalcade à travers le heavy rock britannique, c’est excellent car ça bombarde bien les tympans. Baby G chante toujours aussi mal, mais on se goinfre de son. Dans «Running Out Of Time», il chante comme un gamin qui débarque au bordel pour la première fois : il prend sa voix d’eunuque, c’est plus facile. «Worm Tamer» est mal chanté, dommage car le cut est puissant. L’immaturité règne sans partage sur Extra Light. Et puis le côté electro revient à la charge sur le remix de «2013». Des machines dans tous les coins et la dimension artistique disparaît complètement. Bizarre que ces mecs-là ne l’aient pas compris à l’époque où c’était à la mode. On ne cache pas la misère avec des machines, la misère n’en devient que plus prévalente et du coup elle devient une sorte d’emblème.

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             Le dernier album en date de Primal Scream s’appelle Chaosmosis et date de 2016. C’est le pompon. Baby G y chante de plus en plus mal. Et pour aggraver les choses, on ne voit plus que lui sur la pochette. Quand on l’entend chanter l’electro-beat atroce de «(Feeling Like A) Demon Again», on sent la moutarde monter au nez. Avec «I Can Change», il tente de se faire passer pour un chanteur de charme, mais c’est affligent. Il est nécessaire d’écouter cet album pour savoir jusqu’où Baby G peut aller trop loin. Il ne reste pas grand chose du Scream d’antan, cet album est celui d’une perdition artistique. Si on cherche un exemple de suicide commercial, il est là. Baby G se lance dans le balladif insidieux avec «Private Wars», mais ça fait mal aux oreilles tellement c’est mal chanté. Il aurait dû appeler cet album Déconfiture. Les machines sont de retour, sanctionnant la résurgence de l’horreur définitive («Where The Lights Get In») et avec «Carnival Of Fools», il passe à la diskö-pop de bubblegummer suprême. Quand il essaye de ramener du heavy sound avec «Golden Rope», on a du mal à le prendre au sérieux. Mais Innes est là, c’est seul cut rock de l’album, avec Darin Mooney au beurre et Jason Faulkner à la basse. C’est le dernier spasme du grand Scream. Dommage que Baby G le chante aussi mal. Il met sa voix au devant du mix et elle ne passe pas. Elle ne passera jamais. C’est une espèce de malédiction. Dès qu’il arrive au micro, tout s’écroule.

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             Pour les ceusses qui ne veulent pas s’encombrer avec des piles de CDs, il existe une compile du Scream très bien faite - Dirty Hits - sur laquelle se sont jetés tous les fans du groupe à l’époque, car on y trouve une version de «Some Velvet Morning» chanté en duo avec Kate Moss et qui fit sensation. On y trouve aussi tous les grands shoots de Stonesy («Movin’ On Up» et «Rocks»), des choses comme «Jailbird» passent beaucoup mieux dans ce contexte de double concentré de tomate. Bien sûr, les coups de génie figurent en bonne place : «Accelerator» et «Shoot Speed/Kill Light». Bizarrement les cuts de Riot City Blues brillent par leur absence. 

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             Dans Uncut, Michael Bonner centre son interview sur l’album que Baby G vient d’enregistrer en duo avec Jehnny Beth, Utopina Ashes, modelé sur les fameux duos country cités en exemple : George Jones & Tammy Wynette, Gram Parsons & Emmylou Harris, Waylon Jennings & Jessi Colter, Kate & Anna McGarrigle. Baby G cite aussi les Everly Brothers. Il indique ensuite de manière insidieuse qu’il existe aujourd’hui deux Scream, celui qui continue de tourner, et un Scream plus sédentarisé qui bosse en studio. C’est-à-dire Innes et lui. C’est Innes qui a déterré les fameux Original Memphis Recordings, enregistrés par Tom Dowd chez Ardent à Memphis, et qui ont été remixés par Jimmy Miller, un Miller qui selon Baby G a dénaturé le son. Puis Innes et lui ont compilé les singles pour en faire Maximum Rock’n’roll et maintenant voilà Utopian Ashes, un nouvel experiment. Baby G dit aussi adorer les rock books, il cite ses préférés : Rythm Oil et The True Adventures Of The Rolling Stones de Stanley Booth, le Papa John de John Phillips, le Chronicles de Dylan of course et son livre de chevet, Hellfire de Nick Toshes, car enfin existe-t-il une vie plus rock’n’roll que celle de Jerry Lee ? Bien sûr que non. Et bien sûr que oui, l’idée d’un tome 2 de Tenement est dans l’air.

    Signé : Cazengler, Primate scream

    Primal Scream. Sonic Flower Groove. Elevation Records 1987

    Primal Scream. Primal Scream. Creation Records 1989

    Primal Scream. Screamadelica. Creation Records 1991

    Primal Scream. Give Out But Don’t Give Up. Creation Records 1994

    Primal Scream. Vanishing Point. Creation Records 1997

    Primal Scream. XTRMNTR. Creation Records 2000

    Primal Scream. Evil Heat. Sony 2002

    Primal Scream. Riot City Blues. Sony 2006

    Primal Scream. Beautiful Future. B-Unique Records 2008

    Primal Scream. More Light. First International 2013

    Primal Scream. Chaosmosis. First International 2016

    Primal Scream. Dirty Hits. Columbia 2003

    Bobby Gillespie. Tenement Kid. Orion Books Ltd 2021

    Jon Mojo Mills : A child of Glam. Shindig! # 121 - November 2021

    Michael Bonner : Where this rage comes from. Uncut # 290 - July 2021

                                                  

    Pas de filles au Harum

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             On a longtemps considéré à tort Procol Harum comme un groupe prog. C’est une erreur souvent due à l’ignorance. Quand on a écouté les albums de Procol, on sait qu’ils n’ont à rougir que d’une seule suite prog, l’insupportable «In Held Twas In I» qui flingue la B de Shine On Brightly et celle du fameux Live paru en 1972 et dont on attendait tant à l’époque. Une fois qu’on leur a pardonné cette incartade, on peut se plonger dans leur monde qui est celui d’une pop extrêmement mélodique, plutôt unique en Angleterre, qu’on dirait ancrée dans le XIXe siècle et les fastes de la cour viennoise.

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    L’album Grand Hotel en est la parfaite illustration, car nos amis du Harum s’y pavanent en fracs et en chapeaux claques, tout droit sortis d’un roman d’Hugo Von Hofmannsthal. D’ailleurs, ça tombe bien, car l’album tient bien son rang, aussitôt la perfection symphonique du morceau titre. Un certain Mick Grabham a remplacé Trower of London qui était le guitariste co-fondateur du groupe. Le thème de ce «Grand Hotel» est superbe, très viennois dans l’esprit. Il évoque la démesure de la valse des Habsbourg, telle que la filma jadis l’impérissable Luchino Visconti. Bien sûr, une certaine forme d’intimité avec les écrivains français et autrichiens de l’Avant-siècle facilite énormément la fréquentation du Harum. Il règne dans ses albums comme dans ces livres la même perfection stylistique, un goût comparable pour la mélancolie et la mort, la Mort à Venise, bien sûr. Revenons au Grand Hotel avec «For Liquorice John» - He fell from grace and hit the ground - un cut d’une beauté profonde qui nous entraîne soit vers le néant, soit vers la lumière, tout dépend comment on est luné. Et puis le coup de grâce arrive avec «Fires (Which Burnt Brightly)» - Let down the curtain/ And exit the play - sur lequel chante Christiane Legrand des Swingle Singers et des Double Six, la sœur de Michel Legrand, oh la lah, comme dit Gary Brooker au dos de la pochette. Christiane Legrand fait entrer au Harum sa magie vocale ! Robert Wyatt fait en gros la même choses dans «Old Europe» - Juliette and Miles/ Black and white city

             Si on ressort les albums du Harum de l’étagère, c’est pour dire adieu à Gary Brooker qui vient de casser sa pipe en bois. Cet excellent compagnon de route nous tint la jambe pendant sept belles années, de 1967 à 1974. On s’est arrêté en 1974 avec Exotic Birds & Fruit, mais eux ont continué. Comme Robert Wyatt, Gary Brooker a su nous rappeler que l’Angleterre était aussi le pays des grands mélodistes et grâce à quelques albums, il s’est taillé une place de choix dans l’étagère. Curieusement, les albums du Harum n’ont jamais fait l’objet de purges staliniennes, même au temps du punk. On savait qu’en les réécoutant, on ferait de nouvelles découvertes. Il faut dire qu’à l’instar de ceux de Dylan, les albums du Harum sont extrêmement bien écrits. La force du Harum fut d’avoir dans ses rangs un écrivain, l’ineffable Keith Reid.

             Une autre façon de voir les choses : l’œuvre toute entière du Harum tient entre deux serre-livres : «A Whiter Shade Of Pale» et «As Strong As Samson», c’est-à-dire entre We skipped the light fandango et l’Ain’t no use in preachers preaching, ce qui veut dire en clair entre le premier album paru en 1967 et l’Exotic Birds & Fruit avec lequel nous décidâmes unilatéralement de refermer la lourde porte du Harum. Ou si le choix de «Whiter Shade Of Pale» paraît trop évident, on peut choisir d’un côté «Repent Walpurgis» et de l’autre «The Idol», deux somptueuses merveilles issues des mêmes albums. Pour aggraver le cas de la métaphore, on pourrait aussi prétendre que tout le rock anglais tient entre «Strawberry Fields Forever» et «Arnold Layne».

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             Aveuglés par l’éclat du Whiter Shade Of Pale, on ne rendait pas compte à l’époque à quel point ce premier album sans titre du Harum était génial. Une fois passée l’émotion causée par la pop d’orgue tentaculaire du morceau titre, on entrait dans le domaine frénétique de Trower of London avec «Conquistador» - Though I hoped for/ Something to find - Trower of London soliloque dans l’or de la matière et jette une poudre d’électricité dans le brillant shuffle du Harum. Mais c’est avec «Cerdes (Outside The Gates Of)» que Trower of London va conquérir l’Asie Mineure, avec cet amas de ramasse inspiré de «Season Of The Witch». Soudain, au revers d’un couplet, le Harum bifurque dans le Procol électrique, avec le chant étrange et pénétrant d’un Gary Brooker paré pour la postérité. Ah il faut entendre Trower of London mettre la pression au cœur d’un shuffle princier. Le Harum n’en finit plus de culminer. Des choses comme «Kaleidoscope» et «Salad Days» ont moins d’impact, mais Gary Brooker les chante à l’accent conquérant et il mène d’une main de maître cette pop ambitieuse et fabuleusement orchestrée. Trower of London revient envahir l’espace mélodique de «Repent Walpurgis» et le Harum atteint là le sommet de l’insularité, la pop anglaise éclaire le monde, Walpurgis sonne comme un ersatz d’excelsior parégorique, un laudanum de petroleum, un solace de Liberace. 

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             On ne se lasse toujours pas des attaques de couplets de l’«As Strong As Samson» qui fait d’Exotic Birds And Fruit l’un des albums phares de l’an de grâce 1974. Cette façon qu’a Gary Brooker de redescendre dans le preachers preaching est assez héroïque, mais il sait aussi se montrer entêtant avec ses orgues et ses pianos dans «The Idol». C’est un peu comme s’il commandait aux éléments. Et comme chaque fois, il opère une descente en forme d’épitaphe - And so they found/ He’d nothing left to say - Une autre idole d’argile. Toujours le même protocole, avec «Beyond The Pale», l’Harum s’enracine dans la culture symphonique de la Mitteleuropa, on est dans cet univers culturel qui brasse la littérature, l’art moderne et la psychanalyse. Plutôt que de choisir, pour orner la pochette, cette nature morte de Jakob Bogdani, Gary Brooker aurait pu opter pour un portrait à la feuille d’or de Gustav Klimt. Encore une évidence qui cache la forêt. Ah comme le destin des évidences peut être cruel !

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             Comme déjà dit, Shine On Brightly (1968) et Live - In Concert With The Edmonton Symphony Orchestra (1972) sont des moitiés d’albums, avec leurs B ruinées par la prog. On sent avec «Rambling On», qu’ils passent leur temps à tenter de renouer avec les fastes de «Whiter Shade Of Pale». Pendant ce temps, Trower of London ramène du blues avec «Wishing Well», qui du coup sonne un peu comme une concession de la part de ce grand symphoniste habsbourgeois qu’est Gary Brooker. Il veille cependant au grain de l’ivraie avec «Quite Rightly So». L’Harum sera symphonique ou ne sera pas.

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    Par contre, sur le live, la version orchestrée de «Conquistador» emporte la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Dave Ball a remplacé Trower of London parti lancer sa fiévreuse carrière solo. Mad Ball d’abordage joue une sorte de wild electric guitar, il semble encore plus démesuré que le compère Trower. Ils font ensuite monter le «Whaling Stories» symphonique à des hauteurs épiques, histoire de passer en force. Rien de tel qu’un orchestre symphonique pour passer en force. Mad Ball d’abordage joue comme un diable sur cette moitié d’album live. Ils sacralisent ensuite deux merveilles tirées du troisième album du Harum, l’excellent Salty Dog, à commencer par le morceau titre, amené aux accords de piano emblématiques, et le chant gorgé de mélancolie du grand Gray Brooker s’en va dériver au large. S’ensuit l’extrêmement bon «All This And More» éperdu de shining through - The bright light of your star confronts me/ Shining through - C’est là où la beauté de l’art peut te réconcilier (provisoirement) avec la vie. 

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             Oui, Bary Brooker est bien le maître des océans avec A Salty Dog. Il y a quelque chose de purement hugolien en lui, de la même façon qu’il y a quelque chose de purement verlainien en Keith Reid. Puissance homérique d’un côté, grâce sibylline de l’autre. La version studio d’«All This And More» paraît plus massive que la version symphonique, les poussées de fièvre y sont plus marquées, ainsi que l’aristocratie des membres du Harum. Ils retrouvent leurs aises grâce au gras double de Trower of London et s’offrent l’un des grands finals du siècle passé. On sent que Trower of London bout sous la surface de «The Devil Came From Kansas». Il prend l’allure d’un volcan éteint sur le point de se réveiller. Ce n’est pas non plus un hasard s’il ramène du heavy blues rock dans le «Juicy John Pink» qui ouvre le bal de la B, mais on perd tout le protocole du Procol.

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             Il reste encore deux albums coincés au milieu, Home paru en 1970 et Broken Barricades paru l’année suivante. Ce ne sont pas les meilleurs albums du Harum. Avec des choses comme «Whisky Train» (sur Home) et «Simple Sisters (sur Broken Barricades), ils se fondent dans la masse, ce sont des compos de Trower of London, plus musclées, pas loin de ce que faisait à l’époque un groupe comme Status Quo. Il faut attendre «Your Own Choice» pour retrouver la fibre poétique de Keith Reid - The human fate is a terrible place/ Chosse your own exemples - et «About To Die» nous ramène aux portes de la Mort à Venise. «Nothing That I Didn’t Know» tombe à point nommé pour nous rappeler que le son du Harum est unique en Angleterre. Et «Whaling Stories» nous emmène au large, au temps des baleiniers, chargé du soliloque exponentiel de Trower of London. Il peut atteindre des sommets.

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    Broken Barricades ne propose qu’une seule merveille intemporelle, «Song For A Dreamer», composée par Trower of London et qui par sa dimension aérienne évoque l’«Albatross» de Peter Green. Ils font encore un peu de boogie avec «Memorial Drive» et la mélancolie fait son retour avec «Luskus Delph». Mais on est surtout là pour les belles clameurs seigneuriales de Gray Brooker, telles qu’elles se répandent dans «Power Failure» et «Playmate Of The Mouth», deux œuvres magistrales arrosées de grandes lampées de son qui, pareilles à ces lames de Bermudes, s’en viennent mourir contre la coque. Broken Barricades est l’album heavy du Harum, mais chez eux, le heavy se fait avec élégance. C’est à Trower of London qu’échoit le privilège de clore l’album avec «Poor Mohammed», il le fait à la cloche de bois et s’en va chercher des noises à la noisette. Voilà donc un heavy boogie rock chanté à la mauvaise intention, avec un Trower of London qui gratte sa sale slide des faubourgs. Il entraîne le Harum sur la mauvaise pente du banditisme sonique, et personne ne peut rien pour empêcher ça.

    Signé : Cazengler, Procucul la praline     

    Gary Brooker. Disparu le 19 février 2022

    Procol Harum. Procol Harum. Regal Zonophone 1967

    Procol Harum. Shine On Brightly. Regal Zonophone 1968

    Procol Harum. A Salty Dog. Regal Zonophone 1969

    Procol Harum. Home. Regal Zonophone 1970

    Procol Harum. Broken Barricades. Chrysalis 1971

    Procol Harum. Live. Chrysalis 1972

    Procol Harum. Grand Hotel. Chrysalis 1973

    Procol Harum. Exotic Birds And Fruit. Chrysalis 1974

     

    L’avenir du rock

    - On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

     (Part Four)

     

             L’avenir du rock apprécie par dessus tout les soirées qu’il passe chez Hag et ses amis historiens dans un appartement de la rue de Buci. Après un bon repas, ils se rendent au salon et se calent confortablement dans les deux vieux chesterfield installés en vis-à-vis. Hag sert à chacun un armagnac divinement parfumé et les compères se jettent dans l’exercice préféré de tous les érudits : la conversation à bâtons rompus.

             — Pourquoi sommes-nous tous si critiques vis-à-vis de notre époque ?

             — L’explication est pourtant simple, lance l’avenir du rock : nous avons connu ces périodes magiques que furent les sixties et les seventies.

             — Dis donc, avenir du rock, tu tombes dans le simplisme, maintenant ?

             — Oh il fallait bien que l’un d’entre-nous se dévoue.

             — Aurais-tu aimé vivre au Moyen-Âge, avenir du rock ?

             — Ah quel rêve ! Autant vous l’avouer, les amis, j’aurais rêvé de me mettre au service de la Sainte Inquisition, pas pour brûler des sorcières, rassurez-vous, mais pour livrer aux flammes du bûcher ces horribles fantoches hérétiques que sont Stong et Slosh !

             — Dis donc, avenir du rock, tu as la dent dure !

             — N’inverse pas les rôles : ce sont ces atroces frimeurs qui nous empoisonnent l’existence depuis plus de trente ans. Même chose avec le chanteur Bonus. Et toi Hag, à quelle époque aurais-tu aimé vivre ?

             — À Vienne au XVIIIe siècle, j’aurais pu voir Mozart en concert ! J’en aurais profité pour prendre une diligence en direction du Vaucluse et aller rencontrer mon idole le Marquis de Sade dans son château de Lacoste. J’en pince aussi sérieusement pour les années folles à Paris. Ahhhh traîner la nuit avec Duchamp et Man Ray ! Comme tous ces gens ont dû bien s’amuser ! Est-ce qu’une autre époque aurait les faveurs de ton cœur, avenir du rock ?

             — La temps de cavernes ! Pas de factures, pas d’impôts, pas de problèmes avec les gonzesses, tu les traînes par les cheveux dans ta caverne et tu les enfiles vite fait ! Pas besoin d’écrire des poèmes à l’eau de rose ou d’aller sur des sites de rencontres. Tu as un petit creux ? Tu sors avec ton gourdin et tu assommes un ours. Pas besoin de carte bleue, pas besoin de caddy. Boom, tu te tailles un steak et tu en profites pour te tailler un manteau de fourrure !

             — Oh toi, tu as trop lu Rosny aîné !

             — De toute évidence ! Et puis j’aurais eu comme voisin Paul Major !

     

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             Comme ses amis ne savent pas qui est Paul Major, l’avenir du rock sort de la poche de son veston un CD qu’il emmène partout avec lui.

             — Tiens Hag, si tu veux bien, mets ça dans ton lecteur de CD. Paul Major est le chanteur d’Endless Boogie, un groupe new-yorkais frappé par ce qu’il faut bien appeler la grâce préhistorique. Ça devrait vous plaire, les amis.

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             Frappé lui aussi par la grâce préhistorique de Paul Major, David Fricke s’enthousiasme. Il en fait quatre pages dans Mojo et les chapôte à coups de paleolithic riffing. Il remonte à la source de l’Endless Boogie, c’est-à-dire Jesper Eklow et Johan Kugelberg, deux Suédois qui bossent chez Matador à New York et qui chaque semaine se retrouvent dans un local de répète avec d’autres gens pour jammer l’Endless Boogie. Bon, l’histoire on l’a déjà racontée au moins deux fois ici, mais c’est bien de la raconter une troisième fois. Car l’avenir du rock se nourrit très précisément de ces histoires. Eklow pensait à l’époque que le monde avait besoin d’un combo that sounded like Neu! meets AC/DC. Alors ils empruntent l’Endless Boogie à John Lee Hooker et recrutent l’ideal frontman, Paul Major. Pas facile, car il faut le faire sortir de son appartement. Paul Major est un dealer légendaire in high-end psychédelia and small-pressing outsider rock, avec une connaissance encyclopédique de la musique et an epic cascade of dark hair. Paul Major donne son accord pour jammer chaque mardi. Fricke soigne ses références et parle de Blue Cheer-weight distorsion et de progressive blues-assault of the Groundhogs, de Can German’s heartbeat mélangé au rollin’ and tumblin’ de Canned Heat, avec comme cerise sur le gâtö, the cornered animal growl suggesting Captain Beefheart with Lou Reed monotone. Paul Major adore le son du groupe : «We’d get locked into that zone, one big thing swinging all around.» C’est exactement ce qu’on observe en concert. Ça clique et ça part. Paul Major décrit Endless Boogie «as Jesper’s aesthetic». Ils ont vingt-cinq ans d’écart (Major 67 et Jesper 52). Sweeney dit qu’Endless Boogie «is Jesper’s vision of what Paul should be doing». Il ajoute que selon Jesper, «Paul is the purest person. And we want to get this purity out of him.»

             C’est Stephen Malkmus qui les fait connaître au monde en 2001 en leur demandant de jouer en première partie de Pavement au Bowery Ballroom. C’est à partir de là qu’ils se mettent à tourner et à enregistrer. Et ça fait vingt ans que ça dure. Ils n’ont ni manager, ni booker, ni roadies.  

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             Their mystical simplicity is all over Admonitions, nous dit Fricke. Admonitions est encore un double album, ils ont besoin d’espace et de temps pour donner libre cours à l’endless boogie, leur concept tient sacrément bien la route, amené au raw de prehistoric Paul et au guitar licking libre de ses mouvements, ça dégorge à grosses lampées, comme un dégueulis de mal de mer et «The Offender» part pour 22 minutes, bienvenue sur les terres du Comte Zaroff, wild is wild viva Donovan ! Ça file droit dans l’hypno avec un Paul Major qui croasse comme un gator, ils visent à leur façon le no way tout, c’est un drug habit magnifique de résurgences, bien drivé à la tremblote de boogie down. Ils s’imposent comme les maîtres du jeu, on voyage avec eux, 22 minutes, ce n’est pas rien, si on part du principe que le temps c’est de l’argent. On n’accepterait ça de personne d’autre, même pas d’Hawkwind. Paul Major et ses amis s’égarent et se fondent dans l’avenir du rock. Il fait ensuite son Beefheart avec «Disposable Thumbs». S’ensuit un «Bad Call» supersonique. On voit bien qu’ils ne vivent que pour ça, pour le pré carré de la psychedelia. En même temps il faut savoir s’armer de patience, car on repart pour 9 minutes de dérive avec «Counterfeiter» qui vire vite Can. Avec «Jim Tully», ils jouent la carte de la lente montée en vrille, ils jouent le coup à la note insistante, pas de problème, c’est leur fonds de commerce. Ils ne savent rien faire d’autre que de  monter en vrille et Paul Major entre dans le lard du son avec la voix de Merlin l’enchanteur, une voix grave et chamanique, what have you done, il exhale les mots comme des vapeurs lumineuses, un prodigieux climat s’installe et il pose ses mots dans la fraîcheur d’un matin d’hiver au fond des bois, but it’s better now, et là tu auras tout ce que tu peux attendre de la vie, l’ambiance, l’emprise sur le temps, l’épaisseur humaine, aw better now, ces fantastiques jammers se répandent dans les 22 minutes d’élongation du domaine de la hutte et ça scratche sur les cordes de la Les Paul, les notes se croisent et s’écrasent en une purée d’élévation lymphatique, on comprend alors exactement ce que font les Boogie-men, ils taillent leur route dans le son, ça joue dans les règles du lard fumant à la note éviscérée, ils pleurent toutes les larmes de leurs corps et le beat se dresse dans les fumées thuriféraires, on se croirait au fond d’un temple perdu dans la jungle. Tu les suis si tu veux, mais tu n’es pas obligé, vas-y, vas-y pas, c’est ton choix, nous on continue car le monde de Paul Major nous plaît infiniment, même s’il s’engage parfois dans les ornières du déjà vu. On se souviendra de «Jim Tully» comme d’une jam sans fin, de celles qui t’accompagnent jusqu’à l’aube. Paul Major joue son vieux va-tout dans la fournaise du jamming. C’est tout de même incroyable que ce jamming si intime puisse s’ouvrir au monde et intéresser les gens. Endless Boogie sur scène, oui, quand tu es défoncé, mais sur disque, c’est un peu spécial. Avec «The Conversation» tu t’embarques encore pour un certain temps, mais nous n’irons pas nous plaindre, même si se plaindre est devenu le sport national. Ils terminent avec «Incompetent Villains Of 1968», un dark doom un peu étrange monté sur un petit thème qu’altère la disto. Il semble que Paul Major ait décidé de faire claquer son goût pour le coït sonique. Admonitions est un album d’outsiders définitifs.

    Signé : Cazengler, Endless boudin

    Endless Boogie. Admonitions. No Quarter 2021

    David Fricke : Endless Boogie. Mojo # 336 - November 2021

     

     

    Inside the goldmine - Love is in the air

     

             Baby Love aimait les hommes. Elle avait cette chance que beaucoup de femmes n’ont pas. Pour elle, une relation devait se vivre au sens large, comme s’il se fût agi d’universalisme. Embrasser son mec, c’était une façon d’embrasser l’univers. L’acte de donner du plaisir revêtait chez elle une dimension christique. L’amour charnel relevait du sacré, même dans son animalité. Il suffisait de ne pas la quitter du regard au moment des ébats pour mesurer cette grandeur d’âme. Elle se riait des tabous et ne ratait pas la moindre occasion de donner libre cours à sa fantaisie, qu’on soit sous l’emprise d’alcool ou de drogues. Sa quête d’une relation parfaite passait bien sûr par la prise de risques. Le jeu consistait parfois à rouler la nuit en ville, nus jusqu’à la ceinture, et nous livrer à toutes sortes d’acrobaties tout en remontant les avenues. Chaque sortie au restaurant était en fait prétexte à aller baiser comme des animaux dans les gogues. Baby Love se voulait initiatrice d’un culte de son invention. Elle développait sans même le savoir cet érotisme littéraire qui fit la grandeur d’érotomanes du calibre de Georges Bataille. On évoluait dans cette région de la pensée où l’intelligence se nourrit de la libido et réciproquement. Curieusement, il n’y avait pas la moindre trace d’intellectualisme en elle, au contraire. Bataille, Sade ou Molinier ? Ça ne l’intéressait pas. Ça ne pouvait pas l’intéresser. Elle ne s’intéressait qu’au vivant, qu’à l’instant présent, qu’à cette braguette qu’elle ouvrait doucement. Nous nous installâmes dans un bel appartement, au-dessus d’une pharmacie. Nos voix résonnaient dans les vastes pièces vides. Les trois stères de bois de chauffage déversées dans l’allée restèrent en tas dans l’allée. Nous savions que nous ne les utiliserions pas. La spirale universaliste nous entraînait toujours plus loin. L’empire des sens nous détachait lentement mais sûrement de la réalité. Revenir en arrière n’était plus possible. Au jour de l’an cette année-là, elle indiqua que le cadeau se trouvait dans le coffre de la voiture, au garage. Nous descendîmes avec nos verres de champagne et elle ouvrit le coffre : s’y trouvait une grande longueur de tuyau plastique enroulée et un rouleau de ruban adhésif. Nous branchâmes de tuyau sur le pot d’échappement et nous installâmes confortablement à l’intérieur de la voiture pour y mourir ensemble, selon son vœu d’éternité.        

     

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             Le destin de Mary Love n’est pas beaucoup plus enviable. Ady Croasdell nous raconte son histoire dans le booklet d’une compile Kent, Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, parue en 2014 : cette petite black eut le malheur de naître dans un environnement d’une violence extrême, la mère de 16 ans qui se barre et le beau-père qui bat la gamine. Comme toujours dans ces histoires de familles black qui tournent en eau de boudin, c’est la grand-mère qui fait la sauveuse. Mary Love vit quelques années de répit avec sa grand-mère avant de replonger plus tard en enfer, lorsqu’adolescente elle retourne chez sa mère. Mais cette fois elle est en âge de se faire sauter par le beau-père qui, comme beaucoup de beaux-pères, a une bite à la place du cerveau. Elle finit par atterrir dans le Junvenile System of the State of California, à Sacremento. Qu’elle soit encore en vie à l’adolescence relève du miracle.

             Elle a 17 ans quand elle participe à un concours de chant dans un club de Sacremento. J.W. Alexander qui est le manager de Sam Cooke la repère et c’est ainsi qu’elle démarre une carrière qui va faire d’elle une starlette de la Northern Soul. D’où Ady Croasdell et d’où la compile Kent. Mary Love va bien sûr se marier, trois fois, et avoir des enfants. Elle fricote un temps avec le cultissime Rudy Ray Moore, elle décroche même un petit rôle dans Dolemite, où elle chante deux cuts («When We Start Making Love» et «Power Of Your Love», présents sur la compile), et dans les années 80, elle a comme tout le monde sa petite période alcool, coke et crack, jusqu’au moment où elle rencontre Brad Comer, l’amour de sa vie. Brad et elle décident de se consacrer à God. Ils montent une petite congrégation à Moreno Valley, cent bornes à l’Est de Los Angeles et la congrégation grossit très vite, hundreds, then thousands nous dit Ady. Mary Love devient Mary Love Comer, elle enregistre à nouveau sur Co-Love Records et tourne éventuellement la tête des fans de Northern Soul en Angleterre, à commencer par Ady Croasdell qui réussira à faire venir le couple en 1993 pour un Northern Soul weekender at Cleethorpes. Mais comme Mary Love n’est pas faite pour les contes de fées, Brad Comer trouve another love et Mary Love se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             Le première chose qu’on fait quand on écoute Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, c’est aller chercher les deux cuts de Dolemite, «When We Start Making Love» et «Power Of Your Love». Le deuxième n’éveille rien de particulier mais le premier réveille les bas instincts. On se sent bien auprès de Mary Love, elle groove à la volée et un guitariste l’accompagne. Elle chante par-dessus les toits du Start making love, elle simule le commencement de la pénétration, elle colle bien aux aspérités, just me and you, et jette toute sa passion dans l’expressionnisme. Au fil des cuts, on constate qu’elle est bonne dans tous les coups, elle se fond dans le moindre repli de la Soul d’expression corporelle. On voit pas mal de photos d’elle dans le booklet, elle cherche à plaire, toujours très coiffée, avec un petit air sexy. À l’époque de Co-Love, elle fait du diskö-funk, elle se faufile comme elle peut dans «Come Out Of The Sandbox» et le «The Price» qui referme la marche enterre une grande chanteuse qui s’appelait Mary Love. Ses coups de Jarnac datent de l’époque Modern. Elle y rivalisait directement de Sugar Love avec les Supremes, comme le montre «You Turned My Bitter Into Sweet». Elle chante au sucre avec tout le revienzy de Motown. Même chose avec «Hey Stoney Face», elle y dépasse même les Supremes, elle prend ça au stoney face, c’est puissant, chanté à la Love. Et ça continue sur la même lancée avec «I’ve Gotta Get You Back» qu’elle développe au sugar des Supremes. Mary Love forever ! Elle fait aussi du Modern Sound avec «I’m In Your Hands», véritable shoot de rentre-dedans, elle allie le raw au sugar, c’est assez rare. Elle récidive avec «Let Me Know» qu’elle pulse à l’excellence, elle en swingue chaque syllabe à la science infuse de Sugar Motown, elle roule ça dans sa farine de légendarité au point que le langage s’oblitère, car ça ne s’écrit pas, ça se danse. Elle passe par tous les biseaux, oh oh. Même quand elle fait du sexe avec «Move A Little Closer», elle tient son rang. Elle cultive l’optimum en permanence. Elle opère un grand retour aux Supremes avec le morceau titre - I made up my mind hey-ey - Puis elle rend hommage à l’homme avec «Talkin’ About My Man» - Oh oh he’s so good to me/ I’m talkin’ bout my man - et elle ajoute : «He always pleases me.» Elle attaque son «Dance Children Dance» comme Aretha, elle a le même instinct de Soul Sister et puis voilà qu’elle duette avec Arthur K. Adams sur un «Is That You» dégringolé au heavy sludge de guitar dingling. Tout est solide dans cette compile, on comprend que les Anglais soient tombés amoureux de Mary Love.

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             La compile Kent Then And Now qui date 1994 fait un peu double emploi avec la précédente, car on y retrouve ses grands numéros de saute au paf («I’m In Your Hands», «Move A Little Closer»), on la revoit battre les Supremes à plates coutures («Let Me Know», «Hey Stoney Face», «Lay This Burden Down», «I’ve Gotta Get You Back»), on la revoit remonter les bretelles de la Soul avec «Satisfied Feeling» et se rapprocher de Dionne la Lionne en explosant «Baby I’ll Come», le tout agrémenté de cuts de diskö funk plus tardifs. On devra se contenter d’un «Mr Man» qu’elle tape au groove de charme, elle y fait du Marvin au féminin. Dans le booklet, on trouve d’autres photos d’elle coiffée en blonde, mais beaucoup plus sexy qu’Etta James. Mary Love paraît heureuse sur scène.

    Signé : Cazengler, fort marri

    Mary Love. Then And Now. Kent Soul 1994

    Mary Love. Lay This Burden Down. The Very Best Of Mary Love. Kent Soul 2014

    *

    Après l’extérieur, l’intérieur. Après Dylan vu par les autres, voir livraison 548 de la semaine dernière, Dylan par lui-même. Ce n’est pas que celui qui parle a toujours raison, c’est que son témoignage est à verser au dossier de l’inquisition au même titre que tous les autres, avec toutefois cette nuance : l’on n’est toujours trahi que par soi-même.

    CHRONIQUES

    BOB DYLAN

    ( Folio 5091 / 2006 )

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    Le titre anglais est davantage explicatif, Chronicles, Volume one, au moins l’on attend la suite qui n’est pas encore parue. Dylan prend son temps, à quatre-vingt piges passées peut-être veut-il nous faire le coup des Mémoires d’Outre-Tombe à la Chateaubriand. Elles ont toutefois été livrées au public avant sa mort, ce qui nous laisse un peu d’espoir de voir les tomes suivants paraître incessamment sous peu. Je me permets d’évoquer l’immortel créateur de René et Atala car Bob Dylan le cite dans son livre. Question caution littéraire, il est difficile de faire mieux. Que l’évocation de ces mémoires ultra-tombales ne nous induisent pas en erreur : le livre de Dylan n’est en rien une autobiographie. Cela est spécifié dès le titre : chroniques. Ce terme indique un certain détachement vis-à-vis de la réalité existentielle de son propre vécu. Dylan ne se raconte pas, il conte des moments de sa vie. Autant dire qu’il les met en scène soigneusement. Qu’il ne sert de rien de les lire en tant que témoignages d’un passé révolu. La question n’est pas de savoir si l’on peut lui faire confiance, mais de comprendre ce qu’il veut nous signifier par l’écriture d’un tel livre.

    NOTES SUR UNE PARTITION

    LA TERRE PERDUE

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    Dès les premières pages Dylan nous induit en erreur. L’histoire commence au commencement de sa carrière, sa signature chez Columbia. Laissez tomber le cursus honorum, trois pages plus loin nous comprenons que c’est un faux départ, repend le récit à la manière de Balzac nous décrivant l’arrivée de Rastignac à Paris. Lui c’est son arrivée à New York, par un temps glacial. La suite est connue, Le Cat Zengler nous a mis en scène (livraison 546) sa première entrevue avec Fred Neil, dans un même ordre d’idée le lecteur se rapportera notre recension   du livre de souvenirs de Dave Van Ronk qui corrobore totalement les dires de Dylan. Ce sont des mois d’apprentissage : Dylan arrive à s’intégrer aux principales scènes de la Big Apple folk, loin d’en devenir le challenger irremplaçable, il n’a pas assez d’argent pour louer une chambre, dort sur les canapés chez les amis. L’est toute oreille pour les disques de folk que possèdent ses connaissances, n’approfondit pas uniquement son savoir musical, lit beaucoup, un peu de tout, mais un penchant pour la littérature explore les bibliothèques…  Nous parle entre autres de Joe Hill ( voir livraison 324 ) ce qui lui permet de se situer d’une manière,  je n’ose pas dire plus précise, car il essaie de n’être ni dupe des puissances politiques, ni de céder au romantisme révolutionnaire qui emportera sa génération. Dévore, apprend, réfléchit…   pour ne citer que deux ouvrages,  qui apparemment n’ont rien à voir entre eux, si ce n’est   qu’ils sont tous deux une réflexion sur la fondation et la destruction d’une civilisation, De la guerre de Clausewitz et La déesse blanche de Robert Graves. Cette première partie nous dresse le portrait d’un Dylan artiste en jeune chien dans un jeu de quilles qui essaie avant tout de garder son self-control. Ne maîtrise pas grand-chose, cependant il revendique l’impression d’avancer pas-à-pas mais sûrement sur l’échiquier du monde qui pour lui se réduit au maigre milieu folk newyorkais.

    NEW MORNING

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    Les narratologues désignent sous les termes d’ellipse narrative le début de ce troisième chapitre qui ne s’inscrit pas dans la suite logique des deux précédents. Après les années de vache enragée, Dylan s’en plaint si peu que nous les qualifierons plutôt de maigres bovidées, l’on espère le glorieux récit des années de vaches grasses. Mais non, pas un mot sur le veau d’or. Ne le tue pas, mais le tait. Passe directement à son fameux et très exagéré accident de moto. Burn out ou ras-le-bol généralisé, l’arrive à Dylan ce qu’a vécu Jean Giono après la parution de ses premiers livres. Ne peut plus être en paix, des visiteurs viennent sans cesse sonner à sa porte. Impossible pour Giono d’écrire ses nouveaux romans. Trouvera la solution en invitant tous ses admirateurs qui attendent de lui un message ultime en les réunissant chaque été durant les années trente dans une ferme perdue dans la campagne, créant ainsi une espèce de première communauté pré-hippie. A la différence près que Giono regroupe autour de lui des intellectuels inquiets de la montée des périls, pris en sandwich entre la fin de la première guerre mondiale et le début de la deuxième qui se profile à l’horizon…  A la deuxième différence près que les visiteurs de Dylan sont au mieux de doux utopistes vindicatifs au pire de sombres barges sans gêne ou d’immondes profiteurs. Dylan qui désire vivre tranquillement avec sa femme et ses enfants se verra obligés de déménager à plusieurs reprises pour échapper aux hordes envahissantes…

    Explicitement Dylan déclare qu’il ne veut pas être le maître à penser d’une génération d’enfants gâtés ou de simples huluberlus… N’empêche qu’apparaît dans son récit ce que la lecture des chapitres suivants nous incitera à nommer une faille. Le Bob nous déclare que pour couper court à l’enthousiasme soulevé par ses premiers albums il applique une nouvelle stratégie.  Celle d’écrire des textes moins forts, douceâtres, vantant les mérites de la vie familiale. Bref il se lance dans le country afin de dégoûter ses fans de la première heure. Avec une pointe de cynisme il ajoute que cela ne l’embarrasse pas trop puisque ces nouveaux albums continuent à bien se vendre… Se détache de plus en plus de ses anciens amis qui aimeraient le voir continuer des discours critiques sur la société. Ne sait pas trop où il va mais sait ce qu’il ne veut plus.

    OH MERCY

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    Nouvelle ellipse temporelle. Bien plus gênante que la précédente. En plus de sauter quelques années, notre héros tait sa conversion. Faut lire avec attention le texte pour l’entendre déclarer à demi-mot, sans s car il n’en prononce qu’un, juste une onomatopée, qu’il ne nie pas l’existence de Dieu. L’est vrai que son enthousiasme s’est dilué en une dizaine d’années… Mais il révèle quelque chose de bien plus grave qu’il cachait dans la partie précédente. Se plaignait de n’avoir pas le temps, à cause des intrus qui assiégeaient sa maison, d’écrire, affirmait aussi, répétons-le, qu’il refilait des textes faiblards pour avoir la paix… ce coup-ci il lâche le morceau, n’y arrive plus, il a perdu le truc, ne pond que des textes de qualité bien moindre. Nous entrons dans les pages les plus ennuyantes. Nous donne tous les détails, heures, lieu, circonstances de tous les nouveaux textes pas trop mauvais qu’il parvient au prix de grandes difficultés à collationner pour le futur album Oh Merci. Ce n’est pas tout. Après les affres de la création littéraires nous assistons morceau par morceau à l’enregistrement du disque. N’est plus capable d’enregistrer en une séance de quelques heures trois, quatre, titres pratiquement en une seule prise. Pour Oh Merci lui faudra trois mois. Longue parturience. Couvre d’éloges son producteur Daniel Lanois. Le lecteur s’ennuie ferme. Dylan nous fait part de ces états d’âme, de ces coups de blues, de son malaise existentiel. Est content du résultat final, mais selon lui le disque ne trouve pas ses acheteurs.

    FLEUVE DE GLACE

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    Retour en arrière, le récit reprend là où s’achevaient les deux premières parties. Mais l’angle d’attaque est différent. Trace non plus les lentes avancées, les sauts de puce, qui centimètre après centimètre lui ont permis d’avancer dans la carrière. Nous délivre son itinéraire intellectuel. Certes il progresse, peut louer un minuscule appartement, Autant il est resté très discret quant à ses petites copines, autant il s’attarde sur Suze Rotolo, lui qui déclare que l’homme politique qu’il préfère est Barry Goldwater ( ultra-droite conservatrice) est quelque peu incliné par Suzie vers de généraux idéaux de gauche. Cet aspect politique n’est que l’écume de sa problématique. Il est venu du fin-fond de son Minnesota à New York avec une seule idée en tête : rencontrer et devenir le nouveau Woody Guthrie. Ne se prive jamais d’inclure un ou plusieurs titres de Guthrie dès qu’il a l’occasion de monter sur scène. Woody lui semble insurpassable. Jusqu’au jour où Jon Pankake, amateur émérite de folk lui brise son rêve. Tu ne chanteras jamais aussi bien que Guthrie. Cette phrase destructrice est suivie d’une autre qui l’atomise : Jack Elliot que tu n’as jamais entendu le chante mieux que toi. L’écoute des disques est sans appel, non seulement Elliot le chante mieux que Dylan mais ses interprétations sont la preuve qu’il a compris, assimilé et ce faisant dépassé le maître. Désormais le brave Bobby change son fusil d’épaule, il ne chante que du Ramblin’ Jack Elliot… D’ornière en ornière… Dylan va enfin comprendre que ce qui lui manque, c’est l’écriture de textes qui ne doivent rien à personne, ni à Guthrie, ni à Ness, ni à quiconque. En l’initiant à la peinture et au dessin Suze lui permet d’avancer dans sa tête, il dessine mal mais il dessine selon son propre point de vue, il reproduit un objet comme nul autre ne l’appréhende. Maintenant il sait se poser dans le monde. Ne lui reste plus qu’à entrer en osmose avec des œuvres engendrées par cette méthode. Trouve deux modèles qu’il décortique soigneusement pour savoir comment l’on écrit.  Rencontre le premier encore grâce à Suze qui travaille à Broadway, un parolier Bertold Bretch, un compositeur Kurt Weill – vous connaissez, rappelez-vous sur le premier disque des Doors Alabama Song ‘’ Show me the way to the next whisky bar…’’ , Dylan comprend comment on écrit un texte, ne pas vouloir tout dire, laisser les mots s’appeler les uns les  autres pour insuffler sens et mystère au texte, le deuxième sera Robert Johnson que Columbia s’apprête à rééditer, des mots simples mais la ligne mélodique qui s’éparpille en mille droites qui s’écartent l’une de l’autre pour mieux faire resplendir le centre générateur. Dylan a tout compris. Il est prêt à être le grand Dylan.

    Ce que révèleront le ou les volumes postérieurs nous ne le savons pas mais cette dernière partie du volume 1 nous aide à comprendre le sujet du livre. Ce n’est pas une histoire qui narre les débuts incertains d’un individu destiné à devenir l’un des plus grands chanteurs de sa génération. Dylan ne cherche pas à nous décrire son chemin vers les étoiles. Ce n’est pas l’apothéose qui le tente. Se penche sur la dimension littéraire de son écriture. Tente de percer son propre secret. Au bout d’un moment les textes couleront de sa plume pratiquement tout seul. Pourquoi ? Comment ?

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    L’on pense à Paul Valéry qui après quatre années difficiles à composer La jeune Parque est le premier étonné, pour ne pas dire sidéré, de la vitesse à laquelle il écrit la plupart des poèmes de Charmes. Même phénomène chez Rilke qui durant dix ans reste aux aguets de la venue des Elégies à Duino, dans l’angoisse et la douleur, et qui écrit avec une révoltante virtuosité Les sonnets à Orphée en quelques jours. Certes il existe une différence essentielle entre les deux poëtes et Bob Dylan, tous deux sont à l’acmé de leur fructuation créatrice de laquelle jaillira leur accomplissement poétique. Il leur aura fallu toute une vie d’écriture, de réflexion, de méditation et de travail acharné pour livrer leurs œuvres majeures, Bob Dylan est au début de son efflorescence lorsqu’il délivre ses textes les plus novateurs. Comme par hasard un évènement déclenchera le processus. La lecture de Rimbaud. Il regrette de ne l’avoir pas connu auparavant, cela lui aurait permis de gagner du temps.

    Rimbaud se remettra-t-il vraiment de ses cinq années fulgurantes. Il est obligé de se renier et de s’enfuir à l’autre bout de la terre, de se livrer à la prosaïque fonction de commerçant… Si l’on relit la trajectoire de Dylan à l’aune de Rimbaud, l’écriture de ce premier volume des Chroniques prend toute sa signification. Rimbaud part en Abyssinie et interrompt tout contact avec le milieu poétique, Dylan continuera sa tâche de chanteur. Il ne sait pas rompre définitivement. L’intitulé de son Never Ending Tour, ainsi le baptise-t-il, est assez éloquent… Dans ses Chroniques, Dylan retrace la généalogie du rassemblement des différents éléments qui lui ont permis de devenir le grand Dylan, un peu comme un alchimiste qui dans sa jeunesse a réussi à transformer le vil plomb en or et qui n’y parvenant plus essaie de retrouver la recette qu’il est incapable de refaire… Un terrible aveu d’impuissance quand on y pense. Un livre poignant.

    Damie Chad.

     

    AGREUS

    GOATGOD

    ( Mars 2022 / BC -YT )

    Goatgod vient de Grèce, de Thessalonique, ville portuaire au nord de la Grèce, dans sa partie macédonienne. Le groupe adepte du Do It Yourself en 2020, a commencé à enregistrer en 2021. Le groupe est formé à partir de deux autres formations : Samatas et Disurband. Est-ce cette réunion qui les a emmenés à s’accorder sur le nom de leur album Agreus,  

    Xanthos V : guitares, basse / Theodosis V : drums / Sotos Ag : vocals.

    Les amateurs de batterie ne manqueront pas de visualiser les cinq vidéos de démonstration du travail de Sotos Ag sur ses fûts.

     

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    Awakening : emballement de batterie, une voix qui envoie les mots comme des boulets de canon, et derrière une symphonie de cordes qui recouvre le monde entier d’un flot majestueux, parfois à mi-voix un écho lointain répète les lyrics, break étourdissant, le chant se transforme en injonction tumultueuse, un appel à la résistance, à la renaissance, à s’amalgamer à la puissance d’un Dieu. Poisoned by guilt : rythme binaire qui n’empêche pas des éructations démoniaques, le vocal n’est plus que cris de haines, exhortations à se surpasser et objurgations à se délivrer des fausses culpabilités, il est temps de s’arracher à la religion de la bible, de se retrouver, de prendre son destin en main, Dieu est mort, éruptions souterraines de tambours, le message est asséné avec tant de force et une si féroce clarté qu’il  se présente sous forme d’une déclaration de guerre à l’avilissement de la psyché humaine. Enligthenment : soleil, embrasement de guitares, subite dégoulinade, rythmique précipitée, vocal à l’emporte-pièce, pas encore au bout du tunnel, comprendre l’ampleur du désastre est une chose, se diriger dans les ténèbres de sa perdition,  réaliser en soi ce désir de clarté s’avère d’ une toute autre difficulté, regardons le soleil, il est la force, l’énergie primitive, les guitares planent maintenant dans l’Empyrée, au-delà de l’astre c’est le char d’Apollon qui apparaît en filigrane, souffles divins, un enthousiasme sacré s’empare de moi. Culmination. Bucolic outbreak : ambiance virgilienne, irisation acoustique qui tourne vite en une ronde sauvage, la joie est d’autant plus forte qu’elle repose sur la présence de la mort, il faut la dépasser, l’admettre en tant que simple séquence d’un cycle naturel, la batterie va de l’avant mais les guitares tournent sur elles-mêmes à l’image de la nature qui semble avancer vers sa disparition pour mieux renaître. Return of the heathens : florilèges de guitares, vocal hurlé, les païens sont de retour, condamnation du vieux monde, de l’asservissement intellectuel par la peur de l’obscurité, curieuses montées de splendeurs entrecoupées de dissonances grondeuses, le rythme s’alourdit, ralentit, reprend sous forme de poussées germinatives, il n’est pas facile de débarrasser l’esprit humain de l’ivraie des religions, le morceau se termine en apothéose. Ejaculation of a cruel god : grincements insupportables, ce n’est jamais gagné, les guitares en sirènes d’avertissements, batterie implacable, il est si facile de retomber dans l’ornière, de retourner vers les chaînes de l’esclavage religieux, vocal ralenti, hurlé, jusqu’à ce qu’une rythmique folle signifie que vous êtes happé par votre propre déchéance. The Delphic oracle : avancée processionnaire, le rythme reste lourd et lent même s’il est dynamité par des brusqueries de batterie, nous voici au cœur du paganisme, dans l’antre de Delphes, la prêtresse sur son tabouret attend que l’esprit d’Apollon se mêle à elle, emplisse le vase vide de son cerveau, vocal surexcité, instrumentation saisie de vertige, la pythie est en transe, le moment de l’interroger est venu, le passé irradie sa vision et les guitares s’étendent à l’infini, l’instant crucial, chœurs à l’horizon interne, la réponse est dans la question, quand enfin ce monde de ténèbres se terminera-t-il. Le texte est moins naïf qu’il n’y paraît. Le désir n’est pas la réalité. Embrace the nymph : nocturne crépusculaire, voici la réponse attendue, ambigüe comme il se doit, embrasser la nymphe, la compréhension est des plus simples pour les esprits peu aiguisés, elle se résoudra à se saisir d’un corps de femme, mais il faut choisir, ou tu t’allies à la chair féminine de la réalité, ou tu vis l’acte d’accouplement selon la réalité du mythe. Il faut choisir entre la rugosité charnelle de l’être humain et la confrontation intérieure avec le feu impérieux de la puissance divine, le morceau monte et descend, tantôt fièvre sexuelle, tantôt outrance extatique, c’est dans la brûlure que se conçoivent les demi-dieux et les mythes. Que se construit l’arc-en-ciel qui ne permet pas de rejoindre l’immortalité. The summoning night of Pan : la nuit de Pan que vous ne confondrez pas avec l’obscurité du Walpurgis faustien, nous sommes à l’équinoxe du printemps, les guitares ronflent telles les rhombes des  joyeux cortèges, le son se disloque tandis que par-dessous se profile une nouvelle ligne harmonique, entrons doucement dans danse, entrons doucement dans la transe, nous ne sommes pas pressés mais le rythme s’accélère, la panique sacrée s’immisce en nous, c’est ainsi que l’on se sépare de soi et que notre esprit monte en spirale vers les demeures de l’Olympe telle la fumée des sacrifices, il s’agit dans notre éructation charnelle de faire fondre notre chair mortelle à ce brasier qui nous brûle de l’intérieur, les rhombes vrombissent quand tout s’apaise, mais maintenant nous savons que le Dieu Pan n’est pas mort, l’anglais n’est plus de mise, les dernières paroles sont en grec, l’hymne chante l’unité des cieux, de la mer, des océans et des abysses transformés en une énergie pure par une joie inhumaine.

    Ce premier opus est splendide.

     

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    Nous n’avons pas encore regardé la pochette. La symbolique est claire : à l’officiant d’une liturgie chrétienne les mains benoîtement croisées sur le ventre en guise d’obéissance se substituent le squelette – symbole de la libre acceptation de la mort et refus de la croyance en un autre monde paradisiaque, amor fati dirait Nietzsche - et la tête du bouc Pan, les bras levés, la paume des mains tournées vers l’ouranos. Le lecteur visualisera le médaillon frappé du delta de Zeus et sa représentation rayonnante en Sol Invictus.

     

    Le dieu chèvre n’est pas à confondre avec le bouc qui préside aux messes sataniques qui firent fureur sous le règne de Louis XIV.  L’anti-christianisme satanique, même inversé n’est que du christianisme. Ici les lyrics sont empreints d’une philosophie nietzschéenne, qui condamne le christianisme en tant que religion, parce que toute religion est croyance et donc asservissement de la pensée philosophique. L’imagerie polythéique est à entendre comme une symbolisation conceptuelle historiale et élémentale. Elle pose l’univers en tant que fragments entremêlés mais dépourvus de tout désir d’agrégation unitaire ce qui logiquement préside à l’élaboration d’une pensée dégagée de tout obscurantisme religieux. Politiquement, nous sommes dans l’impensé métaphysique de l’anarchie.

    Damie Chad.

     

     

    JIM MORRISON, LE FLOU L’EMPORTE

    MARIE DESJARDINS

    (Série Portraits Rock, in Presse Profession Spectacle)

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     Magnifique article sur Jim Morrison écrit par Marie Desjardins. Aussi beau qu’une nouvelle de Villiers de L’Isle Adam. Le grand art, raconter une histoire dont on connaît tous les éléments et attiser les braises chaudes d’une blessure poétique qui ne se refermera jamais. Ouverte pour les siècles à venir, tel l’itinéraire de Rimbaud. A cette différence près que la trajectoire de Rimbaud reste celle d’un solitaire alors que Morrison fut non pas un personnage public, mais un phénomène générationnel autrement dit un moment très particulier, une coupure dans l’histoire de l’imaginaire du monde. Comme Platon nous l’a appris, nous ne voyons du monde que des ombres, nous y sommes habitués, toutefois l’ombre de Jim Morrison est plus sombre que les autres. Elle resplendit d’une noire luminosité qui éblouit et qui n’est pas sans renvoyer aux recherches de Goethe sur la manifestation des couleurs.

    Marie Desjardins rebat les cartes. Une centaine de lignes lui suffisent pour exposer les arcanes majeurs du tarot de la destinée.  Toutes les figures sont convoquées, Morrison le clochard céleste, Morrison diapré de beauté apollinienne,   Morrison le poëte, le double jeu des dames essentielles, Patricia désirée et Pamela aimée, mais aussi les comparses de la dernière soirée, Sam Bernett, Marianne Faithfull, les fantômes d’Elvis Presley, de Gene Vincent, de Shelley, Michel Embareck et jusqu’à nos Chroniques de pourpre… si Morrison fut un aède à la voix d’airain qui résonne encore, il fut aussi un homme de mots, cette cendre noire qui recouvre, enfouit,  protège, et préserve de l’oubli rongeur le souvenir des  existences chaotiques et volcaniques dont on retrouve les traces érotiques, arestiques et éristiques dans de mémorielles villas pompéiennes des Mystères, ouvertes à tous vents, qu’elles abandonnent en ultime témoignage derrière elles. Tout réside dans le mystère des choses qui n’existent plus mais qui ont eu lieu. Nous ne sommes que des archéologues à la recherche des cités disparues dont on ignore les emplacements.

             En diabolique illusionniste Marie Desjardin recompose le jeu de perles brisées de Morrison. Un incroyable tour de passe-passe, elle joue le rôle de Méphisto  ressuscitant pour obéir à Faust le fantôme d’Hélène de Troie, lui ordonnant pour cela de repasser la porte des Enfers, ce porche obscur de toute existence humaine… Las, elle laisse couler à terre, de la paume de son évocation, entre les doigts de ses mots, le sable des verroteries irisées, et tout s’efface. Cruauté de la littérature ! Elle nous a permis d’être le temps d’une lecture des voyants alchimiques et nous ne sommes plus que des voyeurs dépités.

    Seule l’aile brisée d’un ange rilkéen sépare le fou et le flou.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 548 : KR'TNT 548 : ROBERT PALMER / DION / WILDHEARTS / SAILORS / BOB DYLAN / BACKBONE / ELVIS PRESLEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 548

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 03 / 2022

     

    ROBERT PALMER / DION

    WILDHEARTS / SAILORS

    BOB DYLAN / BACKBONE

    ELVIS PRESLEY

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 548

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

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             Dans sa vertigineuse bibliographie, Robert Gordon cite aussi Robert Palmer, un journaliste/musicologue/saxophoniste new-yorkais qui, tombé follement amoureux du blues, décida de lui consacrer sa vie. Il est allé creuser aux racines du Delta blues pour écrire Deep Blues, un livre d’une densité spectaculaire. Comme Dickinson, Stanley Booth et Robert Gordon, Palmer entre dans la catégorie des écrivains inspirés. Leur point commun est une passion pour le Memphis Sound.

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             Dans Deep Blues, Palmer raconte l’incroyable histoire de la plantation Dockery, située au bord du fleuve, à Cleveland, Mississippi, un endroit où traîne, dans les années vingt, l’ineffable Charley Patton. Palmer raconte aussi dans le détail the big flood que chante Patton, et les pérégrinations des ramblers, qui jouent de ville en ville for a nickel or a dime. Palmer décrit aussi l’ambiance de Maxwell Street à Chicago - Jewtown was jumpin’ like mad on Sunday morning - et tous ces blacks venus du Delta who liked their music rural and raw - Oui, Maxwell Street, l’aboutissant de ce tenant qu’est le Delta, puis le fameux radio show d’Helena King Biscuit Time qui rend Rice Miller célèbre et que le jeune Ike Turner, qui grandit à Clarksdale, écoute attentivement. Palmer brosse un portait en pied de Muddy, un Muddy qui un beau matin fait dire à Monsieur Fulton qu’il est malade, puis il revêt son seul costard, met quelques affaires dans une valise, dit au-revoir à sa grand-mère et attrape the Illinois Central train à Clarksdale à 4 h de l’après-midi pour monter à Chicago. Muddy ne peut pas prétendre avoir inventé le blues électrique, mais il a le premier groupe de blues électrique connu, le premier à utiliser des amplis pour sonner plus loud, plus raw. Palmer explique à longueur de temps que le blues revient de loin : ceux qui le jouaient et le chantaient ne possédaient rien et vivaient dans une forme de servage virtuel. Et si on demandait à un pasteur noir, à un petit propriétaire ou à un habitué de la messe qui étaient ces gens qui chantaient et jouaient le blues, ils répondaient tous : «The cornfield niggers.» Le blues est avant toute chose une sociologie. Ceux qui haïssaient les blacks n’étaient pas forcément les patrons blancs des plantations, mais plutôt les blancs pauvres, ceux qu’on qualifie de white trash. Ce sont eux qui lynchaient les nègres. Les patrons blancs ne pouvaient plus les protéger. Muddy raconte aussi qu’il vit Robert Johnson étant jeune - It was at Friar’s Point. He coulda been Robert Johnson, they said it was Robert. I stopped and peeked over and then I left. Because he was a dangerous man - Palmer ajoute que comparé à Robert Johnson, Muddy est plus conservateur, musicalement. Si Robert avait continué à vivre, il aurait sans doute développé an electric jazz-influenced brand of modern blues, alors que Muddy en restait aux rich ornemented pentatonic blues melodics à la Son House et à la Charley Patton. Les débuts de Muddy à Chicago ne furent pas évidents. Leonard Chess l’auditionna et ne réagit pas. C’est Evelyn Goldstein qui le trouva bon et qui vit son potentiel. Mais après le raté du départ, Muddy eut une bonne relation avec Leonard le renard - I didn’t even sign no contract with him, no nothing. It was just ‘I belong to the Chess family’ - Leonard traitait tout le monde de motherfucker, sauf Muddy qu’il traitait en parfait gentleman - on the basis of absolute mutual respect - Malcolm Chishom précise un point capital - Leonard didn’t know shit about blues, but he knew an awful lot about feeling. He could feel music.

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             Muddy, Charley Patton, mais aussi Pops Staples qui a grandi lui aussi sur la plantation Dockery qu’il quitte à l’âge de 20 ans pour monter à Chicago - Charley Patton stayed at what we called the lower Dockery place and we stayed on the upper Dockery - C’est Charley qui pousse Pops à jouer de la guitare. Wolf traîne aussi à Dockery et c’est aussi Charley qui lui apprend à jouer de la guitare, en 1929 - It was Patton who started me off playing - Wolf bourlingue aussi avec Robert Johnson et Rice Miller dans le milieu des années trente et prend en mains Johnny Shines et Floyd Jones. Le groupe de Wolf va être bien plus primitif que celui de Muddy, Wolf hurle comme Charley Patton, blowing unreconstructed country bues harmonica, his band featured heavily amplified single-string lead guitar by Willie Johnson - Eddie Shaw fait une description apocalyptique du son de Wolf sur scène : «Muddy never had the energy Wolf had, not even at his peak. Muddy would rock the house pretty good, but Wolf was the most exciting blues player I’ve ever seen.» Palmer ajoute : «Muddy was the superstud, the Hoochie Coochie Man. Wolf was the feral beast.» Et Sam Phillips ajoute : «When I heard Howlin’ Wolf, I said, ‘This is for me. This is where the soul of man never dies.’ Then Wolf came over to the studio, and he was about six foot six, with the biggest feet I’ve ever seen on a human being. Big Foot Chester is one name they used to call him. He would sit there with those feet planted wide apart, playing nothing but the French harp and, I tell you, the greatest show on earth you could see to this day would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God, what it would be worth on film to see the fervor in that man’s face when he sang. His eyes would light up, you’d see the veins come out on his neck and, buddy, there was nothing on his mind but that song. He sang with his damn soul.» Palmer insiste sur le jeu de Willie Johnson et ses thunderous power chords, the most electric guitar sound that had been heard on records. Et le premier à flasher sur le son de Willie Johnson fut Paul Burlison. On est en 1952, et Paul, les frères Burnette et Elvis travaillent tous à la Crown Electric Company. Et cette filiation va remonter jusqu’à l’Anglais Mick Green qui flashe à son tour sur le son de Burlison. Mick combine lui aussi le lead avec la rythmique et devient l’idole d’une nouvelle génération de guitaristes britanniques qu’on connaît bien, Wilko en tête. Robbie Roberston et Roy Buchanan flashèrent eux aussi sur le jeu de Willie Johnson. Voilà comment se construit la légende du rock. Merci Dockery, car oui, il faut remonter à Charley Patton, qui se trouve à l’origine de tout, un homme au cœur de pierre - a heart like railroad steel - un Patton qu’on disait «lubricated» en studio, mais, rappelle Palmer, on leur servait à boire pour les décontracter, un Patton qui n’allait jamais voir un médecin, car comme le précisait Son House, he would have sought out a hoodoo doctor or root man.

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             Oui, Son House, lui aussi à l’origine de tout et qui comme tous les gens du Delta portait une arme, bim bam, légitime défense et petit stage en 1928 à Parchman Farm, avant d’être relâché deux ans plus tard par un juge qui lui conseille de ne pas rester à Clarksdale, et puis voilà Johnny Shines qui voyage avec Robert Johnson - who was kind of long-armed -  et qui jouait mieux que tous les autres, un Robert qui restait sur son trente-un quelle que fut l’heure - Sharp enough to attract a crowd and attract a woman - un Robert qui fait sonner son acou comme une guitare électrique, avec ses high-bottleneck lead lines et ses driving bass riffs. Quelle galerie d’ancêtres prestigieux ! Le rock moderne peut être fier de tous ces vieux blackos de choc. Tiens et puis Rice Miller, alias Sonny Boy, le mystérieux Sonny Boy Williamson the Second, mais jusqu’au dernier jour, il clamait qu’il était le vrai Sonny Boy et que l’autre Sonny Boy, quinze ans plus jeune que lui, lui avait barboté son nom. Un Rice Miller qui se retrouve arrêté pour vagabondage et qui passe un mois au trou nourri, logé, à condition de jouer, alors ils se font, son pote Lockwood et lui, mille dollars et on leur amène du moonshine et des putes toutes les nuits en cellule, typical Rice Miller ! Un Rice Miller qui jouait avec son harmo soit dans la bouche, soit coincé comme un cigare sur le côté, qui était capable de jouer tout ce qu’on lui demandait et lorsque sonnait l’heure de l’émission et que l’annonceur clamait ‘Pass the biscuits’, Rice et Robert Lockwood se mettaient à jouer le thème du King Biscuit Time, un jump-tempo blues - We’re the King Biscuit boys/ And we’ve come out to play for you - Rice dépensait aussitôt tout ce qu’il gagnait en alcool, en femmes et au jeu, alors que Lockwood économisait pour s’acheter une Pontiac. Pas n’importe qui non plus, ce vieux Robert Lockwood, puisque Robert Johnson draguait sa mère, et comme il avait le môme à la bonne, il lui apprit à jouer le blues - I think I’m the only one he ever taught - Méchant veinard ! Et quand Robert Johnson mourut comme on le sait empoisonné, Robert n’eut pas le courage d’aller à son enterrement. Trop de chagrin. Il lui fallut un an pour surmonter son chagrin et se remettre à la guitare. Mais il chialait, chaque fois qu’il grattait un mi. Alors pour chialer un peu moins, il se mit à composer.

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             En plus de Rice Miller et de Robert Lockwood, on trouve aussi Little Walter à Helena. On raconte que Rice Miller sauva la peau du jeune Little Walter dans un juke-joint : une gonzesse l’attaquait avec une lame et Rice sortit la sienne. Little Walter vivait déjà à la dure, il dormait sur les tables de billard et il dépendait de la générosité des autres pour les clopes et la bouffe. Tous ces mecs, Elmore James, Muddy, Wolf, Sonny Boy, Little Walter, Jimmy Rogers, Roger Nighthawk et Johnny Shines viennent du même coin. On peut même parler de triangle magique Helena/Clarksdale/Memphis. Et Ike monte à Memphis enregistrer chez Sam qui sait - Sam Phillips, with a shock of bright red hair, a pair of piercing blue eyes and a gift for oratory worthy of a country preacher - Sam est ravi d’enregistrer les blacks - I thought it was vital music. I don’t know whether I had too many people agree with me immediately on that - Méchant visionnaire ! Mais comme il a bossé gamin dans les champs de coton, il connaît bien les gens qu’il va enregistrer plus tard, les blancs comme les noirs. Sam est intarissable sur Ike : «People don’t know that Ike Turner was the first stand-up piano player.» C’est Ike qui invente la distorse avec son ampli crevé, lorsqu’il enregistre le fameux «Rocket 88» - Step in my rocket/ And don’t be late - Entre 1950 et 1954, Sam et Ike vont enregistrer the most outstanding blues performers to be found in Memphis and the Delta. Les teenagers branchés du coin n’écoutaient plus que de la nigger music. La country était réservée aux blancs pauvres et aux péquenauds. Par la violence de son jeu, Ike va lui aussi influencer des tas de guitaristes - Turner would keep up a machine-gun-like barrage of turtuously twisted high notes, bent and broken chords and reiterated trebble-string riffing at the very top of the neck - Et Palmer en arrive à expliquer que le seul qui pouvait lancer l’idée du country blues d’Elvis ne pouvait être que Sam. John Lee Hooker vient lui aussi de Clarksdale et son beau-père Will Moore fréquentait Charley Patton. Mais comme Will Moore venait de Louisiane, il avait une façon de jouer le blues plus hypnotique, one-chord drone blues with darkly insistant vamping, ce qui va bien sûr forger l’esprit d’Hooky. Un Hooky qui cite Albert King comme l’un de ses guitaristes de blues favoris, un Big Albert qui comme Ike va s’installer à Saint-Louis pour démarrer. Mais plutôt que d’imiter B.B. King ou Elmore James, Big Albert va créer une synthèse, playing single-string leads with a broady metallic tone and brawny, heaving phrases that seemed to dig into the beat from the underneath - Palmer parle aussi de menacing riff rock, de bulldozer rhythm, de high-energy guitar leads, oui Big Albert, c’est tout ça, et son album Born Under A Bad Sign est considéré comme the most influential blues album of the sixties. Quant à Little Miton, il vient du même coin, de Greenville. Il pouvait sonner comme n’importe quel autre guitariste de blues, et bien sûr, il démarre chez Sam. Palmer finit son impressionnante galerie de portraits avec Guitar Slim qui fait carrière à la Nouvelle Orleans, et Jimmy Reed qui allait devenir l’un des bluesmen les plus populaires de son temps. Sonny sortit de ce livre un peu sonné.

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             Robert Palmer tourne aussi un film en 1991, Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. On y voit RL Burnside gratter le North Mississippi Hill Country Blues chez lui, sur une vieille Fender. Il joue assis sur le perron de sa vieille cabane en bois. Un seul accord, withey. Tout est là. Puis voilà Jessie Mae Hemphill, Abe Young et Napoleon Strickland au fife. Bouncing Ball ! Il émane d’eux quelque chose de très ancien, qui doit remonter à l’antiquité. Sans doute est-ce dû à la grâce du son de fifre, très fellinien. Jessie Mae chante et joue le blues, pas de problème. Elle a quelque chose d’Indien dans le visage. Une prestance d’histoire de destins croisés et de sangs mêlés, de l’ordre du vertige de l’histoire du monde. Ce qu’elle fait est mille fois plus garage que ce que font tous les groupes modernes réunis. Le réalisateur Robert Mugge a l’intelligence de ne pas couper les chansons. Jessie Mae et Rural ont besoin d’une certaine distance pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Et voilà Junior Kimbrough qu’admirait tant Charlie Feathers. Encore une belle leçon de blues. Épouvantable section rythmique, c’est swingué à l’Africaine rampante, une pure merveille de boogaloo. Kimbrough est littéralement lumineux. Il émane de lui toute la bonté de la terre et une sorte de doux génie. Puis Palmer débarque à Greenville pour évoquer la légende de Nelson Street en compagnie de Roosevelt Booba Barnes, un homme des bois couvert de bijoux et effrayé par la caméra. Il joue une sorte de Chicago blues sur une strato noire. Il y a quelque chose d’ineffablement raw dans son style, il gratte ses notes au pouce. On aurait bien aimé qu’il fasse son Eddie C. Campbell. Puis on fait une halte à Clarksdale, le temps de voir Big Jack Johnson claquer son boogie blues. Encore un roi du raw. Un king du cut. Un boss du blues. Un cake du twang. Fabuleuse présence ! Il joue à l’onglet de pouce et pique de vilaines crises de bottleneck. Wow, la teneur de la tenue !

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             Le petit frère de Deep Blues s’appelle You See Me Laughin’, un docu Fat Possum initié par Matthew Johnson, boss de Fat Possum. Le principe du doc est d’aller rendre visite aux vieux de la vieille, The Last Of The Hill Country Bluesmen. On voit CeDell Davis jouer sur son Epihone bleue avec un couteau à beurre. Il raconte qu’il aime les fat women, qu’il a chopé la typhoïde en 1933 et la polio en 1934 - I’ve got one hand but I can play guitar - Rien que pour cette séquence, il faut voir le film. CeDell raconte aussi qu’il jouait avec Robert Nighthawk et là, on retourne dans le book de Robert Palmer. Le pauvre Cedell s’est battu aussi longtemps qu’il a pu, mais son cœur a fini par le lâcher en 2017. Bienvenue chez T. Model Ford ! Il joue sur un gros Peavey et gratte une guitare de metaller. RL Burnside joue la pétaudière avec son fils adoptif Kenny Brown qui est blanc. On les voit taper «Snake Drive» sur scène - On drums, my grandson, Mr Cedric Burnside ! - On annonce aussi la mort de Junior Kimbrough et la disparition de son légendaire juke-joint qui a pris feu. Tout le monde dansait dans ce juke de rêve. Le défaut du docu, c’est qu’on y voit la gueule à Bono, et ça ruine tout. Dommage.

    Signé : Cazengler, Robert Palmerde

    Robert Palmer. Deep Blues. Prentice Hall 2001 

    Robert Mugge & Robert Palmer. Deep Blues - A Musical Pilgrimage To The Crossroads. DVD 1991

    You See Me Laughin’. The Last Of The Hill Country Bluesmen. DVD Fat Possum 2003

     

    Nom de Dion !

     

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             Dion reste la plus obscure des stars de l’urbano-ritale Americana des fifties. Si on ne jure que par Dion, c’est un peu la faute de Johnny Thunders qui ne jurait que par lui. Johnny et Dion avaient deux sacrés points communs : ils partageaient la ritalité des choses et un goût prononcé pour la junk-culture. «Heroin was instant courage», dit Dion today. «It was complete confidence. It did for me what I couldn’t do for myself.»

             Grâce à Dion, on tombe sur un concept monumental : the hydrogen jukebox. Ce concept est de la même importance que l’extraordinaire «Salon des Incohérents» découvert chez François Caradec. Ce sont des concepts qui éclatent comme des révélations et qui pulvérisent la monotonie du quotidien. Davin Seay : «The voice of Dion came exploding out of what Allen Ginsberg called the ‘hydrogen jukebox’ in the ‘50s. Dylan himself would write in the liner notes of the 2000 Dion retrospective King of the New York Streets.» Il n’y a pas que Dylan et Johnny Thunders qui s’extasièrent à l’écoute de l’hydrogen jukebox. Lou Reed a toujours eu du flair pour les goodies : «Lou Reed put it, «to do all the turns... stretch those syllables so effortlessly, soar so high he could reach the sky and dance among the stars forever.»

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             Dans un vieux numéro de Mojo, l’érudit Davin Seay nous troussait un portrait en pied de Dion, dans une langue râpeuse, pas très élastique, pleine de proéminences intéressantes, hérissée de formulations inconfortables, mais d’une redoutable efficacité sémantique. Davin Seay balançait ses vérités émotionnelles comme d’autres énonçaient des paroles d’évangile. Il fallait au moins cela pour restituer la grandeur d’un personnage de légende comme Dion. «With hindsight it’s all too easy to ascribe inspired intent to Dion’s personification as one of the most enduring archetypes in pop history, a stylistic social statement that would, in time, become shorthand for the very essence of Cool itself.» Mister Cool, c’est bien ainsi qu’on perçoit Dion.

             Même si la réalité urbaine du Bronx nous échappe complètement à nous autres les franchouillards mal dégrossis, il faut bien admettre que l’histoire de Dion fascine. «Me and the guys weren’t singing doo wop in front of the candy shop or riding the ‘D’ train», he asserts. «At least we didn’t call it doo wop. It was shotgun Boogie and Lawdy Miss Clawdy and Stagger Lee.» Dion se souvient de ses débuts. Il a eu la chance comme Johnny Cash de se trouver au bon endroit au bon moment. Pendant que le sombre Cash forçait la main de Sam Phillips à Memphis, Dion allait enregistrer des démos au studio Allegro. «I went down on my own to Allegro studio, in the middle of Tin Pan Alley, and cut a demo of Carl Perkins’ Bop The Blues. Pure rockabilly, even though I didn’t know that’s what you called it.» Dion ne se limitait pas au rockab. Il lorgnait aussi vers le blues, et pas n’importe lequel. Dion en a bavé : «I love Burl Ives and Robert Johnson, whose sound took me a long time to translate. It seemed so alien at first, like Chinese music from across a huge ocean.» Et on tombe au plein cœur de ce texte dense et tumultueux sur un hommage terrible à Hank Williams. Cash qui écrit pourtant si bien n’aurait pas fait mieux : «Hank was a high lonesome spectre that, once heard, haunted everything Dion would ever do : ‘He taught me that there might be three verses to a song’, he explains with mystical certitude, ‘but there’s a fourth verse you never hear and that’s the singer... his life, his story, what he brings to the music. That’s what Hank did. He told stories, in that half-talking, half-singing way, philosophing about life on tunes like Pictures From The Other Side and the Funeral.’»

             Et puis on rentre de plein fouet dans la mythologie des gangs, période «Wanderers». Dion fit partie des gangs ritals de New-York. «It was what writers Jane and Michael Stern dubbed ‘hoodlum Baroque’ and Richard Price, author of The Wanderers, would summon up with ‘sharkskin pants, Flagg Brothers dagger-toed roach killers and waterfall pompadours’. It played gleefully on the mainstream panic of juvenile delinquincy and found its own kind of eloquent cultural choregraphy in 1961’s West Side Story, with every artful leap of Jerome Robbins’ homoerotic Jets and Sharks.» Dion va de gang en gang : «Subsquently graduating to the altogether more resolute Baldies, who took their name from the American bald eagle, he skirmished with the Imperial Hoods, the Italian Berettas and the Golden Guineas in turf wars replete with zip guns and brass knuckles.»

             Davin Seay est impérial pour décrire l’ampleur du phénomène Dion : «Reaching the top 30 in the spring of 1958, I Wonder Why achieved in two minutes and 19 seconds a crackling fusion between the music’s street corner legitimacy, exemplified in the Belmonts’ rumbling glissandos, and its vast commercial potential, riding on a rarified updraft of Dion’s clarion lead.» Et ça continue de plus belle : «In between, on stray album cuts like Wonderful Girl and the glorious That’s My Desire, they managed to hold on what had once held them together, that mutual thrill of close-bended harmony.»

             Dion est comme Big Jim Sullivan qui a failli prendre le taxi mortel de Gene Vincent et Eddie Cochran : il est passé à deux doigts de la mort mythique : «He had in fact already felt the chill brush of mortality back in 1958 when, as part of the Winter Dance Party Tour, promoting A Teenager In Love up and down the midwinter Midwest, only his famous frugaliry kept him from buying a seat on the plane ride that took out Buddy Holly, Ritchie Valens and the Big Bopper. «They hired a charter to fly them to the next gig early so they could get off the tour bus for awhile and sleep in a real bed. My share was going to be 35 dollars, a month’s rent fo my parents. I passed.»

             À certains moments, Davin Seay devient pharaoniquement biblique. «But from the opening notes of Dion’s poignant and supremely assured rendition (Abraham, Martin and John), it belongs, like the rest of his canon, solely to him, with Gernhard’s masterfully modulated clarinets and harps and church organ giving the heartfelt sentiments a fitting cinematic sweep... and a generational resonance.»

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             Si on est assez solide pour supporter la variété américaine des early sixties, on peut essayer d’écouter les premiers albums de Dion parus sur Laurie. Quand on écoute Alone With Dion paru en 1961, on voit bien que Dion s’imposait déjà. «PS I Love You» était en fait une merveilleuse pièce de slowah des early sixties, un froti de rêve. Il reprenait sur cet album «Save The Last Dance For Me» et il avait l’avantage de bénéficier d’une vraie voix de stentor. Il pouvait aussi rivaliser avec Sinatra, en attaquant des bluettes comme «Close Your Eyes» et passait au jazz kitschy avec «Fools Rush In». Il a une si belle voix qu’il peut faire le «My One And Only Love» au bar de nuit de charme fatal et taper dans Broadway sans aucun complexe avec «North East End Of The Corner». Fantastique interprète.

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             Runaround Sue date aussi de 1961, et ça ne nous rajeunit pas. Le morceau titre fut le premier hit américain de Dion. On dit que ce sont les Beatles qui l’ont détrôné. Il faut dire que Dion se situait à la lisière de la pop de fête foraine. Il avait déjà ce qu’on appelle une voix, c’est vrai, il suffit d’entendre «Life Is But A Dream» pour s’en convaincre. Sur cet album se trouve l’autre grand hit de Dion, «The Wanderer», un swing du Bronx pour le moins extraordinaire. Il chante du nez, c’est en place, mais aujourd’hui, qui va aller écouter ça ? On retrouve le doo-wop qui fit sa réputation dans «In The Still Of The Night». Dion faisait ce qu’il voulait avec sa voix, même une version bon enfant de «Kansas City» 

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             Lovers Who Wander paraît en 1962. Voilà un album plein de jus. Si tu veux connaître Dion, écoute Dion. Si tu n’écoutes pas ses premiers albums, tu ne pigeras rien au personnage. Il démarre avec le morceau titre qui est le twist du dépôt de la Demi-lune, bien crooné aux chœurs de juke. Comme Dion est un être joyeux, il chante «Come Go With Me» soir et matin, il chante sur les chemins. C’est Bobby Keys qui joue du sax. Avec «Little Diane», il tape dans la vraie pop de désespoir du Bronx. Il prend aussi «Stagger Lee» à la meilleure volée et il passe aux choses très sérieuses avec une reprise de «Shout». Cet album est surprenant de bout en bout. Son Shout vaut tout l’or du Rhin. Quelle énergie ! Il peut tenir longtemps au meilleur jus de juke - She’s good to me/ I’am alrite now - Quel jiver ! Il repart comme un beau diable, c’mon now ! Il retrouve son statut de chanteur extraordinaire avec «Born To Cry» et revient au rock du Bronx avec «Queen of The Hop».

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             Donna The Prima Donna est un pur album de jerk. Avec le morceau titre, Dion tape directement dans le doo-wop des camors. Il faut écouter ça ! Dion mène le bal, c’est indéniable. Pow pow pow, voici «Can’t We Be Sweethearts» embarqué à la fièvre de juke. Dion nous swingue ça à la vie à la mort. C’est admirable de tenue et les autres font du bow bow bow en descente. «Sweet Sweet Baby» ? Mais c’est le jerk du New York des années 50. Dion jerkait déjà l’oss de l’ass. Encore du vieux jerk de rital new-yorkais avec «This Little Girl Of Mine». Sacré Dion, c’est fou ce qu’il sait jerker. Il sait rendre les choses terriblement excitantes. Et c’est torché au sax. Par contre, il tape «Flim Flam» au riff du delta. Quelle classe. On a des clap dans l’oreille gauche. Voilà un cut qui préfigure les Beach Boys. C’est swingué aux clap-hands. Quel fantastique développement ! Même chose pour «This Little Girl» qui est swingué aux clap-hands. Tout ça se déroule dans les jukes new-yorkais et Dion chante comme un démon. Avec «You’re Mine», Dion retape dans le heavy boogie blues. Il est malin comme un renard. Il multiplie ses ooh yeah. Pour l’époque, c’est d’une grande modernité. Il faut aussi écouter «I Can’t Believe», joué à la guitare expansive de flamenco et secoué aux castagnettes. Il connaît les ficelles.

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             Sur la pochette de Ruby Baby, Dion porte un joli pull rouge. Dès le morceau titre qui fait l’ouverture, on retrouve cette voix extraordinaire et colorée qui le rendra indispensable. Ruby est bardé de bonnes dynamiques. Quel son ! Voilà le pur jive new-yorkais, un son en qui tout est comme en un œuf aussi rond qu’harmonieux. Avec «Go Away Little Girl» et sa subtile orchestration, Dion se rapproche de Fred Neil. Il peut aussi rocker la boutica comme on le constate à l’écoute de «Gonna Make It Alone», d’autant qu’il a derrière lui des chœurs de rêve. De l’autre côté rayonne «Will Love Ever Come My Way», pur jus de doo-wop. Leur son est bourré de bonne énergie. Tous les morceaux de cet album sont agréables et bien foutus et il termine avec «Unloved Unwanted Me», une belle pièce pantelante de pop, montée sur un beau son de basse et ça drumbeate bien jungle, avec un léger parfum d’exotica.

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             Fin de l’époque Laurie avec Love Came To Me : doo-wop de rêve (le morceau titre) et coups d’acou bien rythmés («So Long Friend»). On goûtera l’élégance primordiale d’«Heaven Help Me» et la voix de rêve du dieu Dion dans «Then I’ll Be Tired Of You», cut visité au loin par une belle trompette. C’est même admirable d’élasticité mélodique. Oui, Dion chante comme un dion. Il n’est pas convenable d’être aussi primordial. Sion aime Dion, il faut aussi écouter le bon kitsch de «Kissin’ Game». Il crée une sorte d’extase et c’est violonné à la ritale. Dion sonne comme Dylan dans «Candy Man», même timbre new-yorkais. Et il passe au gospel avec «I’m Gonna Make It Somehow». Il tire l’énergie du gospel et les chœurs montent avec des ahhh et des ouhhh, hallelujah ! Il revient au très beau «PS I Love You» d’une extrême pureté mélodique. Quand c’est servi au chant par une voix d’ange, ça devient intolérablement bon. Encore une merveille avec «Could Somebody Take My Place Tonight», fantastique pièce de swing - I love you so ! - C’est embarqué à la stand-up et tapé à l’austère swing new-yorkais.

             Jon Mojo Mills tend son micro à Dion pour Shindig!. Dion dit avoir découvert le blues grâce à John Hammond qui lui passe des albums de Robert Johnson, Furry Lewis, Leroy Carr et Fred McDowell. Il dit suivre le même parcours que Keith Richards, de l’autre côté de l’Atlantique. Pour lui, la force des sixties réside dans le fait que la musique commerciale était aussi du grand art - Oh this is artistic and that’s commercial -  Dion a aussi une anecdote marrante sur John Lennon : il raconte qu’en 1965, il tombe sur John et Ringo dans une boutique de fringues de la 57e rue. John et Dion achètent le même leather jacket. John qui est fan de Dion lui dit qu’il adore «Ruby Baby» et qu’il le jouait sur scène au Star Club de Hambourg. Et donc, le portrait de Dion qui est collé sur la pochette de Sgt Pepper a été découpée sur la pochette de «Ruby Baby». Dion et Dylan sont les seuls musiciens américains à figurer sur la pochette de Sgt Pepper - Yeah good company

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             Wonder Where I’m Bound sort en 1969, année érotique. Avec «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», Dion sonnerait presque comme Fred Neil. Il navigue aux confins du folk et de la pop élégiaque de type Brill. Quelle ampleur ! Il enchaîne avec une belle cover d’«It’s All Over Now Baby Blue» signé Dylan, comme chacun sait. Oh attention, il prend «A Sunday Kind Of Love» au chat perché, mais il pose si bien sa voix que ça tourne au pur régal. Ce mec est un chanteur exceptionnel, il travaille sa mélodie au demi-chat perché et crée des effets mirifiques. Il prend «Now» à l’ampleur mélodique de la Belmont-mania. C’est une fois de plus digne du Brill. Il tape aussi dans le «Southern Train» de Big Dix. C’est envoyé au choo-choo-shuffle d’harmo et aux vieux coups d’acou, ça joue au gimmick exacerbé par devant et ça strumme comme dans l’Arkansas par derrière. S’ensuit un heavy blues de rêve, «The Seventh Son». Dion le prend à la perfe. Il a une vision exceptionnelle du son. Et il faut entendre la profondeur du son de guitare ! C’est un véritable coup de génie. Le solo s’inscrit dans la voix de son maître et c’est bardé d’effets prescriptifs de la pire espèce.

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             En 1968 sort Dion sur Laurie. Attention, c’est un très bon disque. Il attaque avec l’un de ses hits, «Abraham Martin & John», un pur hit sixties, l’un de ces hits doux qui ensorcelaient, comme ceux de Fred Neil ou de David Crosby. Il enchaîne avec une version balladive du «Purple Haze» de Jimi Hendrix. Il chante d’une voix à l’accent tranchant et il jazze le jive hendrixien à la manière de Duffy Powers. Ça groove et ça flûte sur le delta du Mekong jusqu’à l’horizon. Il fait aussi une reprise du «Tomorrow Is A Long Time» de Dylan, jouée au doux balladif de voix insistante et le couple avec l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil, comme par hasard. Dion sait manier la beauté pure. Il passe au heavy blues des ténèbres avec «Sonny Boy». Il sait créer les conditions de la magie. Il revient à Fred Neil avec «The Dolphins». Il chante d’une voix tellement parfaite qu’il peut aller traîner dans les eaux de Fred Neil sans rougir. Il a le même sens océanique. On est là dans la pureté mélodique absolue. En B, on tombe sur un «Sun Fun Song» assez élégiaque, mélodique et orchestré aux trompettes de Sgt Pepper. Dion maintient le cap mélodieux d’une voix d’accents tranchants. Quelle ampleur ! Encore de la pure magie mélodique avec «From Both Sides Now». Une vraie fleur du paradis. Il oscille d’une voix de rêve éveillé.

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             Avec Sit Down Old Friend paru deux ans plus tard, il entre dans une période résolument folky folkah. Diaphane et éperdu, «Natural Man» sonne comme du Nick Drake. Dion porte une petite moustache et il ressemble au batteur de Creedence. Il tape son «Jammed Up Blues» à coups d’acou et il fait le virtuose à la manière de John Hammond. Dion est un fantastique guitariste de blues ambiancier. Il tape plus loin une cover de «You Can’t Juge A Book By The Cover» et fait son petit primitif. Il attaque sa B avec une reprise de Jacques Brel, «If We Only Have Love» et ça sonne comme «Le Partisan». Mais ça ne fonctionne pas. Avec «Sweet Pea», il revient au blues de primate évolué. Pas de doute, Dion sait jouer le blues. Avec le morceau titre qui referme la marche, on note l’excellence du timbre de Dion.

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             On considère Sanctuary comme un classique, mais ce n’est qu’un album de folk américain sans retentissement, même si certains cuts comme le morceau titre sont des balladifs d’ampleur considérable. Avec «Willigo», on ne retient que la voix. Toujours la voix. Rien que la voix. De cut en cut, Dion touille son petit brouet de folkah sans se presser. En B, il tape son vieux «Wanderer» à coups d’acou et revient aussi sur «Abraham Martin & John». Le grand art de Dion, c’est cette façon de chanter perché à l’harmonique tutélaire. Il reprend aussi son vieux «Ruby Baby» et ça passe comme une lettre à la poste.      

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             La même année sort You’re Not Alone, et sur la pochette, il gratte ses poux. Donc pas de surprise. On se régale de «Sunniland», balladif doux et intimiste. Dion est un être chaud et humide. Il sait gérer la douceur du temps qui passe. Arrive «Windows», folky comme pas deux et beau comme un cœur. Pas de vagues. Tout est paisible sur cet album. Son «Peaceful Place» est magnifique de pacifisme éberlué. Dion sait poser sa voix sur l’eau calme d’une étendue. De l’autre côté, il tape à deux reprises dans les Beatles. D’abord avec «Let It Be», puis avec «Blackbird». Mais le hit de l’album, c’est «The Stuff I Got», joué au blues rock de bonne augure et swingué à l’acou. Dion est un petit futé. Il garde ses vieux réflexes belmontiens. Voilà ce qu’il faut bien appeler un cut parfait, ce qui est toujours plus intéressant qu’un cul parfait. Il fait aussi des miracles avec «Josie». Il fait couler son miel de voix mélodieuse sur le velours de ton estomac.       

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             L’année suivante, il revient au folk pur avec Suite For Last Summer. Avec «Running Close Behind You», il tape dans le folky road blues. Il nous gratte ça au petit gimmick scintillant et il chante avec l’autorité d’un donneur de leçons. Les parties de guitare sont comme toujours parfaitement exquises. Il fait de sacrées confidences dans «Traveller In The rain» - I’m a friend of the darkness/ Traveller in the rain/ I’ll be gone before the daybreak comes again - Et il enchaîne avec «Tennessee Madonna», une belle chanson d’amour hantée. Cet album est celui des balladifs romantiques. Tout est beau et chanté d’une voix pleine aux as, comme par exemple «Jennifer Knew», balladif violonné aux nappes brunes d’un automne fuyant. 

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             Comme Brian Wilson, Dion fait l’expérience d’un enregistrement avec Phil Spector. Il s’agit de Born To Be With You. On retrouve tout en double : «There were ten guitar payers, nous dit Dion, «as many backing singers, two drummers, two bass players, two vibists, and even more people on the control booth.» Totor voulait Dion, et Dion voulait Totor. Mais ça ne s’est pas très bien passé et Dion est parti avant la fin. Il manquait deux morceaux. Cet album fait partie des classiques du rock américain. Dès le morceau titre, on retrouve la patte d’écho spectorienne. On compte pas mal de célébrités dans le studio : Jesse Ed Davis, Hal Blaine, Klaus Voorman, Jerry Cole, Bobby Keyes, Barry Mann, pour n’en citer que quelques-uns. Dion et Totor tapent dans «Make The Woman Love Me» de Mann & Weil, une pièce de pop extraordinaire. Retour au pur Spector sound avec «(He’s Got) The Whole World In His Hands». Dion chante à la décontracte du Bronx. Il fait son ménestrel de l’impossible et ça marche. De l’autre côté, il tape dans «Only You Know», un hit de pop lourde signé Spector & Goffin. Inutile d’ajouter que c’est un hit parfait, hanté de l’intérieur par un beat lourd et majestueux. «New York City Song» est l’un des deux titres non produits par Totor. C’est une pure merveille - Ain’t it funny baby/ That we’ve taken different roads - Et on revient à la pop de rêve avec un «In And Out Of The Shadows» signé Spector & Goffin. C’est la combinaison gagnante : la voix, la chanson, le producteur de génie, donc le son. Dion chante ça à gorge déployée. Il devient alors l’un des géants d’Amérique. 

             Pour les beaux yeux de Jon Mojo Mills, Dion revient sur l’épisode Totor - Working with Phil Spector was a trip - Il dit être allé dans son château de Los Angeles. Totor et lui répétaient ensemble les chansons de l’album dans cette pièce où se trouvait le piano, la table de billard et des tas de portraits au mur, Muhammad Ali, Einstein, Friedrich Nietzsche, Bertrand Russell, Bernard Shaw, avec lesquels nous dit Dion Totor s’identifiait complètement. C’était un mec très différent, quite tumultuous, a little crazy, but I loved being with Phil. Son ami Nino Tempo jouait de la trompette. Il évoque aussi la foule dans le control room pendant l’enregistrement, Sonny & Cher, Springsteen, et même Jack Nicholson. Avec le recul, il pense que Born To Be With You est l’album parfait. Ça tombe bien car on pense exactement la même chose. 

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             Le morceau titre de Sweetheart est une pure merveille de pop violonnée à la Fred Neil. Encore de la pop de rêve ! «The Way You Do The Things You Do» qui ouvre le bal de l’album est de bonne augure, car c’est de la good time music new-yorkaise finement violonnée et Dion chante à l’admirabilité suprême des choses. Avec «Queen of 59», Dion sonne comme le Kim d’«International Heroes». Par contre, «You Showed Me What Love Is» va plus sur le rock, avec un beat plus soutenu. Dion retrouve vite ses marques océaniques avec «Hey My Love» et «On The Night», cette pièce de grande pop américaine qui prend bien son temps et que rien ne presse. Nom de Dion, quelle élégance ! Un léger parfum de Stonesy plane sur «Lover By Supreme». Dion sait faire claquer ses vieux accords - I’m a lover boy supreme !   

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             Pochette putassière pour Return Of The Wanderer qui sort en 1978. Avec «Heart Of Saturday Night», il donne le la : il va droit sur la good time music, celle qui fait battre les petits cœurs adolescents. Il prend le prétexte de «Guitar Queen» pour rendre hommage à la grande Bonnie Raitt - Robert Johnson let her records/ And Johnny taught her slide guitar - Il parle de John Hammond, bien sûr. Il attaque l’autre côté avec «Brooklyn Dodger», un balladif absolument fantastique - And if I had my leather jacket/ I swear I’d give it another try - C’est à la fois puissant et mélancolique, et un extraordinaire solo de sax à la Bernard Hermann embarque le cut au firmament. Franchement, il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Pour finir, il reprend le vieux «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful. Oh, ça lui va comme un gant. C’est même effarant de qualité. 

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             En en 1980, Dion va entrer dans sa période mystique, comme Candi Staton. Il va enfiler une série d’albums d’obédience évangélique et chanter les louanges de Jésus. Le premier album de cette série s’appelle Inside Job. Il porte sa fameuse casquette de Gavroche. Il attaque son chemin de croix avec «I Believe» histoire de balayer toute ambiguïté. Selon Dion, croire en Jésus, c’est la même chose que de tomber amoureux d’une fille. «Center Of My Life» est un superbe balladif velouté à la belle voix lumineuse. En en B, on trouve deux bons cuts, «New Jersey Wife», mid-tempo new-yorkais bien senti - Search for your own tomorrow - et «Man In The Glass», où il mène le rock à la baguette. Il n’a rien perdu de sa fougue d’antan.  

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             L’année suivante sort Only Jesus. Dion porte toujours sa casquette. Beau cut que ce «The Best». C’est du folk-rock de haut rang et «It’s Gonna Rain» se veut mid-tempique, bien soigné, bordé aux chœurs et orchestré à la new-yorkaise. S’ensuit le morceau titre de l’album qui par son fil mélodique renvoie directement à Procol Harum. En effet, on se croirait sur «Salty Dog». De l’autre côté, il fait du Lord au heavy blues avec «Thank You Lord» et ça vient saxer à la mode du Bronx. Il termine avec «Greater Is He». Pour Dion, Jésus est un vrai héros. Il peut chanter ses louages sur des albums entiers. Sacré Dion !           

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             On continue de patauger dans l’eau bénite avec I Put Away My Idols. Il tape dans le gospel de reggae pour «Trust In The Lord». Il se réclame de Saint-Mathieu - Là où se trouve votre trésor, c’est dans votre cœur - ce qui ne veut rien dire, si on voit le cœur comme un muscle. Mais chez les ritals, ça finit toujours dans la bondieuserie. Par contre, avec «Daddy», on retrouve le bon vieux Dion de substance, celui des chansons palpables. Il redemande à son père de lui raconter l’histoire de Jésus. On s’en serait douté. En B, on se régalera de «They Won’t Tell You», un vrai rock de Dion, bien emmené et bien senti - Jesus will always be your friend - Et il revient au balladif de charme infernal avec «Healing», et le petit côté Fred Neil - And healing just another world for love - fantastique ! C’est la pop de rêve à laquelle Dion nous avait habitués dans ses anciens albums. Dion crée son monde et chante vraiment comme un dieu.        

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             Excellent album que ce Kingdom In The Streets paru en 1985. Dion sourit sur la pochette. Il porte sa casquette de Gavroche et un blouson de cuir noir. Trois belles énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Crazy Too (Fallen In Love)», chanté au chant puissant - My friends I’ve gone crazy - Quel fabuleux groove new-yorkais ! C’est suivi au sax et battu sec. Dion s’impose comme d’habitude, par la seule qualité de son timbre. Aussi énorme, voici «He Hears Them All», un balladif imparable, monté sur un bon beat entraînant. Dion enchante - As shoulder to shoulder we stand at his throne/ As we raise our voices in song - Ce mec est très convainquant. En B, on tombe sur l’effarant «I’ve Come Too Far». Il met God à toutes les sauces. Après le simili-reggae,  voici le heavy blues. C’est admirable car saxé. Dion raconte sa libération - He released me from my  pain/ Kept me from going totally insane/ Now I stand firmly in the rock/ Yes and I praise his holy name.    

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             Avec Velvet And Steel, Dion replonge de plus belle dans la religiosité. Il rend un percutant hommage à God avec «Hymn To Him» et parle beaucoup de Jésus. Dans «Just Talk To Him», il parle à Lui, c’est-à-dire Jésus et «I Love Jesus Now» ne laisse aucun doute sur le fond de sa pensée. Il chante «Another Saturday Night In Heaven» avec toute la gouaille du Bronx dont il est capable et passe «Prayers» en mode balladif, mais sur une très belle mélodie chant. Il y évoque les ancient men et les ancient shrines - prayers spoken soft in desperation

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             Dave Edmunds produit Yo Frankie, un album paru en 1989. Sur la pochette intérieure, on peut lire un fantastique éloge de Lou Reed. On l’entend d’ailleurs faire les backing sur «King Of The New York Streets» qui ouvre le bal de l’album - I didn’t need no bodyguard/ I just ruled from my backyard/ Livin’ fast livin’ hard - Sur le morceau titre, on entend une fantastique bassline de Phil Chen - You might want a movie star type/ I don’t go for that show-business hype - Quelle fantastique allure ! On sent le chanteur à l’aise et auréolé de légende. Il attaque la face cachée de la lune avec un «Drive All Night» en bonne santé et visité par un solo de sax extrêmement avantageux. C’est vraiment la fête. Et voilà la bombe de l’album : «Always In The Rain», un cut digne du Brill. On y retrouve même les castagnettes de Totor. C’est une tradition qui remonte à loin dans le temps, au temps où on savait produire des chansons. Et dans «Tower Of Love», Dion nous refait le coup du solo de sax en fin de parcours. Les mid-tempos balladifs de Dion restent des modèles inégalables - We’ll blend it together/ We’ll build a tower of love - Beat that, comme dirait Jerry Lee.                 

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             Il porte toujours sa casquette sur la pochette de Fire In The Night. Il y aligne une série de cuts pop un peu passe-partout. Du radio friendly, comme diraient les Anglais. Ça pue un peu le Dire Straight et le Spingsteen. «Hollywood» sonne comme du Stevie Wonder commercial. Berk. De l’autre côté, il redescend dans la rue pour «All Quiet On 34th Street» et il raconte l’errance. Il fait du pur jus de Stevie Wonder avec «You Are My Star». On retrouve enfin le grand Dion mélodique. Et il finit avec un fameux «Poor Boy». À la limite, c’est dans la good time music qu’il se sent le mieux - Lost in the heart of the city/ hanging out on the corner.  

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             Le Deja Nu sorti sur Ace en l’an 2000 est un disque bourré de bon doo-wop et de basse sourde. Comme à son habitude, Dion donne bien de la voix. Avec «Hug My Radiator», il donne un fantastique exemple de l’expressivité du rock’n’roll à la new-yorkaise : son plein et chœurs de rêve. Les trois vieux copains de Dion font des chœurs de doo-wop extraordinaires. Franchement, quand on écoute «I New York City» ça crève les yeux : Dion chante comme un dieu. Il peut créer les conditions de l’ampleur urbaine. Sur «Ride With You», il sonne presque comme Joe Cocker. On comprend que Totor se soit intéressé de près à un chanteur comme Dion, surtout lorsqu’on l’entend chanter «Book Of Dreams». Il tape aussi dans le heavy blues d’ampleur considérable avec «If You Wanna Rock & Roll». Dion est véritablement the real deal, the best thing on the block. Il passe un bel hommage à Buddy avec «Everyday (That I’m With You)». Il faut se souvenir que le jeune Dion se trouvait dans le bus de la tournée fatale - We dreamed the dream - Dion est un chanteur hors du commun. Il sait poser sa voix et traiter d’égal à égal avec les meilleurs balladifs. Encore un coup de maître avec «Hey Suzy». Franchement, Dion sait dresser une table.    

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             Bronx In Blue compte aussi parmi le grands classiques de Dion, et ce pour quatre raisons. Un, ce bel hommage à Bo avec une reprise de «Who Do You Love». Le son ! La pureté du claquage ! Dion est dessus, coiffé de son béret. C’est probablement l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Bo. Dion gratte ses coups d’acou avec la prestance d’un seigneur de l’an Mil. Il atteint des profondeurs de ton exceptionnelles. Ça fait vraiment plaisir à voir. C’mon ! Dion sait serpenter et ramper au mieux des intérêts de Bo. Deux, une reprise de Wolf édifiante, «Built For Comfort» - Some folk feel like this/ Some folk feel like that - Il fait bien le traînard wolfien - Cause I dig the comfort - Une vraie pétarade de Dion Bouton ! Yeah babe ! Il mouille ses syllabes et c’est gorgé de son. Trois, une autre reprise de Wolf, «How Many More Years» que Dion chante à plein gosier. Et quatre : une superbe reprise d’Hank Wiliams, «Honky Tonk Blues». Ça lui va comme un gant. Mais il tape aussi d’autres classiques terribles comme le «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed, admirable de traînarderie, ou «You’re The One» qu’il prend à la voix idoine. Il tape aussi dans le vieux Robert avec «Travellin’ Riverside Blues», monté sur une belle rythmique opaque, et il place des coups d’acou nerveux et fouillés, infestés de tortillettes andalouses.     

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             Dion ne chante pas que du Skip James sur Son Of Skip James paru en 2007. Il attaque avec le «Nadine» de Chuck et en sort une version sourde comme un pot. Dion a le même sens de prod que Dave Edmunds. Il enchaîne avec une fantastique reprise du «My Babe» de Big Dix. Sa voix porte au loin. Il tape le «Drop Down Man» de Sleepy John Estes au bon fouillis de son de cabane de Bronx. Il chante à la diction mouillée - Two trains running never go my way - C’est effarant de son. Il joue aussi «Hoochie Coochie Man» à la bonne affaire et même si ça sent le cousu de fil blanc, le fouillis du son le lave de tous ses péchés. Dans les notes de pochette, Dion raconte qu’il fréquentait Dylan à l’époque des sessions CBS et d’ailleurs il fait une reprise admirable de «Baby I’m In The Mood». Puis il gratte «I’m A Guitar King» à l’ongle sec. On entend les cordes vibrer. Excellent ! Ce n’est que sur le tard qu’il va taper dans Skip avec «Devil Got My Woman». Il chante ça au traîné de malveillance. Dion fait un portrait de Skip - He was a beautiful shy, mysterious dude who sang like he was from outer space - Le pauvre Dion essaye de retrouver le fil de Skip. Il tape aussi dans Robert avec «If I Had Possession Over Judgment Day». Il joue avec entrain et se montre plus viandu que John Hammond.

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             Comme l’indique son nom, l’album Heroes est un album de reprises, et ho let’s go ! Quelles reprises ! Ouverture du bal avec «Summertime Blues». Dion a LA vraie voix et il gratte ça sec. Excellent. Version bien teigneuse et classieuse à la fois. Il roule les paroles mythiques dans la farine de sa maturité. On ne sautait espérer un chanteur plus adapté au vif argent d’Eddie. Il prend ensuite «Come On Let’s Go» au chat perché et c’est excellent. Il navigue au gros solotage new-yorkais et c’est bourré de sons de guitares irréelles. Le son, baby, rien que le son ! Il ramène ça dans la Bamba, oh mais c’est vrai, il connaît bien Ritchie Valens, puisqu’il se trouvait dans le bus de la tournée fatale, en février 1959. Tiens, justement il tape dans le «Rave On» de Buddy qu’il voyait jouer tous les soirs, lors de cette tournée de 1959. C’est un bonheur que d’écouter Dion chanter ça. Il rajoute du plomb dans l’aile du vieux hit de Buddy. C’est incroyable ce qu’il chante bien ces vieux hits poussiéreux. Il tape aussi dans «Believe What You Say» des frères Burnette et dans «Be Bop A Lula», et même dans le «Runaway» de Del Shannon qu’il surpasse, car il en fait une version beaucoup plus terrienne avec des woa woa woa plus maîtrisés. Puis il passe à «Jailhouse Rock» et Don jette toute sa prestance dans la balance. Il prend «I Walk The Line» au vieux tagagda des Memphis Three, ce n’est pas la même voix, bien sûr, mais quelle viande de son ! S’ensuivent des versions extrêmement solides de «Blue Suede Shoes», de «Who Do You Love» et de «Sweet Little Rock And Roller» et ainsi va la vie. 

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             En 2010, Dave Marsh dit à Dion que ses trois derniers albums sont les meilleurs. Dopé par le compliment, Dion enregistre Tank Full Of Blues, un album terrible. Il joue le boogie blues avec toute la niaque du Bronx. Il rend hommage à Dave Marsh avec «I Read It (In The Rolling Stone)». Il le considère comme le grand gourou du journalisme rock. Ça commence vraiment à chauffer avec «Holly Brown», un fantastique boogie blues chanté à pleine voix. Dion reste éclatant comme pas deux. Avec lui, on est sûr de connaître la plénitude. Il ramone plus loin la cheminée de «Do You Love Me Baby» avec la niaque d’un nègre de Baton Rouge. Il montre le même genre de puissance invertie. Il traite ensuite «You Keep Me Cryin’» au beat pulsatif. Dion sait mener sa barcasse. Il file à la patte du caméléon et sort un cut énorme, bien tendu, avec la voix toujours posée et soudain, il claque une espèce de solo à l’éparpillée. La classe absolue ! - What can I do ? What can I say ? - et il y va du menton - Someday baby I won’t cry no more ! - Encore plus énorme : voici «My Michelle», un stomp digne de «High Heel Sneakers» - Dion a décidé de casser la boutica, alors il réveille les morts de la tranchée d’Epernay - Mitchelle ma belle you’re sweet as hell/ hey Mitchelle I saw you dance across the poem ! - «I’m Ready To Go» sonne comme un hit dès la première mesure. On a là une grosse basse et une pulsion parfaite. Dion a toujours su créer l’événement et il termine ce faramineux album avec «Bronx Poem» - I was born on the Bronx on a strange day I guess you can say - Il chante du rap à la Dylan - he blessed me beyond wy mildest dreams - et il lance ses Yo life is hard et ses Yo allelujah ! Et puis il brode à l’infini, yankees, JFK, delta blues...

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             Un live qui date de 1971 refait surface : Recorded Live At The Bitter End. Il attaque avec une belle reprise de Dylan, «Mama You’ve Been On My Mind». On retrouve sa tenue de voix impeccable. Avec «Too Much Monkey Business», il joue un peu à l’élégance de l’acou, comme John Hammond - This is an old Chuck Berry song ! - Il fait là encore une belle cover de voix mûre. Dion sonne comme un dandy du rock. Si Oscar Wilde avait pu chanter, peut-être aurait-il sonné comme Dion. Il revient à Dylan avec «One Two Many Mornings». Il le prend du nez et reste interminablement bon. Il tape aussi dans les Beatles avec l’indicible «Blackbird» et va chercher la mélodie très haut dans la stratosphère. Il tape aussi dans le boogie blues avec «You Better Watch Yourself». Pour lui, c’est facile, comme il joue très bien de la guitare, forcément, ça aide. Il aligne ensuite une série de hits imparables, «Don’t Start Me Talking» de Sonny Boy Williamson, «Sanctuary», «Wanderer» et «Ruby baby», qu’il chante très haut.

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             New York Is My Home date de 2016. Pas de hit en particulier, mais du son et une voix. Dès «Aces Up Your Sleeve», il sort le grand jeu, c’est-à-dire sa voix et le gros son.  Avec le morceau titre, il s’approprie la ville - She is everything - Il passe du heavy blues au rock’n’roll et revient au vieux boogie avec le «Kate Mae» de Lightnin’ Hopkins. Dion ne se casse plus la tête. Pour «Ride With Me», il fait tourner une moto dans le studio, comme le fit Shadow Morton au temps des Shangri-Las. Il lance ainsi son cut, qui par ailleurs se révèle excellent. Il co-écrit aussi avec Scott Kempner des Dictators. Résultat : «Visionary Heart» qui sonne hélas comme du rock FM. Il boucle avec un vieux boogie d’Hudson Whittaker, «It Ain’t For It». Implacable, c’est sûr. Dion adore le boogie - Spend my money - Il adore le vieux boogie des années de braise. On le comprend.

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             Norton vient de sortir le mythique Lost Album de Dion, Kicking Child. Franchement cet album vaut non seulement le déplacement, mais aussi le rapatriement. Pour de multiples raisons, à commencer par l’infernal «Now». On y assiste à l’extraordinaire mobilisation des grandes heures du Duc de Dion. Il semble tout balayer sur son passage. La puissance de son chant règne sans partage sur l’empire des sens. On note aussi qu’il est à l’époque très influencé par Dylan : le morceau titre d’ouverture du bal est là pour nous le rappeler. Il joue ça très laid-back à l’écho du temps. Même chose avec «Baby I’m In The Mood For You» et «Two Ton Feather» : Mood est une reprise de Dylan, Dion claque ce prodigieux heavy boogie aux meilleures guitares de l’époque et le démon qu’on entend s’appelle Johnny Falbo. On l’entend refaire des siennes dans «Two Ton Feather» d’inspiration dylanesque. Parmi les autres énormités, on trouve «I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound», fabuleux shoot de Dion chanté à l’extrême onction. N’oublions pas que Tom Wilson, le producteur de «Like A Rolling Stone» et de «The Sound Of Silence», veille au grain. Nouvelle merveille prospective avec «Wake Up Baby», pur jus de wandering jangling guitars, c’est une ode au génie des lieux, Dion sonne comme un dieu. Il fait encore une cover de Dylan avec «Farewell». Mais quand il tape dans «It’s All Over Now Baby Blue», on se dit qu’on pourrait aussi écouter la version originale. À force de dylaner dans le jangling, Dion s’affaiblit.

             Dion dit qu’à l’époque de Kicking Child, il était out of his mind on drugs. Il est sidéré après coup de voir que le drug fog n’altérait que ses relations avec les gens, pas la musique. Il avoue avoir adoré Dylan à l’époque et les groupes anglais, Kinks, Animals, alors il a monté un petit groupe pour enregistrer Kicking, avec Carlo des Belmonts au beurre, son pote Johnny Falbo on guitar, Pete Falciglia qui n’était même pas bassiste on bass et Al Kooper. Grâce à Billy Miller et Miriam Linna, l’album sort enfin. Quand Jon Mojo Mills lui demande s’il connaît Dylan, Dion dit oui,  ça remonte au temps de la fameuse tournée avec Buddy Holly, Dylan jouait dans le groupe de Bobby Vee sous le nom d’Elston Gunn. Puis Dion le retrouve plus tard à New York au studio Columbia, ils ont le même producteur, Tom Wilson, qui justement va produire Kicking Child. C’est Tom Wilson qui propose à Dylan d’enregistrer avec un groupe de rock. Wilson overdubbe la voix de Dylan sur du rock pour lui donner un modèle et Dylan trouve ça vraiment excellent. Dion est fasciné par Dylan - That guy is, you know, just genius - Fasciné par Dylan, oui, qui ne le serait pas ?

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             Dion revient dans l’actu avec un étrange album, Blues With Friends. Pourquoi étrange ? Parce que c’est un album de vieux, comme on en voit tant de nos jours. Comme Dion est vieux, forcément tous ses copains sont vieux et ça donne un vieil album. Trois cuts sortent un peu du lot, à commence par «Stumbling Blues» avec Jimmy & Jerry Vivino. Ça chante au raw de lounge, à la Louis Armstrong et du coup Dion renoue avec sa légende de petit mec génial. Sur «Bam Bang Boom», c’est Billy Gibbons qui l’accompagne et c’est tout de suite allumé, car la vieille barbe de Zizi a le sens du groove. C’est heavy as hell, le barbu rôde dans le son. Troisième point fort : «I Got Nothing» avec Van Morrison et Joe Louis Walker. Le gras double de Joe Louie change la donne. C’est le seul vrai cut de blues de l’album. Car oui, le reste n’est pas jojo, même si les invités prestigieux se bousculent au portillon, tiens, comme Joe Bonamassa, qui joue dans le «Blues Comin’ On» d’ouverture de bal. C’est du gros sans surprise, du prévisible de foire du trône qui n’a plus grand chose à voir avec le blues et c’est bien ce qu’on déteste dans cette histoire : le détournement, ou pire encore, la récupération du blues par les blancs, l’abolition de l’esprit du blues au profit d’une mascarade prétentieuse. «Kickin’ Child» sent aussi la putasserie. Nom de Dion botte en touche avec un groove replet et pépère. Il perd toute sa crédibilité. Brian Setzer vient duetter sur «Uptown Number 7» et le détourne pour en faire du swing et ça devient la foire à la saucisse. Il ne manque plus que Stong et Slosh. Voilà Jeff Beck sur «Can’t Start Over Again», trop beau pour être vrai, mais Jeff Beck sur cet album, ça ne veut rien dire. Même chose pour John Hammond. On se demande ce qu’il fout là. Tous les invités redoublent de belles giclées bien propres sur elles, mais tout est atrocement prévisible. On entend aussi Paul Simon dans «Joy For Sam Cooke» et l’album finit par ressembler à une galerie de singes savants. Tous les solos de guitare se ressemblent. Mais avec John Hammond qui revient une deuxième fois sur «Told You Once In August», c’est un peu plus sérieux car plus rootsy. Le son de ses cordes vient de la nuit des temps du blues. Mais il serait plus simple d’aller écouter Joe Callicott. Disons que John Hammond a encore un peu de crédibilité avec sa guitare, mais Dion n’en a aucune. Et puis ça finit tragiquement avec Van Zandt et puis le pire, Springsteen.

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             Ah tiens, encore un album de vieux ! Dion revient dans le rond de l’actu avec Stomping Ground, une espèce de suite de l’album précédent, car sur chacun des 14 cuts, Dion reçoit des invités. Toujours la même histoire : on a les invités qu’on peut. Si on veut sauver un cut, alors ce sera le morceau titre, car l’invité s’appelle Billy Gibbons et il ramène de la viande. Avec Billy, on sort du pré carré des demi-portions. On sauvera aussi le «Cryin’ Shame» car Sonny Landreth accompagne Nom de Dion. On retrouve même le chant têtu qu’on aime bien. Le reste n’a guère d’intérêt, Dion collectionne les resucées et les vieux boogies usés jusqu’à la corde («Take It Back»), ça tourne au pathétique avec les vieux crabes habituels, Clapton, Springsteen, Frampton, Knopfler, il ne manque plus que Stong et Slosh, et en bonus, le chanteur Bonus. Quelle déconfiture ! Grâce à la vulgarité putassière de certains cuts, l’album descend en dessous de tout. Nom de Dion chante pourtant comme du dieu sur «The Night Is Young», un heavy balladif de 42nd Street. Son «I’ve Got To Get You» sonne comme du Canned Heat on fire, il y a de beaux restes, heureusement. Le problème c’est que tous les invités essayent de chanter aussi bien que Nom de Dion, mais c’est impossible, comme ce fut le cas sur The Last Man Standing de Jerry Lee, où les invités se ridiculisaient. Tous ces pauvres mecs ramènent leur petite glotte et leur couteau, mais face à une présence tutélaire comme Nom de Dion, ils font pâle figure. Avec Lanegan, on retient quatre grands chanteurs américains : Iggy, Nom de Dion, Jimbo et Jerry Lee. Par contre, Nom de Dion réussit l’exploit de massacrer le «Red House» de l’ami Jimi. Le petit blanc ne fait pas le poids face au Voodoo Chile. C’est d’ailleurs le cas de tous les blancs dégénérés. À force d’efforts commerciaux, Nom de Dion finit par perdre un peu la face. Au plan artistique, c’est pas loin du KO technique. Le dernier cut, «I’ve Been Watching» qu’il chante en duo avec Rickie Lee Jones sonne comme une collusion entre le scoubidou et l’huître, tellement les accords de voix sont catastrophiques. Nom de Dion nous laissera donc sur une mauvaise impression. 

    Signé : Cazengler, Fion

    Dion. Alone With Dion. Laurie Records 1961

    Dion. Runaround Sue. Laurie Records 1961 

    Dion. Lovers Who Wander. Laurie Records 1962

    Dion. Donna The Prima Donna. Columbia 1963

    Dion. Ruby Baby. Columbia 1963        

    Dion. Love Came To Me. Laurie Records 1963

    Dion. Dion. Laurie Records 1968

    Dion. Wonder Where I’m Bound. Columbia 1969

    Dion. Sit Down Old Friend. Warner Bros. Records 1970

    Dion. Sanctuary. Warner Bros. Records 1971               

    Dion. You’re Not Alone. Warner Bros. Records 1971              

    Dion. Suite For Last Summer. Warner Bros. Records 1972

    Dion. Born To Be With You. Phil Spector International 1975       

    Dion. Sweetheart. Warner Bros. Records 1976   

    Dion. Return Of The Wanderer. Lifesong Records 1978          

    Dion. Inside Job. DaySpring Records 1980     

    Dion. Only Jesus. DaySpring Records 1981             

    Dion. I Put Away My Idols. DaySpring Records 1983          

    Dion. Kingdom In The Streets. Myrrrh 1985                      

    Dion. Velvet And Steel. DaySpring Records 1986  

    Dion. Yo Frankie. Arista 1989                      

    Dion. Fire In The Night. Ace 1990                                  

    Dion. Deja Nu. Ace 2000   

    Dion. Bronx In Blue. SPV Records 2006     

    Dion. Son Of Skip James. SPV GmBh 2007

    Dion. Heroes. Sagaro Road Records 2008   

    Dion. Tank Full Of Blues. Blue Horizon 2011

    Dion. Recorded Live At The Bitter End. Ace Records 2015

    Dion. New York Is My Home. The Orchard 2016

    Dion. Kicking Child - The Lost Album 1965. Norton Records 2017

    Dion. Blues With Friends. Keeping The Blues Alive Records 2020

    Dion. Stomping Ground. Keeping The Blues Alive Records 2021

    Davin Seay : Dion The King of New York. Mojo # 147. Mai 2006

    Jon Mojo Mills : Attraction works better then promotion. Shindig! # 120 - October 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Wildhearts of gold (Part Two)

     

             L’avenir du rock sort du garage et se présente au guichet pour obtenir son certificat de contrôle technique. Assis devant son ordi, le mec tape les infos qu’il a recueillies au cours du scan et les commente d’une voix lénifiante :

             — Pour un vieux châssis, vous vous en sortez bien, avenir du rock. Vous dites dater de 54, c’est ça ?

             — Oui, j’ai choisi Sun pour simplifier les choses. Sister Rosetta Tharpe était là avant, mais je ne veux pas rentrer dans ces controverses d’historiens à la petite semaine, ça me fatigue.

             — Ça vous fait donc 68 ans d’activité. Pas mal pour un châssis de 68 ans. Très peu de corrosion, il faudra juste surveiller les rotules directionnelles...

             — Oh je sais, vous me dites ça tous les deux ans. Elles finissent par avoir du jeu, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, pas vrai ?

             — Côté cerveau-moteur, évitez les pointes de température. L’été, mettez-vous à l’ombre, il n’est pas certain que vos composants aient conservé leurs caractéristiques psychédéliques.

             — Vous allez trouver curieux que je vous dise ça, mais j’ai la nette impressions que mes tendances psychédéliques s’aggravent...

             — Ce n’est pas forcément bon signe. Essayez l’huile de foie de morue, ça décongestionne le cerveau-moteur, et en même temps ça renforce les pulsions libidinales. Vous allez retrouver votre punch de jeune avenir ! Pensez aussi à vous dégraisser le circuit respiratoire de temps en temps, il me semble drôlement encombré.

             — Oui, je sais. C’est la chique. En hommage à Charlie Feathers, je crache ma chique à distance, environ trois mètres, dans un pot. Avec de l’entraînement, on y arrive facilement.

             — Ah c’est pour ça que vous avez les dents dégueulasses ! J’allais justement y venir. Il faudrait penser à les faire nettoyer, ça vous fait la gueule d’un croque-mort chinois dans un western. Mais il n’y a aucune obligation. Les dents ne sont pas considérées comme un organe de sécurité.

             — Tant mieux, car j’ai horreur des dents blanches. Fuck it !

             — Côté cœur, impec. Rien à redire !

             — Et vous savez pourquoi ? Parce que c’est un cœur sauvage, un Wildheart !

     

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             Étrange coïncidence : au moment où l’avenir du rock s’extasie sur les Wildhearts, leur nouvel album paraît en Angleterre. 21st Century Love Songs est l’album de toutes les énormités.

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    Le line-up original tient toujours le coup (Ginger/CJ/Danny McCormack/Rich Battersby) et continue de sortir des albums dignes de leur âge d’or, c’est-à-dire P.H.U.Q. Tant que ces mecs-là seront en état de jouer, l’avenir du rock pourra continuer de dormir sur ses deux oreilles. Car enfin existe-t-il un groupe de wild rock plus brillant en Angleterre ? Bien sûr que non. Et ils restent délicieusement underground, ce qui peut-être les sauve. Tu veux du big heavy rock de Newcastle ? Tiens c’est là, dans «Remember These Days», c’est dans les pattes de Ginger, Danny, CJ & Rich, la plus fière équipe d’Angleterre depuis les Pink Fairies. Ces mecs sont nés dans le rock et ne vivent que pour le rock, pas étonnant qu’ils finissent par éclater au Sénégal. Ils enfoncent leur heavy boogie glam dans la gorge du XXIe siècle, ils sont les seuls à tenter un coup pareil, avec un son plein comme un œuf. Ils s’inscrivent dans la lignée princière de l’underground britannique qu’illustrèrent jadis Mick Farren et les Pink Fairies. Il faut voir Ginger lancer un one/two/three dans le cours du fleuve, en plein couplet de «Splitter», juste pour redonner de l’élan. Il adore les aventures, on le voit ensuite concasser «Institutional Submission» et provoquer des rebondissements inexpected. Il explore toutes les contrées, comme s’il était l’éclaireur d’une expédition. On se prosterne ensuite devant un «Sleepaway» amené aux arpèges de lumière et vite gonflé par le souffle des mighty Wildhearts. C’est un son à la fois plein et in the face, une démesure de power-pop - I need a real love - On s’effare des fantastiques évolutions - The warning reflections/ It’s just a sleepaway/ The Morning erection/ It’s just a sleepaway - Et ils repartent de plus belle en B avec «You Do You», une heavy dégelée finement teintée de glam et ça explose en plein couplet - Everybody is an expert these days - Les chansons des Ginger sont des chansons de colère. Il ne décolère pas. Pas étonnant que «Sort Your Fucking Shit» sonne comme un hymne. On assiste à une fantastique envolée par dessus un pont de chœurs demented - Oi/ Sort it out - Et Ginger finit à l’arrache de guttural définitif. Il reste dans la révolte politique avec «Directions». Il dit attendre qu’on lui indique une direction - I’m staying put until I get some directions - Puis il attaque «A Physical Exorcism» au killer riffy flash, il tape en plein cœur du mythe Wildhearts, ça joue à la volée, avec des couplets posés sur le beat des forges. Et quand tu ouvres le gatefold pour voir encore une fois leurs bobines, tu comprends que ces mecs-là ne sont pas là pour rigoler.

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             Dans Vive Le Rock, Guy Shankland tend son micro via Zoom à CJ Wildheart. CJ s’efforce de voir la vie en rose, mais comme pour tous les musiciens de rock, les deux dernières années ont été rudes. CJ n’en revient pas d’avoir joué à Londres dans des salles à moitié vides. À Londres ! Alors que d’habitude, les concerts des Wildhearts sont tous sold-out en Angleterre. Il ajoute qu’il met habituellement trente personnes sur sa guest-list et à l’Electric Ballroom, il n’en a vu que deux. Wow, les gens ont les pétoches ! La télé a bien fait son boulot. Au lieu d’aller voir jouer les Wildhearts sur scène, les gens préfèrent trembler de trouille devant leur journal télévisé. Bon CJ dit aussi qu’il n’est pas très en forme, mais ça c’est le problème de tous les tox et anciens tox confrontés à l’actu, comme on l’a vu avec Lanegan. CJ dit aussi que les Wildhearts n’ont jamais été aussi bons, il a raison, car c’est exactement ce que dit leur nouvel album. CJ aime bien rappeler que les Wildhearts sont avant toute chose une alchimie entre quatre mecs qui adorent jouer ensemble - We’re not a band that can do a ballad. We’re not Bon Jovi or a bluesy rock’n’roll band and we wouldn’t be able to play a Stones type song. We have a bombastic sound - Il ajoute que leurs cuts deviennent toujours anthemic, ce qui est parfaitement vrai. On apprend au détour de la conversation que Danny McCormack écrit son autobio, mais pour CJ, il n’en est pas question. Sa vie privée ne regarde personne. Il dit connaître de très bonnes histoires, mais ça ne reste dit-il que des histoires. À la limite, il accepterait d’écrire un cookbook, c’est-à-dire un livre de recettes de cuisine. Puis il repart sur les Wildhearts pour indiquer que le groupe s’en sort plutôt bien, financièrement, même s’il n’est pas ce qu’on appelle an internationally known band. Ils ne font pas de tournées mondiales et ne ramassent pas de millions de livres - Our maket is the UK only - Ça commence à bouger au Japon, mais que dalle en Europe et aux États-Unis. CJ ajoute que même s’ils arrivent à jouer pour deux cents personnes in a club over there (comme ce fut le cas au Backstage By The Mill en 2019), ce n’est pas ce qui leur permet de gagner leur vie. Alors pour joindre les deux bouts, CJ a dû ouvrir un hot sauce shop. Il en vit bien, il a de plus en plus de clients - It’s the hardest sauce to get hold of in the world - il n’ouvre que deux semaines d’affilée, deux fois par an. Alors si tu n’as pas acheté ta hot sauce au bon moment, tu devras attendre un peu. Il est marrant, CJ, très factuel, comme sur scène, il est là pour gratter sa gratte, alors il gratte sa gratte. Quand Shankland lui demande d’évoquer l’avenir des Wildhearts, CJ reste assez évasif. Tout ce qu’il espère, c’est que les gens sortiront de chez eux pour venir les voir en concert.    

    Singé : Cazengler, Wildbeurk

    Wildhearts. 21st Century Love Songs. Graphite Records 2021

    Guy Shankland : Wild at Heart. Vive Le Rock # 88 - 2021

     

     

    Inside the goldmine - Sail on Sailors

     

             Nous allons l’appeler C. À l’époque où nous partageons le même bureau, C’ est un homme dans la quarantaine, père de famille et propriétaire d’un pavillon, dans un quartier de banlieue. Il avoue s’être saigné aux quatre veines pour offrir à son épouse le pavillon de ses rêves. Il lance très vite une invitation à venir dîner un soir après le boulot, l’occasion, dit-il, de faire connaissance avec sa fille, son fils et son épouse. La nature n’a pas gâté le pauvre C. Un front bombé et disgracieux surplombe un visage taillé à la serpe. Autour d’un nez de boxeur pétillent deux petits yeux vifs et ce visage terriblement ingrat s’achève vers le bas par un menton en galoche. Pour compléter l’ensemble, il doit rabattre une chevelure appauvrie par-dessus son crâne pour masquer une calvitie précoce. Le pavillon ressemble très exactement à l’idée qu’on se fait d’un pavillon de banlieue. Bienvenue chez les beaufs ! Le terrain en pente, la terrasse en bois brut, les vases dans les étagères, il ne manque rien, un chef-d’œuvre de beaufitude. La fille et le fils sont à l’image du père et de son idéal : blêmes, boutonneux et sans conversation. Par contre, l’épouse, c’est une autre histoire. Au premier regard, on comprend tout. Cette femme brune au sourire angélique pourrait figurer sur n’importe toile issue de la renaissance italienne : elle est d’une beauté parfaite, très maquillée, serrée dans une robe noire moulante qui met en évidence des seins splendides et un ventre parfaitement plat, ce qu’on appelle communément un corps de rêve. Très peu de femmes inspirent autant de désir. Du coup, ce couple devient une énigme. Comment C a-t-il pu séduire une femme aussi belle et lui faire des enfants ? Quelque chose ne va pas. C’est elle qui fait la conversation. Elle attaque sur Saint-John Perse qu’elle cite dans le texte. Alors que nous finissons l’apéro et que nous passons à table, elle poursuit sur Victor Segalen dont elle se dit toquée, et de fait, la conversation dérive sur Gauguin pendant tout le repas. Sail on Sailor. En échangeant nos connaissances, nous alimentons ce vieux travers de l’érudition qui consiste à monopoliser la conversation. C s’en absente complètement. Soudain, l’évidence éclate : C vit en enfer. Il renouvellera plusieurs fois son invitation, sans succès. Pas question de retourner là-bas. Le spectacle de ce couple si exagérément dépareillé est tout simplement insupportable. Trop faible, C ne pourra pas dominer longtemps sa parano. En se jetant une nuit d’octobre dans la Seine pour s’y noyer, C avouera enfin qu’il nourrissait à l’égard de sa merveilleuse épouse des soupçons d’infidélité.

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             Basés à Melbourne en Australie, les Sailors pondent leur premier album en 2001, l’excellent Violent Masturbation Blues.

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    Ils font sensation à l’époque, et ce dès «Trim The Bush» joué à la basse fuzz, mais une fuzz démontée qui erre de porte en porte. On voit tout de suite qu’ils s’amusent bien. Il jouent plus loin «Turkey Slap Blues» à la petite folie Méricourt. Il ne leur manque qu’un tout petit soupçon de démesure pour devenir aussi énormes que les Chrome Cranks. Ils remontent au front avec un «I Just Got Back» salement riffé et enfilé à contre-sens. Ils bricolent quelques développements intérieurs et ça prend vite des proportions, surtout que c’est monté sur un seul riff et une seule phrase, I just got back. Et puis voilà le morceau titre qui nous ouvre les bras en B : pur sex exacerbé, ils vont loin dans la cochonnerie, aussi loin que Larry Clark, ouh ouh ouh, c’est vraiment le trash de la branlette.

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             Leur deuxième album paraît deux ans plus tard et s’appelle The Sailors Play Turning The Other Cheek. Il est nettement plus faible que le précédent même si «YMCA» s’annonce comme une fantastique dégelée. Ils ont un sens aigu de la montée en température et un goût prononcé pour le chaos - You cut my ass ! - Leur «Dr Creep» sort bien dans les virages, ça déraille au chant du Doctor Creep, mais il ne se passe rien de plus. Encore du raw sex avec «Just Touch It». Ce sont les accords de «Tobacco Road» - Come on milk me - C’est très sexuel. Ils font une cockaracha avec «The Cockroach» et retrouvent leur veine abrasive en B avec un «Russian Oil Tanker Blues» monté sur une structure blues rock et chanté à la Rotten.

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             On retrouve nos matelots préférés dans un nouvel album neurasthénique, Failure Depression Suicide qui date lui aussi de 2003. Ça chauffe dès «Girls That Look Like Boys They Are Shit», they are THE shit, dirait un grossier personnage en Angleterre. Les Sailors sont dans leur monde et c’est un beau monde. C’mon ! «Girls That Look Like Boys» est une belle énormité vite montée en neige. La neige ça les connaît, ils ne chipotent pas. Il leur reste encore deux énormités du même acabit en magasin, «Good Karma’s Coming My Way» et «Teenage Mama Blues». (Attention, le track-listing au dos est faux). Ils y croient dur comme fer au Good Karma et ils stoogent bien leur Teenage Mama Blues, ce sont des adeptes de la bonne franquette et du renvoi de chant, ils sont capables de vrai raw et du meilleur aussie boogie.

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             Leur dernier album paraît en 2005 et s’appelle The Sailors Play Viva La Beaver. C’est la fête aux énormités, dès «Finding My Match» attaqué au heavy raw de type Pussy Galore. Même son de dépouille avancée, même audace sexuelle, avec une wah qui sonne le départ des exactions et qui plonge tout le monde y compris l’auditeur dans la bassine d’huile bouillante, ces mecs sont des killers de crevettes, ça gratte et ça gueule dans les contreforts du rock, ils sont dans le bain, wild as fuck. Avec «I Wanna Be Black», ils se prennent pour Lou Reed, oh I wanna be black, ils sont exactement dans le même swagger et avec «Set Your Ass On Fire», ils se prennent pour Sticky Fingers. Ah les Aussies, il faut faire avec - I’m gonna set your ass on fire - Tout un programme ! Encore plus fabuleux : «I Hate Myself», shake de big ass rock chanté au sommet de l’hate. Et voilà qu’ils débarquent dans la pire des énormités avec «Cracker In The Niggertonk», un big boogie rock, et plus loin, ils se prennent pour Chuck Berry avec «Speeded It Away». C’est toujours une bonne chose que de se prendre pour Chuck Berry, c’est une preuve de goût. Mais ils le font bien sûr à la sauce Sailors, Sail on, boy, bien grasse, bien délirante. Ils se prennent pour Johnny Rotten avec «Back In The Closet», un joli shoot de balladif et puis ils singent les Small Faces avec «Out Thy Vile Jelly», chanté à l’hyper-guttural de caricature. On entend même les coups de piano à la McLagan. On saluera aussi ce rap de Melbourne qui s’appelle «Women Of Melbourne», joué aux accords déconfits et chanté au cockney local. Fuck her ! On termine cette tournée des grands ducs avec «Barry’s Place» lancé d’un ouh ! de fast English rock. Ils sont rompus à tous les lards, pas de problème.

    Signé : Cazengler, Sailarve

    Sailors. Violent Masturbation Blues. Dropkick 2001

    Sailors. The Sailors Play Turning The Other Cheek. Dropkick 2003

    Sailors. Failure Depression Suicide. Dropkick 2003                                       

    Sailors. The Sailors Play Viva La Beaver. Dropkick 2005

     

     

    DYLAN

    (Collection Rock & Folk # 22 )

    (En collaboration avec UNCUT)

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    Le principe est simple, raconter Dylan, disque après disque, le tout entrecoupé d’interviews inédites en France. Notre propos n’empruntera pas la même démarche, plus modestement nous essaierons de transcrire notre propre vision du personnage.

    DE BOB DYLAN A STREET LEGAL

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    De 1962 à 1978. De son premier disque, une sacrée gueule d’enfoiré sur la couve de son premier opus, cet avis n’engage que moi, quant à Street Legal because c’est le dernier disque que j’ai acheté du big Zim, écouté une fois et remisé je ne sais plus où. Un beau parcours toutefois qui a soulevé admirations et protestations. Normal, Dylan est l’homme des ruptures. L’on a fait de son passage à l’électricité une révolution esthétique. Je ne l’ai jamais vécu ainsi. D’abord parce que petit français de l’autre côté de l’Atlantique le rock – entendu en ses multiples modalités - me paraissait naturellement électrique, même si l’on usait de l’acoustique. De toutes les façons, Dylan avait une manière électrique de tordre les mots.  Ce n’est pas qu’il avait une belle voix, c’est qu’il se servait au mieux de son appareil vocal, qu’il s’est forgé un style adapté à ses possibilités. Dylan en ses années d’apprentissage   n’a cherché à imiter personne. Par contre l’était une véritable éponge. Doué d’une mémoire prodigieuse. L’a tout avalé pour le recracher à sa guise. Parti du rock, Buddy Holly, Gene Vincent, a bifurqué sur le folk. Pas tout à fait, a emprunté aussi une route parallèle, celle du country blues. Du country blues au blues électrique, la route était déjà tracée, c’est ce modèle que Dylan appliquera à l’électrification des campagnes folk. 

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    L’on a beaucoup glosé sur les rapports Woody Guthrie – Bob Dylan. Il existe une différence essentielle entre les deux hommes. Guthrie est beaucoup plus politique que Dylan. Entre eux deux, toute la différence entre le militant et l’étudiant. L’un a la guitare dans le cambouis de l’action pré-révolutionnaire et l’autre dans des idées généreuses qui mettent tout le monde d’accord. Entre Guthrie et Dylan, les temps ont changé, la fin de la guerre et le boom économique sans précédent qui s’ensuivit permet à l’Establishment de vendre à bras prix aux masses laborieuses les promesses de l’american dream beaucoup plus jouissives. Plus de fascistes à tuer, la lutte révolutionnaire cède la place aux combats sociétaux, contre la discrimination raciale, contre la guerre au Vietnam.

    Passons aux facteurs individuels. Dylan recherchait le succès. Avait conscience que son talent était supérieur à beaucoup d’autres. Toute une partie de sa personnalité repose sur cette juste appréhension de soi-même. Notons la différence avec Fred Neil que le Cat Zengler nous présentait dans la livraison 547. Les individus ne sont pas identiques. Rien ne serait pire que de vivre dans une république de clones. Que chacun en juge par soi-même. La machine s’est méchamment emballée autour des premiers disques du zigue Zimmerman. L’est devenue l’icône du mouvement protestataire, le dieu vivant descendu sur terre pour apporter le message et la musique folk aux quatre coins de l’univers. On lui a taillé un costume XXL dans lequel il s’est senti mal à l’aise. Mal fagoté. Dylan ne s’appartenait plus. N’était plus libre. La route était toute tracée, sans surprise, il n’y avait plus qu’à suivre le Mouvement. L’aurait pu surfer sur la vague. L’a préféré – c’est tout à son honneur – débrancher. En branchant sa guitare électrique.

    Ces années ont été cruciales. Sur le plan musical mais aussi comportemental. Sa première visite en Angleterre a servi de leçon. Dans cette vieille Europe l’on s’intéressait à ses paroles. De quoi rendre fier n’importe quel auteur. L’a compris le danger, s’il acquiesçait à cet enthousiasme idéologique il perdait sa liberté d’écriture, l’a donc adopté une stratégie qu’il n’abandonnera plus jamais. N’a pas choisi de vivre caché – la célébrité et ses royalties présentent bien des avantages – pour être heureux il a opté en faveur de la dissimulation. L’est devenu mutique. Disait mais n’expliquait rien. Devenait imprévisible. S’est revêtu d’une cape de mystère. Les journalistes se sont amusés à expliciter le moindre de ses propos, transformant la plus insignifiante réplique en paroles sibyllines sacrées engageant le devenir de l’Humanité. Cette infatuation journalistique n’a fait que renforcer son individualisme, l’est devenu indifférent à tout ce qui ne l’intéressait pas, se permet d’ignorer tout interlocuteur qui n’est pas sur les mêmes longueurs d’ondes que lui. On lui a reproché son mépris. Il y a gagné une paix souveraine qui le retranche de tout le cirque et de tout le verbiage médiatiques.

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    Après Blonde on Blonde. Une coupure dans l’œuvre de Dylan. On a beaucoup glosé sur ce virage. Il n’est pas unique, Elvis Presley et Jerry Lee Lewis en ont effectué un semblable. Poussés par des évènements extérieurs, le service militaire pour le premier et le scandale de son mariage avec sa cousine de treize ans pour Jerry Lou. Pour Dylan, c’est différent. Ce sont avant tout des motivations intérieures. La pression occasionnée par son rôle de maître à penser de toute une génération exige un ressourcement. Dylan veut se retrouver. Opère un subtil glissement, du folk il passe à la country. Musicalement l’on observe une baisse de régime. L’était arrivé et s’était imposé dans le folk par une vision personnelle de cette musique qu’il allait redéfinir et doter d’une assise incomparable. La country n’a pas besoin de lui. Possède son public, ses habitudes, sa mythologie et Johnny Cash… Il y a pire que l’ombre de Johnny Cash. C'est l'idéologie véhiculée par cette musique. Celle de l’Amérique profonde, rurale – en opposition avec le folk urbain – conservatrice dont Dylan va donner l’impression qu’il épouse les valeurs. S’installe à la campagne, vit avec sa femme, fait des enfants… Joue de la musique pratiquement à la maison avec the Hawks, ex-groupe de Ronnie Hawkins, pionnier du rock, enregistre avec la crème des musiciens de Memphis, considérés à l’époque par son public comme des ploucs et des bouseux. Tant qu’à plonger dans l’Ouest autant explorer sa légende, débute par un album consacré à John Wesley Harding célèbre Outlaw, gunslinger qui aurait – l’on ne prête qu’aux riches - quarante cadavres à son palmarès.

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    Les pages les plus intéressantes de cette partie de la revue sont les huit de Michael Watts en visite sur le tournage de Pat Garrett & Billy the Kid, dans lequel Sam Peckinpah a octroyé un rôle, un certain Alias, de comparse à Dylan. Dylan à Durango ne met guère de grenadine fraternelle dans les relations humaines, l’évocation de Peckinpah nous ravit. Les mauvaises choses comme les bonnes n'ont qu’un temps, dès 1975 les rapports de Dylan et de son épouse se tendent, l’album Desire consomme la fin de la période country… Le suivant, mainstream est-il qualifié par Graeme Thomson, Street Legal laisse augurer le pire…

    SAUVE ET PERDU

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    Si je ne m’abuse c’est Barbey d’Aurevilly qui dans son article de recension d’A rebours décrète qu’après un tel livre il ne reste plus à son auteur, J. K. Huysmans, que deux solutions, ou se tirer une balle dans la tête ou s’agenouiller au pied de la Croix. Dylan empruntera cette deuxième sortie de secours. Slow train Coming apporte une étrange nouvelle, Dylan l’irréductible s’est converti. A l’extrême limite l’on aurait compris ce cheminement intellectuel s’il s’était contenté d’en faire une affaire personnelle, mais non, il le proclame, il s’obstine à vous conjurer de l’imiter, il n’est de pire affection mentale que le désir de prosélytisme, le Seigneur vous attend, l’Enfer vous guette. Le pire dans cette histoire c’est que Dylan n’est pas le seul, il rejoint le troupeau des brebis repentantes que sont les born again, un mouvement de fond de la société américaine – notamment dans la musique country, s’agit de dénoncer ses fautes en clamant bien haut que l’on renie tous ses péchés, que l’on ne recommencera plus, Dylan ne reprendra plus ses vieux morceaux – et de prêcher bien haut à son entourage de l’ imiter au plus vite… Retour à la vieille tradition conservatrice et rétrograde. Que le chantre de la conscience et de la révolte folk s’aligne sur les patenôtres de la morale chrétienne est décourageant. Qu’il vous menace de griller en Enfer auprès de Satan si vous n’obtempérez pas à ses avertissements, quel obscurantisme rétrograde. Dylan déchoit. Le rebelle fait amende honorable. Perd toute crédibilité. S’il est une trahison de Dylan ce n’est pas l’électrification de sa guitare, mais ce reniement intellectuel de lui-même, Dylan n’est plus Dylan.

    Dès 1983 avec Infidels Dylan met un peu d’alcool dans son eau bénite. Il croit encore mais se permet quelques incartades, il boit, il baise, s’éloigne doucement du christianisme pour se rapprocher de ses racines juives. Peut-être ce retour était-il prophétisé depuis ses premiers textes par l’emploi de nombreuses métaphores bibliques. Empire Burlesques marque une cassure, à la base le disque se voulait comme un retour au rock ‘n’roll, il se terminera dans le delta d’une soi-disant modernité. Nous sommes au milieu des années 80, le rock ‘n’roll n’est pas au mieux de sa forme.

    Pour la dizaine d’albums qui reste, je ne me permettrais pas d’apporter mon grain de sel. Ce n’est pas Dylan qui est perdu, c’est moi, à peine si par-ci par-là ai-je entendu (je ne dis pas écouté) un morceau. Si j’en crois les comptes-rendus, il y a de splendides vautrages et deux ou trois merveilles. Disposés plutôt selon une courbe ascendante. Dylan en est conscient. N’est plus tout jeune, le pire se profile à l’horizon…

    Nous arrivons à la fin de la revue. Les petits plus qui ravissent les chercheurs de collectors, une  recension peu fouillée des films et des vidéos dans lesquelles apparaît Dylan, une rapide revue des Official Bootlegs Séries présentés d’une manière un tantinet confuse, un choix de lives, de books et de compilations…

    Surtout ne pas sauter les huit pages – hélas un peu moins si l’on enlève les photos qui mangent l’espace – qui offrent le texte de la prise de parole de Dylan an gala annuel de Musicares en février 2015, association d’aide aux musiciens vieillissants, malades, dans le besoin… Dylan se raconte. Un peu à la manière de son livre Chroniques (vol I) et beaucoup comme son discours de réception du prix Nobel de Littérature 2016. Lui à qui l’on a souvent reproché de piller le passé remet un peu les pendules à l’heure, ses chansons sont inscrites dans une tradition populaire dont il n’est que l’héritier et le transmetteur. Cite des artistes qui ont repris ses chansons notamment Nina Simone  et Johnny Cash à qui il rend un hommage appuyé, évoque le blues dans lequel on retrouve les arabesques des violons que jouaient les gardiens arabes des esclaves confinés dans les cales des bateaux négriers,  et le rythme des valses pianotées dans les salons des plantations qu’entendait la main-d’œuvre servile, s’attarde sur les minstrels qui se grimaient pour imiter les noirs qui chantaient, et les noirs qui les imitaient pour gagner quelque argent. S’attarde sur le rock ‘n’roll, fils du blues et du hillbilliy, musiques d’esclaves et de ploucs, et rend un vibrant hommage à Billy Lee Riley l’immortel créateur de Red Hot - Musicares l’a soutenu durant ses six dernières années - citant au passage Jerry Lou et Sam Phillips.

    Tout cela serait parfait, s’il ne s’étendait pas longuement sur les critiques qui lui ont été adressées. Dévoile un petit côté parano assez mal venu, oublie ce principe clef de la renommée journalistique, que l’on parle en bien ou en mal de vous l’important est que l’on parle de vous. Dylan serait-il plus sensible que son indifférence apparente ne le laisserait soupçonner.

    N'empêche que ces cent trente pages se lisent d’un trait, et que l’on n’en a pas fini avec le phénomène Dylan. Dernière nouvelle : devrait sorti en novembre de cette un nouveau livre de Bob Dylan intitulé : The philosophy of modern song.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Avec le doom il faut s’attendre à tout. Mais pas à ce mignonitou chatounou tout noiroud  stylisou sur son fond rouge - perso je ne le dis pas à mes chiens, j’ai toujours préféré les chats – totale déconvenue   quand l’image s’agrandit, non ce n’est pas un chat, quel est cet objet non-identifié, en imaginant un max, un satellite qui aurait perdu son orbite et serait venu s’encastrer sur une espèce de silo bétonné. Dans un paysage désolé, bien entendu. Voici de quoi présager le pire. Je peux d’ores et déjà vous signaler la justesse de ma prophétie. Vous n’allez pas être déçus. Si vous avez des tendances suicidaires, abstenez-vous. Remarquez ce sont des optimistes, présentent leur album un peu à la manière de la célèbre phrase de Nietzsche, ce qui ne vous tue pas vous rendra plus fort. Cet adage irrite beaucoup de monde, aussi ils se contentent d’écrire qu’en écoutant leur opus vous apprendrez les dures vérités de la réalité.

    Sont des polonais. Manifestent leur solidarité avec les Ukrainiens. Se sont formés en 2012, ont déjà à leur actif deux EPs et deux singles extraits de :

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     EMBRACING DISSOLUTION

    BACKBONE

    ( Mars 2022 )

    Piotr Kowalsczyc : guitar, vocals  / Piotr Potowcki : guitars vocals / Aleksander Borguszewski ; basse / Michal Kowalski : drums.

    Pilgrimage : vous vous attendez à une kaophonie coassante, pas du tout une tambourinade légère, s’accélère un peu par la suite, une basse tremblotante, et le pèlerinage commence, les guitares chantent votre solitude, des claques de tambour vous préviennent, les guitares se grippent, une voix s’élève, pas violente, étire les syllabes, une autre presque sludge prend la parole, peut-être est-ce vous qui clamez votre désespoir de marcher dans un monde d’après-monde, brinqueballé dans votre impuissance, z’avez déjà abandonné toute espérance comme Dante à l’entrée de l’Enfer, mais ces souterrains mortuaires seraient encore un refuge, vous êtes à la surface de la terre, dans un monde détruit dans lequel votre humanité ne vous sera d’aucun secours, une seule solution avancer dans  cette désolation. Il n’y a plus de Dieu, il n’y a plus d’Homme non plus. Cinereal lands : machine à broyer du néant en marche, une scie métallique miaule et tourne pour rien, des centaines de marteaux claquettent dans le vide, klaxons d’alarmes incessants, la machine n’arrête pas de fonctionner, elle imite l’inconsistance de la réalité, le cerveau est l’urne funéraire de vos rêves, la pellicule n’imprime plus rien, la voix gronde en vain tel un chien qui crie après sa chaîne, sentiment d’abandon absolu. La machine brasse l’air inconsistant qui vous asphyxie. Vocal terminal. The ghost theorem : le théorème fantôme, très beau titre que j’aurais aimé inventé, le fantôme du théorème arrive doucement, se déplace sur des pattes de colombe comme l’écrit Nietzsche pour expliciter le surgissement de la pensée, pas besoin d’être fort en math pour comprendre que l’inconnue de l’équation que l’on cherche à définir est le zéro absolu de la nécessité vitale, prennent leur temps pour vous le spécifier, le morceau dépasse les dix minutes, donne l’impression de progresser et de s’emballer, un pur leurre, ce n’est pas le monde qui va mal, ce sont les schèmes intellectuels par lesquels on l’exprimait qui ont perdu toute réalité, la voix l’énonce, le background le claironne, un véritable bombardement neuronal accable l’espèce humaine, toute pensée est vermoulue, que ce soit celle de la croyance en laquelle on doute de croire ou le doute dont on croit douter, tout semble inutile, d’ailleurs la musique s’arrête pour reprendre en acoustique, car stopper serait donner encore trop d’importance à cette vacance  spirituelle et intellectuelle, maintenant voix et instruments réitèrent le constat de cette déroute si absolue qu’elle en devient relative. A quoi bon crier au secours quand tout est terminé. Starflesh : Nauman ( participe à plusieurs groupes amis ) assure guitare et vocal : quand l’on est au plus bas, il ne reste plus qu’à remonter. La batterie et les riffs ne vous lâchent plus et vous le rappellent, une fois les valeurs humaines arrivées en bout de course, il est inutile d’en inventer d’autres, elles finiront elles aussi par se déliter, la solution n’est plus sur cette terre, sous la lune dirait Aristote, mais bien au-dessus, il est nécessaire de réaliser la grande fusion, quelques notes de guitare acoustique avant de vous révéler le grand dessein, asséné à coups de lourdes orchestrations, savoir se transformer, ne plus être le fils de la terre, devenir celui du cosmos, que la chair devienne poussière d’étoiles, l’accompagnement chavire comme un disque légèrement décentré avant de gagner une amplitude victorieuse, la mutation est-elle réussie, est-elle seulement envisagée, toujours est-il les guitares s’en vont tutoyer les galaxies.

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     Calculated silence : musique compressée, tout se bouscule, batterie éruptive, vocal enragé, revenir à vitesse grand V dans ce monde-ci, se retrouver, apprendre à faire le calme, à juguler l’expérience de ces millions d’années que tu as intégrées, coupure, respirer fort, se recueillir en soi-même, tu es une bombe humaine lancée sur l’autoroute du destin hominidien. Où, quand, comment exploseras-tu ? Trop tôt, trop tard. Pétard mouillé. Vertige ou illusion. Modernity : rien n’a changé, des plaques de musique se détachent de nulle part et viennent vous envelopper, lorsque la séquence est terminée une autre ne tarde pas à la suivre, voix étouffées qui se forcent un passage malgré le diaphragme oppressé, la modernité n’est pas celle que l’on croit, celle du progrès et de la libération des hommes par les miracles technologiques, elle est celle de la séparation, des riches et des pauvres, de cette coupure insurpassable qui régit les lois de la société, la modernité vous enserre de ses blocs de glaces qui vous paralysent et vous engourdissent, quelques notes d’une berceuse pour qu’entre en vous l’acceptation des faits établis, tout s’éteint, se calme, vous endort à jamais. Chut ! Silence. Questionning everything : comme un ours entre en hibernation lors d’une grande glaciation, l’acceptation de la mort se rapproche à pas lourds et  feutrés, tout est perdu, refaire la partie dans sa tête, le vocal devient solennel, moment crucial, comment et pourquoi résister, abdiquer au plus vite de peur de reconnaître que l’on n’est déjà plus soi, légers tapotements interludes, serait-ce la fin du combat de soi, n’at-on pas déjà tout essayé en vain, l’on perd toute créance en soi-même, lourdeurs de catafalques pour générique terminal, la défaite est une chose, mais l’acceptation de la défaite est encore plus terrible. La solution ne serait-elle pas de quitter la coquille vide des illusions et de se redresser tête nue tel un soldat qui se hisse hors de la tranchée sachant que dehors ne sera peut-être pas mieux, mais ne pourra être pire. Dissolution : la solution n’était pas la bonne. Encore pire que prévu. Tintements de cordes. Une voix d’agonie tire la leçon, une espèce de confession sur le lit de mort, les dernières paroles ultimes léguées à ses proches, l’idéal n’est-il pas de mourir. Elegeia : élégie poème du regret et de la mélancolie, la musique est trop forte pour que l’on se contente d’un tel dessein, pourtant rien n’a changé, le monde est aussi laid et impitoyable qu’on le savait, inutile de faire de beaux rêves, d’embrasser de nouveaux idéaux, toute cette pacotille tombera au fond de l’eau, aucun espoir ne te sera permis, marche martiale, dorénavant tout sera comme avant, comme toujours, aucune amélioration, voix étranglée par l’effort, personne ne te tendra la main, tu seras sempiternellement seul, aucune consolation, la musique se délite pour reprendre force et tourment, le héros continue sa route, sans peur ni reproche, face tournée vers le soleil des vivants. La musique poursuit son chemin…

    ,robert palmer, dion, wildhearts, sailors, bob dylan, backbone, elvis presley,

    Pas très gai. Un regard noir jeté sur notre époque. Lyrics de toute beauté. L’on peut dire que les musiciens subsument le vocal, comme la pierre supplante Sisyphe.

    Radoslaw Kurzeja est l’auteur de la couve, quelques-unes de ses œuvres sont à regarder sur Instagram, la pochette d’Embracing dissolution ne me semble pas tout à fait représentative de son style, celle de l’EP Grey foundations of stone me paraît plus appropriée pour rendre compte de cet artiste, graphiste, musicien et libraire.

    Profitons-en pour écouter cet étrange Ep sorti en   qui précède et éclaire l’atmosphère si particulière de l’album précédent.

    GREY FOUNDATIONS OF STONE

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    Cathedral : dès le début l’on est surpris, parce que le groupe ressemble davantage à un groupe de doom lambda, tant au traitement de la voix que des séquences instrumentales, mais le tout est baigné d’un mysticisme peu commun qui emporte l’adhésion par son étrangeté. C’est la même équipe qui a participé aux deux disques. Les lyrics ne sont pas tous signés du même rédacteur, n’empêche qu’il s’en dégage une unité de ton étonnante. Cathedral porte bien son puisqu’il s’agit de la description d’une cathédrale, même si l’amplitude sonore et la voix hérissée nous transporte vers quelque chose de plus immémorial et fondateur, tout se mélodise et nous voici déambulant dans la nef déserte, ce qu’il advient par la suite est plus difficile à saisir, une espèce de crise mystique, pour ainsi dire une transfiguration minérale, où l’impétrant subit une transgression êtrale qui lui permet  descendre dans les règnes naturels et de devenir lumière de pierre. L’ensemble est d’autant plus bizarre que celui qui ne comprend pas les paroles se dira, pas mal du tout ce morceau. Passant à côté de son irréductible étrangeté. Forest of twilight : rythme balancé, tanguant entre rêve et souvenir, entre présent et passé, cheminement dans une étrange forêt, est-elle intérieure, ou extérieure, dans quelle dimension est-elle située, atmosphère non diaphane, la voix sludge, grossièrement serait-on tenté de dire si l’on en juge par ce qu’elle dévoile, serait-ce la simple confession d’un croyant qui se livre à son examen de conscience, ou l’expression d’une expérience de ressourcement aux formes primaires et végétales, quelque chose qui se situerait entre les travaux sur la lumière et les réflexions sur les plantes de Goethe. La voix se tait et laisse la musique dérouler la pelote du sens.  A moins qu’elle ne marque le retour à la vie de tous les jours…Spectral blue moon : instrumental, car que dire de plus. Un halo instrumental fuse hors du néant et se distille dans l’espace. Apesanteur, repos, méditation. Rosée qui tombe de l’astre sélénéen, grosses gouttes de basse, Backbone à cheval entre les pataugas de la réalité et son interprétation par le rêve. Grey fondations of stone : davantage torturé, quelles sont ces grises fondation de pierre, une métaphore des éléments culturels sur lesquels se fondent les civilisations. Le vocal devient acerbe. Il est empli de soubassements christianolâtres, mais cela suffit-il, l’échec n’a-t-il pas couronné cette voie, les guitares se heurtent en bruits cristallins d’icebergs qui se cognent l’un dans l’autre. Interrogation sacrilège, serait-ce vraiment utile de rebâtir sur ces fondations de pierre dont les assises n’ont pas tenu. Est-ce pour cela que nous revenons toujours à ce granit tellurique. Ne seraient-elles pas un cul-de-sac, une voie sans issue. Le même ne revient-il pas toujours. Pourquoi donc réessayer, à cause de cet espoir empli d’amertume. Le fond sonore nous laisse dans l’expectative.

    Ces quatre morceaux s’inscrivent dans un fonds religieux sans équivoque. Un questionnement fondamental assureront les âmes religieuses. Du haut de mon incroyance j’en ricane avec l'Abbé Cane dans la barbacane. N’empêche que ces quatre morceaux sont puissants et méritent le détour.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Il est des disques ou des CDs que l’on achète simplement pour le plaisir, quitte à les poser dans un coin sans les écouter parce que l’on connaît le contenu. En voici un, pas vraiment une nouveauté, ni même une rareté, des titres archi-connus en prime. Tiens m’étais-je dit, l’Elvis Country ( I’m 10 000 years old) avec une pochette que je n’ai pas, certes l’originale de 1971 était bien plus belle, mais c’est Elvis, on ne mégote pas, on prend les yeux fermés. Un rocker ne commet aucun crime de lèse-majesté. Bien sûr je me suis planté, cet Elvis Country n’a rien (presque rien) à voir avec l’Elvis Country ( 1971 ). Remarquez, comme c’est piégeux, cet Elvis Country existe aussi avec la pochette de l’Elvis Country 1971. Bienvenue dans le labyrinthe des rééditions presleysiennes.

    ELVIS COUNTRY / ELVIS PRESLEY

    ( RCA / 1987 )

    Huit titres, à l’origine une cassette de moyenne durée.

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    Whole Lotta shakin’ goin’ on : Je n’aurais jamais mis ce titre dans une sélection country mais si Elvis et Felton Jarvis qui supervisait la séance de 71 l’ont décidé, je prends acte et je me tais. Voix parfaite d’Elvis, une interprétation que je qualifierais de synthétique dans la lignée de son I got a woman, une orchestration qui met en évidence le tom-tom de la batterie et cette pedal steel guitar coulissante qui particularise cette version. Elvis connaît sa grammaire rock sur le bout de la langue, je ne vous en voudrais pas si vous préférez Jerry Lou et son pumpin’ piano. Funny how time slips away : vieux morceau de Willie Nelson, qui suit aussi le titre précédent sur le 71, caution country au plus haut, mais un peu trop jazzy-sirupeux à mon goût, je ne peux l’entendre sans penser qu’ Elvis imite un tantinet le phrasé de Sinatra… Je vous laisse seul juge. Baby let’s play house : l’on se demande ce que vient faire ce titre sur ce disque consacré au répertoire country, sur Sun Elvis met au point les tables de la loi du rock blanc, l’arrache justement à la gemme country, ne boudons point toutefois notre plaisir même si perso j’ai un gros faible pour la version de Buddy Holly, moins rurale je l’admets, déjà plus urbaine. Rip it up : se trouve sur l’album Elvis 1956, le génie d’Elvis à l’état pur, toujours la même transmutation alchimique faire de la pierre rouge du rock’n’roll noir une autre pierre rouge fondatrice du rock’n’roll blanc. Ma préférence se porte sur la version de Gene Vincent. Dans tous les cas, hommage à Little Richard. Lovin’ arms : le mélo country par excellence, paru en 1974 sur l’album Good Times, voix du King à pleurer, pedal steel guitar, chœurs féminins, à redécouvrir d’urgence. You asked me to : issu de l’album Promised Land paru en 1975. Dans la même lignée que le précédent mais hormis les refrains l’on peut dire que le vocal se rapproche d’un certain dépouillement. She thinks I still care : enregistré par Elvis chez lui en 1976. Voir le CD : Way down in the jungle room. Elvis - ses boys et Felton Jarvis son ami qui de 1966 à 1977 produisit pratiquement tous ses disques - enregistre en deux séances, février et octobre tout un lot de chansons qu’il aime particulièrement, Elvis cherchait-il une nouvelle voie, à partir de son substrat originel… Le morceau Way Down publié en 1977 un mois et demi avant sa disparition fut son dernier numéro 1… Intéressant d’écouter ces trois morceaux dans l’ordre chronologique, se ressemblent beaucoup, mais la voix d’Elvis gagne à chaque fois en ampleur. Cette fois-ci l’interprétation d’Elvis n'est pas loin de ses premiers slows enregistrés chez RCA style I want you, I need you, I love youParalysed : retour à l’album Elvis, j’appelle cela du rock vocal, bonjour les Jordanaires, qui flatte l’oreille mais ne détruit pas le cerveau, qui s’éloigne de la parfaite réussite de Don’t be cruel. Un morceau non essentiel à la survie du rock’n’roll et encore moins à celle de la country.

    Gloire à Elvis !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 526 : KR'TNT ! 526 : WILKO JOHNSON / BOB DYLAN / CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL /MARLOW RIDER / CALIGULA / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 526

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    21 / 10 / 2021

     

    WILKO JOHSON / BOB DYLAN

    CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL

    MARLOW RIDER / CALIGULA /

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

    Wilkoko bel œil

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    Si on cherche des infos de première main sur Dr Feelgood, on en trouvera dans Don’t You Leave Me Here, l’autobio de Wilko Johnson. Mais attention, Wilko ne parle pas que de musique. Il évoque surtout ses deux cancers, celui qui a emporté la femme de sa vie Irene et celui qui a bien failli l’emporter lui aussi. Une tumeur à l’estomac. Inopérable.

    — Combien de temps il me reste à vivre ?

    — Oh onze mois si vous faites une chimio, sinon neuf mois.

    — Fuck, je ne veux pas de chimio !

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    Wilko est un rocker. Il garde sa dignité. Il est condamné, autant finir en beauté, sur scène. Mais un chirurgien va en décider autrement : le Dr Huguet pense qu’on peut opérer. Et hop, Wilko monte sur le billard. On a tous les détails. Même ceux de la convalescence, avec les séances d’aspiration du contenu de l’estomac par le nez, car pendant un temps, Wilko n’a plus d’intestin, ça doit ressortir par en haut. L’infirmière ? She does it right. Elle ne s’appelle pas Roxette, mais c’est tout comme. Tout ça pour dire que Wilko fait partie des miraculés. Il avait réussi à s’habituer à l’idée de la mort - I felt free. Free from the future and the past, free from everything but this moment I was in - Il continue à tourner avec ses deux amis, mais il sent venir la fin - Toutes ces routes, tous ces concerts, et maintenant ça se termine, là sur scène avec la main de la mort sur mon épaule - En plus, Wilko écrit bien, dans un style très dépouillé qui correspond parfaitement à l’idée qu’on se fait du musicien. Il raconte par exemple l’attente avant le concert : «On a généralement deux heures à tuer dans la loge avant de monter sur scène. Je les passe à tourner en rond, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Pourquoi dans ce sens ? Je ne sais pas. Si j’essaye de tourner dans l’autre sens et que je me mets à réfléchir, je repars en sens inverse.» Quand il décrit Canvey Island la nuit, son style s’enflamme : «At night, it was a blaze of electric lights, with huge flames pouring from the stacks. When the sky was overcast the flames would reflect on the clouds above, casting a flickering Miltonic light over the island as if it were a remote suburb of Hades.» (Une multitude de lumières électriques éclairaient la nuit et les cheminées crachaient d’immenses flammes. Quand le ciel était couvert, la lueur des flammes se réfléchissait dans les nuages, répandant sur l’île une lumière vacillante digne de Milton. On se serait cru dans la caverne des enfers).

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    Wilko commence par raconter son enfance à Canvey Island, qui est une sorte d’île aménagée sous le niveau de la mer, dans l’estuaire de la Tamise, tout près de Southend-on-Sea. Les digues nous dit Wilko furent construites par un ingénieur hollandais au XVIIe siècle, mais en 1953, elles cédèrent et l’île dut être évacuée. Wilko l’a vécu comme un gros cauchemar. L’autre gros cauchemar, c’est son père qu’il hait, car il est mauvais. Sa mort sera un soulagement. Il hait aussi l’école. Sa première idole, c’est bien sûr Mick Green, le guitar slinger des Pirates de Johnny Kidd. C’est l’une des meilleures filiations qui soit. Il est tellement fasciné par le son de Mick Green qu’il apprend à jouer de la guitare en écoutant ses disques, et c’est là qu’il se forge un style, ce qu’il appelle son chopping sound. Mais avant Mick Green, il y a Irene, sa fiancée de toujours à Canvey Island - Irene Knight was the most beautiful human being I ever knew - Avec Wilko, c’est à la vie à la mort - She was part of me. She was my better half. Everybody loved her - Évidemment, quand un cancer l’emporte, Wilko comprend qu’il ne peut pas vivre sans elle. Il passera le restant de sa vie à penser à elle.

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    Comme le firent de nombreux Anglais dans les early seventies, Wilko se paye en voyage en Afghanistan, puis aux Indes. C’est une sorte de voyage initiatique qui passe bien entendu par les drogues locales, les plus puissantes du monde. C’est à Bombay qu’il rencontre Mr Kardoom. Tous les soirs, ils s’assoient ensemble face à la mer pour contempler les étoiles. Le rituel est simple : Mr Kardoom demande deux roupies à Wilko puis il envoie un boy chercher de la ganga. Il dit que c’est bon pour la santé. Puis il mélange la ganga avec du black haschich et allume le chillum : «Il tira une bouffée qui le fit tousser et une pluie d’étincelles tomba du chillum. Soon we were all helpless.» Et plus loin, Wilko décrit son hallucination : «Ils élevèrent leurs bras pour former un mandala riche en couleurs. Au centre se tenait Mr Kardoom qui me fixait dans le blanc des yeux : ‘You walk in the sky ?’ ‘Yes’ I said et le mot résonna sans fin sous mon crâne.»

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    Avant de devenir le Feelgood que l’on sait, Wilko et ses copains accompagnaient Heinz, qui eut sa petite heure de gloire dans les early sixties, grâce à Joe Meek. Heinz est tout le temps bourré sur scène et les Feelgood qui font les chœurs font : «Heinz bakes the meanest beans !» au lieu des «Bop-shoo-wop» prévus. Ils se retrouvent avec Heinz en ouverture du fameux festival de Wembley, en août 1972, à la même affiche que Chickah Chuck, Jerry Lee, Little Richard, Bo Diddley, Bill Haley et le MC5. Wilko est fasciné par Wayne Kramer et sa façon de danser sur scène en imitant James Brown. C’est là qu’il comprend l’importance de ce qu’il appelle the physical action and dynamics in playing rock’n’roll. Et comme ce jour-là Wayne Kramer s’était peint le visage en or, Wilko fera de même, for a couple of gigs.

    Au commencement, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Lee Brilleaux could be hysterically funny. Sparko était un stoïque, un personnage imperturbable with a cynical grin and a great talent for sleeping. Quant à Figure, il pouvait rire à s’en couper le souffle et se tenir appuyé au mur des deux mains. Quand Wilko écrit ses chansons, c’est avec la voix de Lee en tête.

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    Dès le premier album, le fameux Down By The Jetty, Wilko engage le bras de fer avec Vic Maile qui voulait l’enregistrer par étapes, comme le font généralement les ingés son : section rythmique, puis guitare puis chant. Wilko refuse. Il veut un son live. Il refuse catégoriquement de falsifier le son de Feelgood. Wilko ne lâche rien - We recorded all the tracks in one or two takes and used no overdubbing - Cette intransigeance lui vaudra par la suite bien des ennuis. Les autres Feelgood ne pourront pas la supporter longtemps. Mais l’histoire donnera raison à Wilko : quel son ! Tout le son est là dès «She Does It Right». C’est tout simplement l’épitome de l’apanage du Feelgood Sound. Wilko fait tout le boulot à lui tout seul et Figure bat ça si sec. Tout est là, dans le sec du traitement, dans le battage de riff Tele. Les deux outstanders sont en B, à commencer par «Keep It Out Of Sight», bien taillé dans le vif, puis «Cheque Book», joué en coupe réglée, battu droit devant. On note au passage l’incroyable vitalité du droitisme. Par contre, Wilko massacre «Boom Boom» et un cut nommé «That Ain’t The Way To Behive». Il n’a pas de voix, c’est vraiment stupide de sa part, d’autant qu’il dispose d’un bon chanteur. Beaux slabs aussi que ce «Roxette» gratté à l’os et «I Don’t Mind», battu sec sur la Tele. C’est là où Feelgood prend tout son sens. «All Through The City» fait partie des cuts non valorisés et pourtant quel festival. Brilleaux brille de tous ses feux en le prenant à la bonne arrache.

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    On les sent lancés. La même année, United Artists fait paraître Malpractice. On dirait même qu’ils montent encore d’un cran dans la sagacité riffique, ne serait-ce que pour ces trois bombes que sont «I Can Tell», «Back In The Night» et «Because You’re Mine». Ils ouvrent avec cette belle cover de Bo Diddley : Wilko riffe «I Can Tell» au claqué des cavernes de Canvey avec le raunch épouvantable de Lee Brilleaux en tartine supérieure. Ils jouent comme les quatre doigts de la main. «Back In The Night» flotte dans l’azur immaculé comme l’étendard de Feelgood. Même si ça sonne comme un boogie global, ça reste du fantastique Feelgood System, joué avec un sens de la mesure affolant de pertinence. On pense évidemment à l’«I Hear You Knocking» de Dave Edmunds. Même sens du peaufiné de retenue. C’est en B qu’on trouve l’excellent «Because You’re Mine». Wilko le bat à l’enragée sur sa chère Tele financée par Irene. Il devient un peu le roi de la rythmique britannique, au même titre que Mick Green dont il descend en droite ligne. Fabuleux batteur de riffs, il joue avec une hardiesse et un courage dont on ne trouve d’équivalent qu’au temps des chevaliers. Ce fabuleux tailleur de taille et d’estoc claque et tire trois notes pour faire monter la viande sur l’os, il joue à la cocotte de basse-cour royale et fait le show à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. On le voit aussi gratter sec «Another Man». Il redéfinit le sec plus ultra de la cisaille. Il joue tous ses cuts avec un sens du sharp qui écharpe le sherpa titulaire. Ils font aussi un gros clin d’œil à Mudddy avec une version de «Rolling & Tumbling». Wilko nous riffe le boogie du delta à l’âpre dextérité. Il muddyse Muddy à Canvey, charge ses riffs de limon et organise la mainmise de la Tamise. En B, ils tapent aussi dans le fameux «Watch Your Step» de Robert Parker, mais avec la touche Feelgood, ça prend un sacré relief. Et cette Tele hyper motivée de Wilko n’en finit plus de bousculer les lois de l’équilibre naturel. Oh il faut aussi saluer la reprise du «Don’t You Just Know It» de Huey Piano Smith - Ah-ah-ah hey oh ! - Ça trépide dans d’intrépides turpitudes terminologiques, avec un solo de gras double signé Koko bel œil, roi de la cisaille invétérée et de la note qui grelotte au petit matin. Ce démon profite de Huey pour multiplier les effets de tagada sur sa Tele.

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    Il se bat aussi pied à pied pour sauver le son de Stupidity que United Artists et les autres Feelgood voulaient bricoler. No Way ! On garde le so si son sec du set. Wilko a raison de se battre pour préserver l’intégrité du Feelgood Sound, car l’album arrive en tête des charts - So my intransigence had given Dr Feelgood their biggest ever records, but it had set me apart from the others - C’est vrai qu’il va payer cher son intransigeance, mais l’album est bon, on les voit foncer comme un train fou avec «Talking About You» et sortir une belle version de «Stupidity». Mais Wilko prend le chant pour «20 Yards Behind» et casse les reins du set. Ils relancent avec «All Through The City». On reconnaît le son de Wilko dès les premières secondes. Admettons qu’il ait un son unique au monde. Avec «She Does It Right», il sort l’un des riffs les plus urgents de l’histoire du rock anglais. Nous n’en finirons plus de le vénérer pour ce coup de maître. Ils attaquent la B avec un «Going Back Home» pas aussi déterminant que «She Does It Right», mais solide. Avec le riff d’«I Don’t Mind», il harponne le cut et toute la bande à Bonnot. Wilko, c’est Moby Dick qui entraîne le vaisseau du capitaine Achab dans les abysses. Ils font pas mal de boogie plan-plan («I’m A Hog For You Baby» et «Checking Up On My Baby» et terminent avec un autre riff historique, celui de «Roxette». Tout est dit avec ce sens aigu de l’attaque. Wilko est un sharper de l’Himalaya. Il peut jouer sec sans ciller, il amphétamine le ruckus du rock.

    La fin de Dr Feelgood est dramatique. Quand CBS organise une grande tournée américaine, deux camps se forment : d’un côté les drinkers, Lee Brilleaux et les deux petits gros, et de l’autre Wilko, shooté aux amphètes dans sa chambre - A great antipathy grew between us - Lemmy affirmait que les speed-freaks et les alcooliques ne pouvaient pas s’entendre. Wilko ne dort pas, il passe ses nuits à tourner en rond dans sa chambre d’hôtel, trying to write new songs. Car c’est lui qui fournit le groupe en chansons, et jamais personne ne lui file un coup de main. La situation tourne vite au cauchemar dans un groupe, quand on ne se parle plus - J’étais complètement isolé dans ma chambre, out of my mind, alors que les autres étaient en bas au bar en train de parler de moi - Wilko raconte qu’il entendait parfois à travers les murs des chambres d’hôtels les tirades alcoolisées des autres qui passaient leur temps à lui chier dessus. Il est arrivé un moment où Lee et Wilko ne pouvaient plus rester dans la même pièce. Il donne bien tous les détails, comme ces attentes à l’aéroport, où les trois autres sont au bar en train de siffler des tequilas et Wilko tout seul assis à une table à se demander ce qu’il fout là. Puis la shoote éclate à propos de «Lucky Seven» qu’ils ont enregistré sans Wilko. Wilko dit que ce n’est pas une Feelgood song. Le lendemain matin, il est viré de Feelgood - I say I was forced out. I didn’t leave - Et pouf, le pauvre Wilko se retrouve tout seul, sans groupe ni management, et les autres gardent le nom et ses chansons - I was destroyed. Exactement le même destin que celui de Brian Jones.

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    Alors faut-il écouter l’album maudit, Sneaking Suspicion, paru en 1977 ? D’une certaine manière oui, car dans le morceau titre d’ouverture de bal, on retrouve le big popotin à la Wilko. Les autres apportent leur contribution, c’est sûr et Wilko cocote dans son coin, comme un vilain petit canard. Et puis, il recommence ses conneries : il chante «Paradise» alors qu’il dispose d’un bon chanteur. C’est aussi lui qui chante «Time And The Devil». Ça ne se passe pas aussi bien qu’on le voudrait. On note cependant l’excellente musicalité d’ensemble. On pourrait même les croire unis comme les quatre doigts d’une main de pirate. Il attaquent la B avec «Lucky Seven» signé Lew Lewis, c’est-à-dire le cut qui a foutu Feelgood par terre, la fameuse pomme de discorde. On sent qu’au plan composital Wilko tourne un peu en rond avec son «Walking On The Edge». D’ailleurs, il tourne en rond dans sa chambre à Rockfield. Il est un peu le Xavier de Maistre du rock anglais. Il voyage autour de sa chambre pendant que les trois autres sifflent des verres au bar. Ils terminent avec une version bien percutée du pimpant «Hey Mama Keep Your Big Mouth Shut» de Bo, mais bon, la messe est dite.

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    Parmi les grands amis de Wilko, il faut compter Mick Farren, Lemmy et Wayne Kramer. Farren est l’un des premiers à saluer Feelgood dans le NME et Wilko a la chance de passer des nuits avec Mick et sa femme Ingrid, à écouter Dylan et à discuter de William Burroughs - I loved Mickey, he had a good heart and all the idealism of the 1960s still lived within him - Wilko joue d’ailleurs sur deux cuts de l’album Vampires Stole My Lunch Money. Avec Lemmy et Mick Farren, ils forment le trio de choc : «Lemmy was good company, intelligent and witty, and he had a kind of twisted wisdom. As fellow speed-freaks (Mick Farren reckonned I was the only bloke who was able to keep up with Lemmy), we often spent whole nights rapping.»

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    Wilko démarre sa carrière solo avec les Solid Senders. Il ne s’étend pas trop sur l’épisode - Bonnes critiques mais faibles ventes - You know when things ain’t right, they all go wrong - Virgin lâche aussitôt le groupe. Vic Maile avait prévenu Wilko : tu perds ton temps avec ces trois mecs-là. En effet, ils n’ont pas l’air très avenants, comme le montre la pochette de Solid Senders. L’album fait partie de ceux dont on se dispense facilement, surtout quand on tombe sur le «Blazing Fountains» d’ouverture de bal d’A : c’est atrocement mal chanté et trépidé du popotin. Leur boogie n’a aucun avenir. Ils font même du reggae. Wilko devait aller très mal pour sonner comme ça. L’album est catastrophique. Le plus drôle est qu’il chante si mal qu’on le reconnaît immédiatement. Et quand ce n’est pas lui chante, ça perd tout le peu d’intérêt qu’on peut trouver à cette écoute. «Burning Down» est le seul cut à sauver en B, de même que «I’ve Seen The Signs», une chanson de pub mal chantée mais plutôt captivante, qui sent bon la dérive.

    Wilko joue un temps dans les Blockheads de Ian Dury et finit par récupérer Norman Watt-Roy, le bassman des Blockheads - Norman Watt-Roy was an Anglo-Indian who seemed to live for playing the basss, getting stoned and laughing - Wilko brosse toujours des portraits fabuleux des gens qu’il rencontre. Voici le portrait qu’il brosse de Charlie Chan, un photographe qui est aussi un cancérologue, et qui va sauver Wilko en le mettant en contact avec le Dr Huguet : «A ubiquitous, vociferous and alarming character, he seemed to be everywhere at once.»

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    Ice On The Motorway sort en 1980 sur Underdog, un label qui est un peu la suite de Skydog. Les nommés Strutter & Nines accompagnent Wilko. Il impose un drôle de style avec une curieuse manière de chanter et un beat encore plus tranchant qu’au temps de Feelggod. Comme il n’a pas de voix, il chante un peu à l’exacerbée. C’est très spécial, il doit se prendre pour une rock star, ce qu’il est, d’ailleurs. Il joue son «Down By The Waterside» sur place, dans l’instant T. On le voit mener sa barque à la godille dans le morceau titre. Ses cuts étranges finissent vraiment par captiver. On arrive donc en B tout ouïe pour «When I’m Gone». Il ressort sa vieille formule d’efficacité maximaliste. Wilko ne veut pas disparaître du paysage aussi jette-t-t-il tous ses œufs dans le même panier. Il ultra-joue épaulé par un bassmatic avantageux. Pas de hit sur cet album, rien que des cuts solides joués pour de vrai, pas pour de faux. Il tape quand même dans son vieux «Keep It Out Of Sight» et le chante avec une mauvaise hargne de collégien. Il finit par émouvoir. Sa façon de prononcer sight est très belle, très anglaise. Il boucle avec le cut le plus surprenant de l’album, une reprise du fameux «The Whommy» de Screamin’ Jay Hawkins, screamée en long, en large et en travers. Stupéfiant !

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    En 1984, Wilko tire la couverture à lui avec Pull The Cover sur Skydog. C’est un jeu de mots qui ne fonctionne qu’en anglais, car c’est un album de covers, c’est-à-dire de reprises. Wilko tape dans Dylan avec «I Wanna Be Your Lover», mais sa voix monte trop haut dans le mix et ça pose un problème esthétique. On reste dans le bon boogie avec «My Babe». Les gens qui accompagnent Wilko maîtrisent bien leur volumétrie. Ça passe mieux quand la voix de Wilko disparaît dans le forfait. Il attaque sa B avec une reprise de Junior Wells, «Messing With The Kids», mais il s’arrange pour le massacrer au chant. Il n’a ni la voix ni le swagger. C’est un cut fait pour un white nigger, non pour un Koko bel-œil. La seule cover qui passe est celle du «Mendocino» de Doug Sahm. Il chante comme une brêle et massacre cette merveille, mais c’est ce qui donne un cachet iconoclaste à cet incroyable désastre. Quand il évoque l’épisode de cet album, Marc Zermati reste très circonspect.

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    Trois ans plus tard, Wilko enregistre Call It What You Want et met sa Tele noire et rouge sur la pochette. Il démarre avec «Looked Out My Window» et chante si faux que ça fait mal aux oreilles. Mais en contrepartie, il fouette ses cordes comme un cake. Il est parfait dans le rôle de fouette cocher. Et quand il part en solo, c’est toujours à l’effervescence. Norman Watt-Roy le soutient avec du gut à revendre. Chez Line, ils sont si pauvres que l’intérieur du leaflet n’est même pas imprimé. Mais au fond, a-t-on besoin de commentaires ? Pour rester en cohérence, Wilko gratte sa chique dans son coin et se fout des commentaires. On croise plus loin une version d’«Ice On The Motorway» atrocement mal chantée. Quel gâchis ! Il part en killer solo flash dans «Willy Billy» et sauve les meubles. Norman Watt-Roy amène «Muskrat» au heavy doom de bassmatic. Ce mec est une bombe sexuelle, il joue au gros beat de percute. Hélas, le pauvre Wilko chante comme une casserole. On imagine la gueule des mecs présents au concert. Il faut dire que le son de Feelgood est là. Dommage que Wilko chante. D’ailleurs ils reprennent «Back In The Night». Ils font d’autres reprises comme «Messin’ With The Kid» et «Casting My Spell». C’est avec «Think» que Wilko rive le clou du disk. Il taille dans la falaise, à la dure, avec ses petits outils. C’est très impressionnant. Il sait se lancer dans un enfer sans trop s’exposer. «Some Other Guy» est à cet égard exemplaire de déballonnage. Il joue son va-tout au sharp, comme toujours. C’est Norman Watt-Roy qui fait le show dans «I Wanna Be Your Lover». Heureusement qu’il veille au grain.

    Son deuxième grand amour après Irene, c’est le Japon - I feel in love with Japan straight away - Et le hasard des tournées fait parfois bien les choses : Wilko est très populaire au Japon et lors d’une tournée, qui fait sa première partie ? Dr Feelgood ! - Croyez-moi, ils n’étaient pas très bons (they were feeble) - it was sad to see them. We didn’t talk.

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    Sur Barbed Wire Blues paru en 1988, Wilko se permet de sonner encore mieux que Dr Feelgood. Il fait tout le Feelgood à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Pareil avec le «Livin’ In The Heart Of Love» d’ouverture de bal : c’est de la pure raclure de Feelgood avec des chœurs de studio. Pendant ces deux minutes, Wilko redevient le roi du monde. Tout Feelgood, c’est lui. Il parvient chaque fois à recréer la sensation. Il tartine bien son chant, c’est un malin, un bon samaritain, le digne héritier de Mick Green. Ils tapent «Waiting For The Rain» au heavy groove et ce diable de Norman Watt-Roy ramone son bassmatic comme une brute épaisse. Il fait le show sur son manche. «I Keep It To Myself» sonne comme un sacré retour en force. Ils savent rester classiques dans la structure, mais ils avancent avec un sens aigu du cahin-caha. Chez eux, c’est la main dans la main. Il faut entendre Norman Watt-Roy cavaler au pouet pouet dans «Take Me Back». Il cavale en crabe comme Charles Laughton dans Quasimodo. Il pouette tout ce qu’il peut dans le bénitier avec une fantastique énergie divisionnaire. Retour au pur Feelgood sound avec «The Hook (Little Darling)». Wilko fait la pluie et le beau temps, il claque des accords sourds comme des pots et roulez jeunesse ! Il termine cet album passionnant avec «Out In The Traffic», un rumble très salubre. Avec un mec comme Wilko, on se sent en sécurité. Surtout si on a lu son book. Ce mec impose en plus un sacré respect. Il roule dans la fournaise de sa petite pétaudière avec un Norman Watt-Roy fidèle au poste et un certain Salvatore Ramundo au beurre. Wilko passe un solo tranchant à la Mick Green, il écharpe le chorus à coups de sharp. L’un des pires d’Angleterre.

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    Encore un album live avec Don’t Let Your Daddy Know paru en 1991. On retrouve la même équipe, avec un Norman Watt-Roy en forme et un Wilko qui chante toujours aussi mal. C’est Watt-Roy qui ramone la cheminée d’«Everybody’s Carrying A Gun». Le son de «Barbed Wire Blues» est tellement aigrelet qu’on craint pour sa santé. En écoutant le boogie romp du morceau titre, on se dit que tout va bien tant que Wilko ne chante pas. Watt-Roy broute la moule du cut mais hélas, Wilko revient au chant et ruine tout. Il ne s’en rend même pas compte. Dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Il n’a pas de voix. Pourquoi ne l’empêche-t-on pas de chanter ? Ça lui rendrait service. Il revient à son vieux «Keep It Out Of Sight». On attend la niaque de Lee Brilleaux et Wilko ramène sa voix aigrelette. Quelle déconvenue ! Derrière, les deux autres tentent de sauver les meubles. Wilko part en petite maraude de gratté de gratte. Mais il revient au micro et c’est la catastrophe, même si Watt-Roy bombarde au pouet de bassmatic. «Cairo Blues» est l’un des cuts les moins pires, car Wilko chante de l’intérieur du menton. Mais il faut rester honnête : c’est insupportable.

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    Attention, il existe deux albums portant le même titre : Going Back Home. Le premier date de 2003, et le deuxième est celui qu’il enregistre en 2014 avec Roger Daltrey. Sur celui de 2003, on retrouve la même équipe, Wilko, Norman Watt-Roy et Salvatore Ramundo. Rusé comme un renard, Wilko attaque «Beauty» au laid-back pour bien cacher son absence de voix. Norman Watt-Roy pouette ça bien. Il faut dire au Ramundo frappe sec dans «She’s Good Like That». C’est un album étrangement travaillé côté son. Dès qu’il cesse de chanter, Wilko devient intéressant. Il va chercher des accords de revoyure dans ses transits intestinaux et derrière, Norman Watt-Roy pouette comme un roi. Ils n’en finissent plus de faire du Feelgood. Ils ne s’en lassent pas. Avec «I Really Love You Rock’n’Roll», Wilko revient à son petit trépidé de Canvey. Il n’en sortira jamais. Il est très fort, car il trouve toujours des gens pour l’accompagner, même s’il n’a pas de voix. Il chante «Underneath Orion» comme il peut, c’est très galvaudé. Il garde bien ses prérogatives. Pas question de toucher aux oraisons de son so si son sec. D’un strict point de vue boogie, c’est infernal. Le seul problème reste la voix. Un vrai carnage. Avec «Slippin’ And Slidin’», il retombe dans les catacombes du pub-rock mal chanté. Petite tentative de retour à Feelgood avec «Down By The Waterside». Wilko fait son Lee Brilleaux et devient pathétique. Il termine en chantant «Some Kind Of Hero» comme un chiffonnier. C’est même assez effarant de candeur destructive.

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    Quand Roger Daltrey vient trouver Wilko en 2014 pour enregistrer l’album Going Back Home avec lui, c’est avant l’opération. Wilko n’a plus que quelques semaines à vivre et Daltrey lui dit :

    — Je ferai tout ce que tu voudras.

    — Bon, okay, lui dit Wilko, We’ll have to do it quick !

    Pour un album vite fait, c’est plutôt réussi. Going Back Home est un sacré smash in the face. Cet album faramineux démarre en trombe avec le morceau titre. On est aussitôt agressé par l’énormité du son. Impossible de résister à ça. Roger et Wilko overwhelment. C’est assez dément. Belle association de dynamiques. Rog chante au sommet du lard et Wilko riffe à la raff. L’autre sommet de l’album s’appelle «Keep On Loving You», fantastique shoot de R’n’B avec un Wilko qui casse bien la cadence des accords. Ils optent pour le rentre-dedans. Wilko joue avec une rare férocité. Il tape dans son vieux «Sneaking Suspicion». Il wilkote tout sur son passage et Rog surchante son shoot. Wilko cocote comme un démon alors ça devient fascinant. On retrouve la grandeur d’un son unique. Wilko joue le rock à l’avenant et Daltrey chante avec un power mille fois plus éclatant que celui de Lee Brilleaux. La puissance riffique atteint un degré jusque-là inconnu. Daltrey ne fait qu’aggraver les choses - Midnight on the river/ In the light of the flames - Superbe envolée - Sneaking suspicion/ Creeping up inside of me - Wilko vient riffer dans le lard du contrepoint. Nouveau coup de génie avec la reprise de «Keep It Out Of Sight» - If you wait until your time is right/ Keep it out of sight - C’est noyé d’orgue, Rog se jette dans la bataille et Wilko riffe comme au bon vieux temps. Ces mecs chevauchent les walkiries des temps modernes. Encore du pur jus de Feelgood avec «All Throught The City». Rog se plie aux lois du vieux Wilko, ça riffe comme à Canvey, ils sont dans le vieux son ultra tendu, dans le vieux son de Tele noire et rouge. Wilko reprend aussi son vieux «Ice On The Motorway». Rog joue bien le jeu, c’est un brave mec. Du coup, il nous remonte dans l’estime. Rog et Wilko font bien la paire. Ils ont du métier et n’ont fait que du rock anglais toute leur vie. Le vrai truc. Ils sont effarants de tenue, de wah c’mon ! Wilko cisaille comme un dingue. Ils sortent un son fabuleusement enjoué, la meilleure cocotte du coin. Wilko ne lâchera jamais la rampe. Rog chante «I Keep It To Myself» comme un dieu. Ils tapent aussi une belle version du «Can You Please Crawl Out Your Window» de Dylan. C’est à nouveau un extraordinaire mix de son et de talent. On voit rarement des combinaisons aussi flashy en Angleterre. La chanson est belle, elle frise le Baby Blue, Rog descend la côte avec son pote Koko. Gros niveau. On comprend que Shindig ait retenu cet album pour le numéro du 50e anniversaire.

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    Encore un album explosif : Red Hot Rocking Blues, paru en 2005. Wilko annonce la couleur avec le morceau titre, un shoot de r’n’b doté de tout le swagger de Feelgood. Exactement le même. Troublant, n’est-ce pas ? Wilko donne une nouvelle leçon de boogie et derrière lui Norman Watt-Roy pouette comme un pétomane. On sent le trio à son apogée. Tout ce qu’ils jouent sur cet album est saturé de son. Ils sortent un son très volontaire, très carré de menton. Ils tapent dans Leadbelly avec «The Western Plains». Wilko chante ça au chat perché, avec une approche terriblement solide du heavy beat de youpee-yeah et du Feelgood Sound à la clé. Il chante ensuite l’«He Ain’t Give You None» de Van Morrison à la vie à la mort puis il tape dans Fats avec une version fantastique d’«Hello Josephine». Quelle révélation ! Wilko refabrique de la légende. Et voilà qu’ils tapent une cover d’«Help Me» au shuffle de Booker T. Assez bien vu. Ça groove à la vie à la mort de la mortadelle et ce démon de Norman Watt-Roy drive le brouet à la brouette. Wilko se jette dans la mêlée avec une certaine aura, mais il ne pourra jamais rivaliser avec la version d’Alvin Lee qui se trouve sur le premier album de Ten Years After. Il claque «Casting My Spell» à la petite claquemure de Canvey et se fend d’un nouvel hommage de choix, cette fois avec le «Talking About You» de Chikkah Chuck. Il nous gratte ça à l’accord de Tele et il revient à Van Morrison avec «Ro Ro Rosie». Il fait du Van feelgoodien, c’est assez gonflé. Il chante ça d’une petite voix fine. C’est très spécial, très dépouillé et très bienvenu. Il reste dans le Van avec l’insubmersible «Brown Eyed Girl». Il met toute sa bravado dans l’exotica du Van. Il chante à la voix scintillante et sort une version étonnante. Cet album marque bien son territoire et nos trois amis s’entendent comme larrons en foire.

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    En 2007, Julien Temple contacte Wilko : il souhaite raconter l’histoire de Dr Feelgood. C’est cette histoire que raconte l’excellent Oil City Confidential. Julien Temple boucle avec ce film sa fameuse trilogie de la renaissance du rock anglais : Feelgood, Sex Pistols et Joe Strummer. Direction Canvey Island, cette île située dans l’estuaire de la Tamise. Pour donner une dimension biblique à son film, Temple démarre les pieds dans l’eau, avec des images de la grande inondation de Canvey Island datant des années cinquante. L’île est en dessous du niveau de la mer, alors forcément, quand une digue cède, la mer reprend ses droits. Comme Temple sait raconter une histoire, il commence par le B-A-BA de Feelgood : le son de Wilko. Pas de médiator ? - Je n’arrivais pas à la tenir, alors j’ai appris à jouer sans - Wilko redit sa vénération pour Mick Green qui jouait à la fois la rythmique et les solos - Pas facile de reproduire ses trucs, I tried, I tried, I tried, c’est comme ça que j’ai trouvé mon style - Et tout Feelgood repose là-dessus, l’originalité d’un style directement inspiré de celui de Mick Green. Pas mal pour un mec qui voulait d’abord devenir écrivain, puis peintre, au retour de son voyage aux Indes. Il faut l’entendre parler, son accent est merveilleusement décadent : pour dire ‘in those days’, il prononce ‘in thoze dailles’. Les autres Feelgood l’embauchent et le groupe commence à aller jouer à Londres. Ils portent encore les cheveux longs, jusqu’au moment où Wilko fatigué d’avoir les cheveux collés sur la figure les coupe. C’est là que va naître le look sharp, costards, cravates et hot r’n’b. Sparks et Figure ressemblent à des petits truands. Mais Temple tue son film avec une overdose d’extraits de vieux films d’action en noir et blanc qui n’amènent que des brusques accélérations de rythme. Une sorte de violence à la mormoille, avec des coups, des chocs et des cris. On aurait préféré voir plus de footage de Feelgood. Les choses prennent une tournure infernale avec «She Does It Right», les voilà en couve du NME, juste avant de signer leur contrat. C’est Andrew Lauder qui les signe sur United Artists et c’est parti, up a storm, premier album, photo de pochette à Canvey et tournée anglaise. Pas de problème, ils ont les chansons, ils enchaînent avec «Keep It Out Of Sight» et le deuxième album, jusqu’au moment où Wilko tombe en panne. Pas de nouvelles chansons ? Pas de problème les gars, on va faire un album live. Mais sur scène, on voit les limites du système Feelgood. Wilko fait trop de comédie, alors que Lee Brilleaux joue son rôle de chanteur à la perfection. Summer 76, Feelgood est devenu le plus grand groupe anglais. Wilko sniffe son speed dans son coin et les autres boivent comme des trous au bar. Et ça tourne en eau de boudin, Lee ne plus supporte plus Wilko, il voudrait bien l’étrangler. Au bout de six ans, le Feelgood System meurt de sa belle mort. No more songs. On entend même dire vers la fin du film que Wilko a deux femmes. C’est contraire aux règles du groupe.

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    En 2015, Julien Temple va tourner un autre film avec Wilko, The Ecstasy Of Wilko Johnson. C’est en gros l’histoire de la maladie, telle que racontée dans My Life - Don’t You Leave Me Here et de la résurrection. Mais ça ne fait pas double emploi, car Wilko raconte cette histoire avec une simplicité désarmante - My life coming to an end - On a le son de sa voix en plus. On lui annonce qu’il lui reste dix mois à vivre. Julien Temple entrelarde ce long monologue d’extraits de films, mais des extraits de luxe, cette fois, qui vont jusqu’au Nosferatu de Murnau. Wilko raconte un voyage au Japon et nous montre un monastère au-dessus de Kyoto. Il est au Japon for a couple of farewell gigs, et, comme au Havre, il termine son set avec «Bye Bye Johnny». Puis il fait un farewell tour of England avec Norman Watt-Ray dans une ambiance énorme - This could be the last one - Évidemment, les gens pleurent, comme au Japon. Wilko raconte ses insomnies - It’s 3 o’clock at night and you think of your body - Puis il met bien les pendules à l’heure - I absolutely do not believe in God. I don’t believe in survival after death. Death is oblivion - Et il passe directement à l’astronomie, sa passion - I’ve a dome on my roof - et il cite Venus, sa planète favorite. Sur la jetée, Wilko joue aux échecs avec les mort. Il évoque aussi Johnny Kidd - I was devoted to it - Il dit aussi avoir cessé de s’informer, ni journaux ni télé, I’ve got no future, so what’s the point ? Il évoque bien sûr la disparition de sa femme - The mystery of love is greater than the mystery of death - et pendant le dixième mois de son sursis, il enregistre son fameux album avec Roger Daltrey. Et pouf, voilà qu’en 2014 il apprend qu’il est opérable, et donc sauvable. C’est reparti. Albums et tournées !

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    En 2018 paraît un nouvel album du trio sauvé des eaux, Blow Your Mind. Wilko ne perd pas la main car dès le «Beauty» d’ouverture de bal, on sent venir l’énormité. C’est un retour direct au Feelgood Sound. Il joue avec son sens aigu de la cisaille et de la petite entourloupe. Ce mec est très puissant. Il a su créer un univers sonore reconnaissable entre mille - Your beauty doesn’t fade/ Your beauty shall remain - Il nous sort du sharp de rêve. On reste dans le pur jus de Feelgood avec «Take It Easy», un cut qui aurait très bien se trouver sur Down By The Jetty. C’est exactement le son de «Roxette», Wilko est gonflé de revenir avec le même riff, mais comme on l’aime bien, on ferma sa gueule. «Say Goodbye» sonne comme un vieux boogie, mais c’est beaucoup plus que ça : Wilko percute le beat du boogie. C’est son truc, avec Watt-Roy derrière en franc-tireur. Wilko envoie ses merveilleux accords de Tele exploser dans le beat. C’est très impressionnant, même lorsqu’on est habitué aux prodiges. Il faut aussi l’entendre claquer des accords dans tous les coins avec «Blow Your Mind». Ce mec est parfaitement à l’aise dans la vie après la mort. S’ensuit un «Marijuana» claqué d’entrée de jeu. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais ça reste du bon Zyva Mouloud de feel so good. Pas de surprise non plus avec «Tell Me One More Thing». Difficile de se réinventer avec des cicatrices sur toute la poitrine. Norman Watt-Roy et un shuffle d’orgue ramènent de la viande, un gros paquet de viande. Wilko propose enduite un «That’s The Way I Love You» monté sur le beat de «Let’s Work Together». Et il en profite pour s’adonner à son péché mignon : la cisaille. Et comme le montre «I Love You The Way You Do», ces trois mecs savent enfiler le cul d’un cut de boogie. Il swinguent ça comme des vétérans de toutes les guerres. On les voit ensuite driver le butt d’«I Don’t Have To Give You The Blues» à la bonne franquette de Canvey. Plus que tous les autres, Wilko est habilité à swinguer le boogie d’Angleterre. Une fois encore, on sent le trio en pleine possession de ses moyens. Sur cet album, on ne s’ennuie pas un seul instant.

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    Voici peu, Wilko donnait une fort belle interview à Ian Fortman dans Classic Rock. D’emblée, Fortman se dit impressionné par Wilko - a personality defined by raw charisma and sheer likability - et le voit aussi alerte qu’un amphetamine meerkat, c’est-à-dire un suricate qu’on appelle aussi la sentinelle du désert. Il ajoute que Wilko est l’un de ceux dont on reconnaît immédiatement le son, et ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir d’un tel privilège. Wilko rappelle que les voyages lui ont ouvert les yeux : son premier trip aux Indes, mais aussi les tournées avec Feelgood. Il adore l’Espagne et affirme que les Espagnols savent faire la fête. Pour lui, une fiesta de procession serait impossible en Angleterre. Il dit aussi aimer le Japon et les Japonais à la folie. L’année où un médecin le jugea condamné où il fut confronté à la mort fut dit-il la plus intense de sa vie. Il se sentait la plupart du temps en état d’éveil avancé - Most of the time I was in a state of heightened conciousness - Il regardait autour de lui et trouvait tout très beau. C’est durant cette période qu’il s’est produit au Fuji Rock Festival devant des gens qui le savaient condamné. Pendant un an, il a vécu avec l’idée qu’il allait mourir. Il se disait : «N’espère pas un miracle. Just get on with it.» Puis arrive l’épisode de Charlie Chan et du Professeur Huguet qui dit pouvoir l’opérer et le sauver. Wilko sortit du rendez-vous et se mit à rigoler dans la rue - It was so stupid - Ce genre de chose n’arrivait jamais, même dans les contes de fées. Pour conclure, il confesse qu’il éclate en pleurs chaque fois qu’il pense à Irene, disparue depuis quinze ans.

    Signé : Cazengler, Wilkon

    Dr Feelgood. Down By The Jetty. United Artists Records 1975

    Dr Feelgood. Malpractice. United Artists Records 1975

    Dr Feelgood. Stupidity. United Artists Records 1976

    Dr Feelgood. Sneaking Suspicion. United Artists Records 1977

    Solid Senders. Solid Senders. Virgin 1978

    Wilko Johnson. Ice On The Motorway. Fresh Records 1980

    Wilko Johnson. Pull The Cover. Skydog International 1984

    Wilko Johnson. Call It What You Want. Line Records 1987

    Wilko Johnson. Barbed Wire Blues. Jungle Records 1988

    Wilko Johnson. Don’t Let Your Daddy Know. Bedrock Records 1991

    Wilko Johnson. Going Back Home. Mystic Records 2003

    Wilko Johnson. Red Hot Rocking Blues. Red Hot Records 2005

    Wilko Johnson & Roger Daltrey. Going Back Home. Chess 2014

    Wilko Johnson. Blow Your Mind. Chess 2018

    Ian Fortman : The gospel according to Wilko Johnson. Classic Rock # 254 - October 2018

    Wilko Johnson. My Life. Don’t You Leave Me Here. Abacus 2017

    Julien Temple. Oil City Confidential. DVD 2010

    Julien Temple. The Ecstasy Of Wilko Johnson. DVD 2015

     

    Dylan en dit long

    - Part Four

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    Ce n’est pas parce qu’on les connaît par cœur qu’il faut se priver du plaisir de revoir les Dylan movies. On peut même jouer au petit jeu du big shot : neuf heures de visionnage ininterrompu, quatre Dylan movies à la queue leu-leu, No Direction Home, Don’t Look Back, I’m Not There et Masked And Anonymous, histoire de bien comprendre une chose une bonne fois pour toutes : Dylan est un artiste qui met son intelligence au service de ses fans, et non au service des médias qu’il méprise profondément. On finit aussi par comprendre que le lien qui nous unit à lui n’est pas un lien ordinaire. Il serait selon toute vraisemblance d’ordre spirituel.

    Dit comme ça, c’est très con, mais on se surprend parfois à écouter attentivement ses paroles, de la même façon qu’on écoutait au temps jadis les paroles d’un sage. Les gens dit-on écoutaient attentivement les paroles de ce hippie qui sillonnait la Palestine, voici deux mille ans. Dylan suscite le même genre d’intérêt, on attend qu’il nous dise les choses qu’on a besoin d’entendre, que ce soit dans les paroles d’une chanson ou dans le court monologue qu’il déclame en voix off à la fin de Masked And Anonymous, lorsqu’il est assis au fond du bus qui l’emmène vers une taule - I was always a singer and maybe no more than that. Parfois ça ne suffit pas de comprendre le sens des choses. Sometimes we have to know what things don’t mean as well, c’est-à-dire qu’on a parfois besoin de savoir que les choses n’ont pas de signification. Mais vous ne devez pas ignorer que la personne que vous connaissez est capable d’amour. Tout finit par disparaître, surtout l’ordre bien établi of rules and laws. The way we look at the world is the way we really are. Truth and beauty are in the eyes of the owner, c’est-à-dire que la vérité et la beauté sont dans tes yeux. I stopped trying to figure things out a... long... time... ago - Il dit ça d’une voix si profonde qu’elle résonne en nous.

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    Après Alias (Pat Garrett & Billy The Kid), Jack Fate (Masked And Aonymous) est le deuxième grand rôle de Dylan. Mais le film de Larry Charles co-écrit par Dylan, est un peu confus, on ne peut pas trop parler d’intrigue. L’histoire se déroule dans un pays latino soumis à une dictature stalino-garcia-marquezienne. Larry Charles donne l’un des rôles principaux au gros John Goodman qui fait bien l’impresario véreux et l’autre à Jeff Bridges qui fait mal le journaliste foireux, deux acteurs qui, souviens-toi, firent les beaux jours du Big Leibowski. Tous les personnages sont en fait des personnages allégoriques et on reconnaît la patte de Dylan qui dans ses chansons en fait intervenir constamment : le rainman, le ragman, Shakespeare he’s in the alley, the joker and the thief, the two riders approaching, Cinderella, Einstein déguisé en Robin Hood, the Phantom of the Opera, Mr Jones, donc il n’est pas surprenant de voir se pointer Oscar Vogel (Ed Harris avec le visage peint en noir), Animal Wrangler (Val Krimer descendu de son nuage morissonien), Bubby Cupid en veste en peau de serpent, comme Brando, et qui ramène tiens comme c’est bizarre la guitare de Blind Lemon Jefferson - That’s one of the guitars that started it all - Tout se déroule en fait comme dans une chanson de Dylan, l’histoire n’a pas d’importance, ce sont les événements qui mènent le bal, un punch up ici, un dialogue au fond d’un bus là. Dylan écoute notamment un jeune mec qui raconte des histoires de révolution et de contre-révolution sans rien dire, jusqu’au moment où le bus est arrêté par des guérilleros sur une route de campagne et le jeune mec se fait descendre, une façon pour Dylan de nous dire qu’au fond tout ça ne sert à rien, les révolutions et les contre-révolutions. Elles ont toujours existé et elles existeront encore longtemps après que les poètes aient disparu, c’est dans la nature humaine de n’être pas content de son sort. Jack Fate le sait, mais à quoi bon l’expliquer ? Il faut voir la classe du Dylan vieillissant, à peine sorti d’un cachot, en chapeau western blanc, costard clair, étui à guitare et housse de costume sur l’épaule. Il monte dans le bus du wrong way sur fond de «Like A Rolling Stone». On l’a sorti d’un cachot car le gros Joe Goodman a besoin d’une tête d’affiche pour un concert de charité. Mais où sont les superstars ? Dylan se moque un peu du showbiz.

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    La plus grande partie du film est tournée dans un immense studio de cinéma. On y voit des caravanes qui servent de loges, une scène et une foule de gens. Ce sont évidemment les plans musicaux qui font la force de Masked. Elles sont en plus admirablement filmées. Pour «Cold Irons Bound», Dylan est cadré penché au micro, à l’avant du groupe, comme une figure de proue, il chante à l’éreintée et gratte une Strato, soutenu par un superbe backing-band, et là il redevient l’icône que l’on sait. Pareil avec «Down In The Flood», il porte une chemise western noire et gratte sa Strato pointée vers le sol. Il fait aussi de l’Americana avec «Diamond Joe» - You better come and get me Diamond Joe - le batteur fouette un carton, ça stand-uppe et ça banjotte, youpee ! Dylan monte encore d’un cran avec une incroyable version de «Dixie» - Away from Southern Dixie - Il chante ça au chat perché magique et il casse encore la baraque un peu plus loin avec «I’ll Remember You», l’un de ces balladifs extrêmement mélodiques dont il a le secret. Mais là où tout explose, c’est dans la scène de la petite black. Une femme ramène la gamine sur scène et explique qu’elle a appris toutes les chansons de Dylan par cœur. Quand Dylan lui demande pourquoi, la femme dit qu’elle le lui a demandé. Bon, la gamine chante «The Times They Are A Changing» a capella et Dylan dit en voix off : «The sacred is in the ordinary.»

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    Vu d’avion, on s’aperçoit que le film de Larry Charles est un peu à part des trois autres. Oui, car Todd Haynes emprunte à Scorsese qui lui-même emprunte à Pennebaker, les trois films s’alimentent les uns des autres. Ces trois ectoplasmes hybrides et gélatineux s’auto-dévorent. Il faut saluer le génie de Scorsese, l’audace de Pennebaker et surtout le courage de Todd Haynes, car franchement son I’m Not There fut assez difficile à avaler à l’époque de sa sortie. Trop arty ? Trop fictionnel ? Trop pas assez ? Trop trop ? Courageux l’Haynes, car il a opté non pas pour un seul acteur, mais cinq acteurs chargés d’interpréter le rôle de Dylan à différentes époques de sa saga. Comme dans Masked, Dylan porte chaque fois un nom différent. Il commence par s’appeler Woody Guthrie. Un petit black nommé Marcus Carl Franklin fait Woody, c’est-à-dire le Dylan échappé du pays des mines de fer que nous montre Scorsese, et comme l’Haynes opte pour la fiction, Woody est black, mais il parle un wild slang de hobo et saute dans des freight trains pour aller de Pittsburgh à Sioux Falls, et de Kansas City à Nashville, il trimballe sa guitare dans un étui ‘Kill Fascists’ et demande aux clodos du freight s’ils connaissent Carl Perkins. Il indique aussi qu’il a onze ans. L’Haynes crée une belle dynamique avec cette scène, idéale pour illustrer la genèse du mythe, celle d’un kid qui saute du nid pour partir à l’aventure. La symbolique est très forte. Elle préside au destin de Jack Fate. Et comme l’a fait Larry Charles dans Masked, l’Haynes nous sonne les cloches avec une première scène musicale, sans doute la meilleure du film : Woody, Richie Havens et un autre black grattent on the porch une version absolument démente de «Tombstone Blues», mais quand on a dit démente, on n’a rien dit. L’Haynes voulait toute l’énergie du wild kid et il l’a. Certains objecteront que le cut ne correspond pas à l’époque, mais si, car Dylan dira plus tard dans Chronicles qu’il a beaucoup emprunté à Robert Johnson et ce que font les trois blacks on the porch, c’est du pur Robert Johnson. Richie a une grande barbe grise, mais il faut le voir fracasser Dad’s in the alley/ He’s looking for food/ Mum’s in the kitchen/ Se ain’t no shoes - Woody black passe comme une lettre à poste. Les clodos le balancent dans une rivière et il est sauvé par Mr & Mrs Peacock. Ils doivent bien exister quelque part dans l’une des chansons. Woody black chante «Blowing In The Wind» dans le salon des Peacock. Jusque là, l’Haynes a tout bon. Woody black dit aux Peacock qu’il va aller à Hollywood - I’ll make it big/ Just like Elvis Presley - ça sonne comme une parole de chanson. Et bien sûr, Woody black débarque à New York et va rendre visite au vrai Woody dans l’hosto du New Jersey. Dans son film, Scorsese nous montre le vrai Woody sur son lit d’hôpital. Tout cela se tient merveilleusement. L’Haynes entrecroise les époques et les personnages, pour respecter l’esthétique dylanesque.

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    Christian Bale joue Jack Rollins, c’est-à-dire l’early Dylan de Greenwich Village, the troubadour of conscience. Alice Fabian fait Joan Baez. Elle indique que Jack arrête le protest en 1963, car il comprend alors qu’on ne peut pas changer le monde avec une chanson. L’Haynes emprunte la scène du Steve Allen show à Scorsese. Puis une autre scène, à Greenwood, Mississippi, où il chante devant un public de fermiers en salopettes. L’Haynes entrecoupe Jack Collins avec Arthur Rimbaud qui déclare ne pas aimer le mot poète - Call me a trapezist - Bon ça se complique avec Charlotte Gainsbourg qui n’est absolument pas crédible avec son anglais de Française. Fait-elle Suze ? Non plutôt Sara puisqu’ils ont des enfants. L’Haynes l’appelle Claire. Fond sonore : «Visions Of Johana». Et le Dylan de Sara est un acteur de cinéma joué par Health Ledger. Plans du Village, I Want You, petits seins de Charlotte. Ils achètent une moto. C’est elle qui conduit. C’est là où on perd un peu le fil. À trop vouloir triturer l’entrecuisse de la fiction, celle-ci perd la boule. L’Haynes mord le trait avec Jude Quinn, c’est-à-dire Cate Blanchett qui fait le Dylan 65 et qui n’est pas crédible, malgré ses efforts désespérés pour paraître mythique. Elle mise tout dans la coiffure. Newport Festival 65, Dylan goes electric, «Maggie’s Farm», booooo ! La voix de Cate Quinn n’est pas juste et l’Haynes nous fait une illustration visuelle du «Ballad Of A Thin Man» - Something’s happening in there but/ You don’t know what it is/ Do you Mr Jones ? - Cate porte le costume pied de poule de l’Albert Hall, Stars & stripes en déco de fond de scène. L’Haynes nous fait le coup de la druggy scene dans un décor d’Orange Mécanique, mais adieu crédibilité, Cate se came et ça ne passe pas car Dylan n’est par un drug wreck. On le voit aussi avec Ginsberg demander au Christ de descendre de sa croix - Boy tu vas te faire mal ! - Une femme fout le feu à ses cheveux dans la rue, comme dans un film de Kusturica - I accept chaos. I’m not sure wether it accepts me - L’Haynes tape en plein le mille et il brouille encore les pistes avec un Billy The Kid qui ne sort pas de chez Pekinpah, mais d’un délire de reconstitution baroque. Cette fois, Richard Gere endosse l’affaire. Mister B n’est pas Mister Jones. Mister B descend au village d’Halloween. Une girafe passe dans la rue. Les musiciens of the British Empire jouent dans un kiosque, ça se désinterprète à l’infini, comme dans une chanson de Dylan, Going To Acapulco, the smell of fear, waiting for the end of the world. Et puis lorsque Dylan devient chrétien, Christian Bale fait son retour pour un joli numéro de gospel bleu sur scène - I keep pressing on - Il est accompagné d’un groupe et de choristes noires, et ça passe comme une lettre à la poste. Pendant ce temps, Billy the Kid s’évade de sa taule et saute dans le freight train de Woody black. C’est là que l’Haynes situe l’accident de moto dans les bois. Puis Cate radine sa fraise pour mettre les points sur les i. Everybody knows I’m not a folk singer. Elle préfère qu’on parle de traditional music.

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    Scorsese opte pour la chronologie pure et dure et prend un peu plus de trois heures pour nous éclairer sur le Dylan qui s’étend de l’enfance jusqu’à l’accident de moto en 1966. Le génie de Scorsese consiste à filmer Dylan en plan serré de trois-quart plongeant et de le laisser parler. Comme dans Chronicles, il raconte ses souvenirs, ses rencontres et livre ici et là quelques traits d’esprit. Pour illustrer l’interview, Scorsese intercale de fabuleux plans d’archives. Dylan évoque son premier 78 tours et hop Hank Williams apparaît en noir et blanc ! Il chantonne «Cold Cold Heart» et on prend alors un sacré shoot d’Americana. Ça change la vie quand on démarre avec Hank Williams. Puis Dylan les évoque tous un par un, Johnny Ray qui faisait du voodoo et l’incroyable Webb Pierce avec sa gueule de gros bonbon dans son costume Nudie, une sorte de préfiguration kitschy kitschy de Gram Parsons. Dylan sort ensuite Muddy Waters de ses souvenirs et indique que c’est le son et non les gens qui l’ont frappé - That’s the sound that hit me - Gene Vincent, bien sûr, extrait d’un concert au Town Hall, mais le monde d’alors nous dit Bob était terriblement conventionnel. Il pense que c’est le temps et le progrès qui ont balayé le monde où il a grandi, le monde de Duluth et des mines de fer du Minnesota dont il fallait s’échapper sous peine d’anéantissement. D’autres portraits magiques suivent, l’incroyable John Jacob Niles qui gratte une espèce de grande harpe en chantant comme une nymphette évaporée et la violente Odetta qui gratte sa gratte en portant sur ses épaules de destin du pauvre peuple noir. Tout cela est d’une incroyable cohérence. Dylan révèle ses racines et tout s’éclaire. Tu as une bonne mémoire, Bob ! Oui, j’apprenais les chansons en les écoutant une fois. Il se marre et ajoute : ou deux fois.

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    Tiens voilà Woody. Mais il n’est pas black. Ah bon ? - Woody, a particular sound - Puis hommage à Joan Baez - She reached some place in the back of my mind - Si ça n’est pas l’hommage d’un homme génial à une femme géniale, alors qu’est-ce que c’est ? On est donc à Greenwich Village, le même Village que celui de l’Haynes, terre de liberté absolue, Dave Van Ronk qui chantait «House Of The Rising Sun» avant Dylan, Maria Muldaur, Fred Neil, Tiny Tim et Suze Rotolo qui est restée tellement belle, Scorsese la filme et lui rend grâce. D’autres encore, toujours vivants comme Liam Clamsy des Clamsy Brothers, quatre Irlandais qui chantaient du folk highly highloo à pleine gueule et qui portaient des gros shetland torsadés blancs. Ce ne sont que des personnages de légende, Scorsese fait de son film un vrai conte de fées. Liam Clamsy dit à Bob : «No fear, no envy, no meanness», ce qui veut dire en gros, pas de peur, pas de convoitise, pas de malveillance, à quoi Bob répond : «Right !». Ah ça te plaît Bob, ces trucs-là ! Il va même s’y conformer. Comme il se conforme aux conseils de sa grand-mère (ce n’est pas le but du voyage qui compte, mais le chemin à parcourir). Puis il parle du regard, mais il en parle à sa façon, avec une sorte de mystère translucide : «Les performers ont dans le regard un truc que les autres n’ont pas. I wanted to be that kind of performer.» Il dit aussi chercher the language that I had not heard before. Et puis voilà Pete Seeger, l’homme qui voulait trancher les câbles au festival de Newport, parce que Dylan et ses amis de Chicago jouaient trop fort. Ah la légende, elle ne te fait pas de cadeau, Bob ! Bob et Suze qui marchent dans la neige du Village, Mavis qui ne dévoile pas le secret de sa liaison avec Bob, Don’t Think Twice It’s Alright, et puis voilà Ferlinghetti car pas de Village sans Ferlinpinpin, et les voilà qui déboulent à Greenwood, Mississippi, dans le film de l’Haynes, Bob et Pete Seeger the communist. On peut dire que les archives ont bien reconstitué le film de l’Haynes : ce sont exactement les mêmes paysans en salopettes. Mais Bob s’arrête là, Joan Baez continue toute seule à mener le combat des civil rights. Elle va aux manifs. On lui demande si Bob viendra. Ben non. Bob est ailleurs - He was Charlie Chaplin, Dylan Thomas, Woody Guthrie, he was constantly moving.

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    Trois grandes étapes : Newport Folk Festival 63, Newport Folk Festival 64 et Newport Folk Festival 65. C’est là que se joue le destin du monde qui nous intéresse. Dans le 63, il y a Cash, mais surtout the mighty Wolf devant 15 000 personnes, les Staple Singers et le duo Bob/Joan Baez qui chante à l’unisson du saucisson with God on our side. Bouleversant ! C’est là qu’on le traite de Voice of our generation.

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    Dans le 64, il chante «Mr Tambourine Man» et dit : «Cash was a religious person to me». Joan est toujours dans les parages. Tambourine Man ne plaît pas au puristes. Dylan plus commercial ? Il donne sa version de l’équilibre : ne jamais oublier qu’on est en constante évolution. Dans le 65, il attaque avec «Maggie’s Farm», Pete Seeger attrape une hache et veut trancher les câbles, mais l’Haynes fait intervenir deux mecs qui lui sautent dessus pour le maîtriser. Dans le public, des gens gueulent. Hooo ! Traitor ! En anglais, un traitor n’est pas un traiteur. Scorsese filme Seeger qui se dit très contrarié. «Like A Rolling Stone» sonne comme une insulte aux oreilles des folkeux. Dylan et ses copains de Chicago font trois chansons et quittent la scène. Mais il accepte de revenir avec une acou pour chanter une chanson.

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    Le Newport 65 marque donc une rupture. Politiquement, Bob marque sa différence - I was an outsider - Il ne veut pas rentrer dans les combines des partis de gauche américains. Puis Scorsese emprunte des plans à Pennebaker pour illustrer la zone London 65. La caméra suit Bob partout et à la fin, il n’y fait plus attention. Ginsberg, Donovan, Joan est toujours là, elle trouve que Bob change - It was awful - et crack, elle sort sa gratte pour chanter devant Scorsese «Love Is Just A Four-Letter Word». Elle joue ça au picking d’Americana et diable comme cette femme est restée belle.

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    Scorsese entre alors dans la zone magique, studio Columbia, Tom Wilson, Bloomy, «Like A Rolling Stone», Al Kooper raconte ses souvenirs - Bob said turn the organ up - Ah il est fier le Kooper ! Il n’était pas censé jouer de l’orgue mais Bob en pinçait pour son son d’orgue. Tiens, Bob a le même petit menton que Phil Spector ! Quoi ? 50 couplets dans «Like A Rolling Stone» ? Il existe en effet une version longue. Malgré la magie du son et des chansons, le public de Forest Hill hue Bob qui se marre : «Les gens chantaient en chœur ‘Like A Rolling Stone’ et aussitôt après la fin de la chanson, ils se remettaient à huer.» Scorsese emprunte une autre conférence de presse à Pennebaker. C’est hilarant - Ce métier est surreal, alors je fais des chansons surreal - Dylan doit affronter à Londres comme à Paris l’immense bêtise des journalistes. Puis à un moment, il dit stop à l’impresario Grossman. Il a en ras le cul des tournées et des conférences de presse à répétition. Je veux rentrer chez moi ! Motorcycle crash. Il ne repartira en tournée nous dit Scorsese que huit ans plus tard.

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    On aurait dû commencer par Pennebaker car comme le disent si bien les Anglais, he started it all. C’est le pionnier du Dylan movie. C’est dans ce film cultissime que Mick Farren a trouvé le titre de son livre : à l’arrière d’un taxi, Dylan dit à Grossman : «Give The anarchist a cigarette!». Parole d’évangile, Farren d’Angleterre fait allégeance. Don’t Look Back raconte la tournée anglaise de 1965. Tournée d’acou et d’harmo, Dylan seul sur scène en veste de cuir noir. Greenwich Village débarque au Royaume Uni. Un Dylan mille fois plus rock’n’roll que n’importe rocker anglais. Il a tout : la gueule, le gratté de jambes écartées et le power du contenu. Dylan l’anti-baltringue, Dylan le messie, mais si, comme dirait Eve Sweet Punk Adrien. Sur cette tournée, le comité restreint d’Albert Grossman, Joan Baez, et Bob Neuwirth accompagne Dylan. Il répond comme il peut aux questions pénibles des journalistes anglais qui visiblement ne comprennent rien à rien, car ils n’ont pas la moindre notion de métaphysique. Dylan attache une importance considérable au sens des mots et il ne veut pas parler pour ne rien dire, mais bon, le monde devient pop en 1965. Le seul entretien intéressant aura lieu avec un journaliste métis de BBC Afrique : il annonce quatre questions qui semblent intéresser Dylan, du moins le voit-on sur son visage - Comment avez-vous démarré, Bob ? - Et pouf, Pennebacker balance l’extrait filmé du concert de Greenwood, Mississippi, devant les fermiers en salopettes. Ce merveilleux documentaliste qu’est Pennebaker a choisi le mode road movie pour cristalliser la fascination qu’exerce Dylan sur lui, un road movie en noir et blanc séquencé par trois catégories de plans : ceux des chambres d’hôtel, les extraits de concerts et les rencontres avec les fans. C’est extrêmement bien foutu, jamais complaisant, Dylan est toujours au centre de l’image. On le voit plusieurs fois prendre «The Times They Are A Changing» au gratté dylanex et paf, il passe ses coups d’harmo qui sont des moments extraordinaires. Dylan y sacralise l’expression d’un art purement américain et donne, mieux que ne le fera jamais une guitare, l’idée de l’espace américain, ou pour rester plus prosaïque, l’idée d’une tradition musicale purement américaine. L’homme se révèle messianique, ça crève les yeux, surtout quand il chante ce chef-d’œuvre de sensibilité mélodique qu’est «The Lonesome Death Of Hattie Carrol». On se régale aussi des plans filmés dans les chambres d’hôtels. On y voit Joan Baez chanter un «Turn Turn Turn» qui n’est pas celui des Byrds pendant que Dylan tape un texte à la machine. C’est encore un point commun avec Eve Sweet Punk Adrien, taper à la machine. Les deux messies, mais si, tapent à la machine. Dans l’un des hôtels, Dylan encontre Alan Price qui confirme qu’effectivement il n’est plus dans les Animals. C’est comme ça, dit-il laconiquement. Dylan rencontre aussi Donovan qui chante au doux du folk anglais, en s’accompagnant à l’acou. Impressionnant, bien sûr. Beau lui aussi, bien sûr. Pour rétablir sa suprématie, Dylan lui demande la guitare pour attaquer au strumming pesant «It’s All Over Now Baby Blue». On pourrait intituler cette scène ‘le choc des titans’. Dylan remonte sur scène pour chanter «Don’t Think Twice It’s Alright». Pure magie. L’autre séquence emblématique du film est le «Subterranean Homesick Blues» d’intro, lorsque Dylan jette un à un les grands formats où sont dessinés certains mots clés de son texte. Allen Ginsberg se tient en arrière plan, comme une sorte de caution intellectuelle. Il existe une autre version de ce Subterranean filmée devant un parc. Les plus fortunés d’entre nous auront certainement rapatrié la box deluxe qui propose un deuxième DVD : Dylan 65 Revisited. Ce sont les outtakes de Don’t Look Back, on n’y apprend rien de plus, on voit un peu plus les villes, Sheffield, Liverpool, Leicester, Manchester, le Royal Albert Hall et surtout Nico qui pour une raison x ne figure pas - ou à peine - dans Don’t Look Back.

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    Mais le meilleur film sur l’early Dylan est sans doute Inside Llewyn Davis des frères Coen, un Llewyn Davis qu’interprète le brillant Oscar Isaac. Bizarrement, il ressemble à Scorsese jeune, tel qu’on le voit à l’arrière du taxi de Travis Bickle dans Taxi Driver. Sans doute un clin d’œil. Les frères Coen on recréé l’ambiance du Gaslight de Greenwich Village et les prestations de Dave Van Ronk, l’une des grandes idoles de Dylan. On voit même sur scène les Clamsy Brothers avec leurs gros shetland torsadés blancs. Vers la fin du film, on voit Dylan sans le voir, assis sur scène face au public, en plein Freewheelin’. Ce film est un petit chef-d’œuvre d’honnêteté intellectuelle et de justesse de ton. Les frères Coen veillent surtout à reconstituer la grande précarité qui caractérisait le quotidien de ces chanteurs de folk débarqués à New York, dont Dylan faisait partie : pas de pied-à-terre, on dort à droite et à gauche, on vit d’expédients et on chante des chansons extraordinaires qui comme le dit Dylan dans Chronicles racontent toutes des histoires extraordinaires. Les frères Coen ont aussi l’intelligence de ne pas couper les chansons. Oscar Isaac chante «Hang Me, Oh Hang Me» et entier. L’autre scène clé du film est l’enregistrement en studio de «Please Mr. Kennedy», avec Oscar Isaac, Justin Timberlake et Adam Driver. Live, one take ! Oscar Isaac est un chanteur guitariste extraordinairement doué, il joue en live, comme le rappelle T-Bone Burnett dans les bonus du film. Si on s’intéresse à Dylan, il faut impérativement voir Inside Llewyn Davis.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    D.A. Pennebaker. Don’t Look Back. 1986

    Martin Scorsese. No Direction Home. 2005

    Todd Haynes. I’m Not There. 2007

    Larry Charles. Masked And Anonymous. 2003

    Joel & Ethan Coen. Inside Llewyn Davis. 2014

     

    L’avenir du rock - En travers la gorge

     

    Chaque jour à la même heure, l’avenir du rock promène son chien. Alors qu’il se dirige d’un pas nonchalant vers le fleuve, un homme l’interpelle :

    — Excusez-moi, monsieur, ne seriez-vous pas l’avenir du rock ?

    — Parfaitement. Mais à qui ai-je l’honneur ?

    — Oh, je suis l’avenir de l’humanité. Enchanté de faire votre connaissance.

    — Pareillement. Je dispose d’un petit quart d’heure, voulez-vous m’accompagner ?

    — Avec plaisir, d’autant que je souhaiterais connaître votre sentiment...

    — À quel propos ?

    — Eh bien, à propos de l’humanité. J’admire votre optimisme... Pourquoi n’êtes-vous pas contagieux ?

    — Posez donc la question aux épidémiologistes ! On n’entend plus qu’eux depuis un an ou deux, cette épouvantable bande de charognards sera ravie de vous apporter des réponses. Mais si j’étais à votre place, j’éviterais de perdre mon temps à m’interroger sur l’humanité...

    — Soyez plus clair !

    — Mais enfin, vous êtes bouché ou quoi ?

    — Si vous continuez à me parler sur ce ton, je vais vous en coller une, vous allez voir !

    — Chez moi, on appelle un chat un chat, que ça plaise ou non. Vous voulez vraiment que je vous dise le fond de ma pensée ? L’humanité ? Aucun espoir. Voilà c’est dit ! L’avenir de l’humanité, ah ah ah ! Regardez-vous !

    Excédé, l’avenir de l’humanité frappe l’avenir du rock qui s’écroule sur le dos. Le chien se barre avec sa laisse.

    — La prochaine fois, vous éviterez de m’insulter !

    Et l’homme disparaît comme il était apparu. L’avenir du rock se relève et appelle son chien. Rien. Il rentre chez lui sans chien avec le pif en sang.

    — Bon la journée commence bien ! C’est le moment ou jamais d’écouter les Cutthroat Brothers !

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    En gros, la chemise de l’avenir du rock est dans le même état que les blouses des deux Cutthroat Brothers, tels qu’on les voit sur la pochette de leur premier album. C’est vrai qu’avec ces deux mecs-là, l’avenir de l’humanité est mal barré. Par contre, l’avenir du rock n’a jamais été en de si bonnes mains. Ce premier album sans titre paru en 2019 est une véritable bombe atomique, une de plus. On doit la découverte de ce duo dégueulasse à Gildas qui lors des ultimes sessions du Dig It! Radio Show en distillait la substantifique moelle, ah il fallait entendre ce son couler comme un filet de bave vénéneuse. Ces atroces Brothers sonnaient comme une révélation, ils donnaient du relief à ces sessions pourtant bien fournies.

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    Le premier album des Cutthroat Brothers n’a pas de titre et date de 2019. Ils ont l’air de sortir un film gore, avec du sang plein leurs blouses de chirurgiens et leurs bras couverts de tatouages. Le hit de l’album s’appelle «Potions & Powders». Donny Paycheck sait swinguer un heavy beat, et son mid-tempo est hanté par le bottleneck de Jason Cutthroat. Le «Kill 4 U» d’ouverture de bal d’A est assez déstabilisant, car riffé dans le lard fumant. Assez imparable. S’ensuit un «Skeletton Rides» têtu comme une bourrique. Ils travaillent leurs cuts dans la matière du son, c’est très spécial, infernal et fin à la fois. On finit par se faire avoir et par crier au loup. Ils ont ce sens du beat rebondi extraordinaire. On les voit camper sur leurs positions en B, avec «Psychic Chemist», du tout droit gratté au bottleneck, ils savent pousser un beat dans les retranchements du far out so far out.

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    Leur deuxième album s’appelle Taste For Evil et date de la même année. Il est important de savoir que le batteur Donald Hales (aka Donny Paycheck) est l’ancien batteur de Zeke, un nom qui parlera aux amateur d’extrême gaga-punk, celui qui adore foncer tout droit dans le mur. Quant à son frère Jason Cutthroat, il sort tout droit d’un film de George A Romero, et ce n’est pas peu dire. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal d’A, la messe (noire) est dite. Aw, voilà le rock de tes rêves inavouables, ces deux mecs te ravalent la façade, ça joue puissant et par en-dessous, ils se glissent dans ta culotte mon gars et tu vas danser un drôle de jerk. Power & genius, voilà leurs deux mamelles. On dira la même chose du «Shake Move Howl Kill» qui suit, car c’est gratté dans le gras du bide, pas de pitié pour les canards boiteux, ils jouent aux riffs délétères, ces mecs te pillent la ville. Donald Hales retrouve ses marques avec l’effarant «Candy Cane» embarqué au punk’s not dead. Il riffent «Get Haunted» dans l’acier du coffre. On rêve d’écouter chaque jour des albums de ce calibre. Donald Hales amène «Out Of Control» au big drumbeat, ils remontent leur courant comme des Oasis ensanglantés, ils plongent leurs mains collantes dans les entrailles du big heavy rock, c’est assez intenable et leur délire finirait presque par friser le glam. Ils claquent leur «Black Candle» au hey hey hey, ils trempent cette fois dans le heavy boogie down, ils sonnent comme une hémorragie, ces dingues du rebondi créent leur monde. Il survolent ensuite notre pauvre monde avec «Medicine», une sorte d’extase ultraïque dévastatoire qui n’en finit plus de nous rappeler qu’il faut suivre ces deux mecs à la trace, car leur sens aigu du raw est le nouveau modèle du genre.

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    Et pouf vient de paraître leur troisième album, The King Is Dead. Pochette signée Raymond Pettibon. Ça rappellera des bons souvenirs. Cette fois, ils ont appelé Mike Watt en renfort pour rejouer tous les cuts de l’album précédent. Mais avec Mile Watt, ça sonne différemment. Le «Killing Time» d’ouverture de bal d’A est forcément stoogy avec Mike Watt dans les parages et son heavy bassmatic. Du coup Donny Paycheck bat le beurre comme Scott Asheton. Ils ont aussi des petits élans rockab comme le montre «Medicine» ou encore le «Black Candle» qui referme la marche de la B. Solid as hell et cool as fuck, ces mecs ont du son à revendre et une fantastique présence. Jason Cutthroat chante le morceau titre à la voix de psychopathe dégoulinant de stupre, ça joue sous un sacré boisseau, avec un son spongieux, profond et mal famé. «Out Of Control» sonne comme un hit inter-galactique, ah comme c’est bien rebondi, merci Jack Endino pour ce son de bass & beurre, c’est chanté avec retenue, comme feutré. Ces trois mecs cumulent les avantages : ils sont excitants, géniaux, épais et fiers à la fois. On entend rarement un son de batterie aussi touffu. Le «Get Haunted» qui ouvre le bal de la B paraît bien bas du front, têtu comme une bourrique, buté et obtus, comme joué par des dieux barbares, c’est le son des tribus antiques avec des éclairs soniques en forme de lames tranchantes.

    Signé : Cazengler, frotte-cul brother

    Cutthroat Brothers. Cutthroat Brothers. Lonestar Records 2019

    Cutthroat Brothers. Taste For Evil. Hound Gawd! Records 2019

    Cutthroat Brothers & Mike Watt. The King Is Dead. Hound Gawd! Records 2021

     

    Inside the goldmine - Hall or nothing

     

    Originaire de Pau, Alvaro Pétoniac s’était promu aventurier. Et la dernière région du monde qui permettait d’exercer ce métier était bien sûr la forêt amazonienne. Il fallait se défier des apparences car il n’avait rien d’une caricature. Il alla dans les faubourgs de Saint-Laurent retrouver des piroguiers qu’il connaissait. Il fallait négocier un prix. Il nous rejoignit une heure plus tard pour annoncer que le départ aurait lieu le lendemain, au lever du soleil. À notre grande surprise, les piroguiers étaient des blacks à peine sortis de l’adolescence.

    — Ce sont des Saramacas, nous dit Alvaro, des descendants d’esclaves marrons. Leur village se trouve en amont sur le fleuve. On y prendra du couac.

    Nous nous installâmes à bord de la pirogue. Nous n’emmenions que le strict minimum, c’est-à-dire un change, des barres vitaminées, du tabac, un petit lecteur de CD à piles, un seul CD et des médicaments qu’on entassait dans une touque, petit tonnelet en plastique dont le couvercle se visse hermétiquement. Il était fréquent de voir les pirogues chavirer dans les rapides, aussi était-ce le seul moyen de conserver les affaires au sec. Les piroguiers étaient au nombre de trois. Théo le ‘chef’ se tenait à l’arrière à la barre du moteur, et les deux autres à l’avant pour prévenir du danger des rochers. Nous remontâmes le fleuve pendant deux jours et bivouaquâmes la première nuit sur la rive côté français. Alvaro nous expliqua que de l’autre côté, le Surinam était en guerre civile. La deuxième nuit, nous accostâmes du même côté. Les trois piroguiers partirent à la chasse et revinrent avec un toucan abattu d’un coup de fusil à air comprimé. Ils le firent cuire dans une espèce de soupe très claire mélangée à du rhum et bien sûr, nous n’y touchâmes pas. Lorsque la nuit fut d’encre, la forêt sembla se mettre à vivre. Soudain nous vîmes apparaître un étrange personnage. Black, petit, chétif, difforme, il rappelait par certains côtés l’empereur d’Éthiopie, Haïlé Sélassié. Nous n’avions pas entendu arriver sa pirogue. Derrière lui se tenait un Indien de deux mètres au torse ceinturé de cartouchières et brandissant l’un de ces fusils mitrailleurs qu’on ne voit généralement que dans les films de type Rambo. L’Indien était le sosie de Chef Bromden, tout droit sorti du Vol Au Dessus d’Un Nid de Coucous. Alvaro nous murmura qu’il s’agissait de guérillos indépendantistes et nous ordonna de fermer nos gueules. Haïlé Sélassié approcha du feu et avec un grand sourire édenté, il déclara en broken English : «Give me youl money, youl cigalettes, youl passpolts and also ze woman.» Alvaro tenta de négocier, mais il n’y avait rien à faire, Chef Bromden venait d’armer sa culasse. Nous ouvrîmes les deux touques pour en sortir l’argent et les cigarettes. Nous lui donnâmes aussi le lecteur et le CD. À la vue du CD, son visage s’illumina. Calhol ! Calhol ! Yo, my gawdah ! Il nous serra à tous main et ne repartit qu’avec l’argent et les cigarettes.

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    Le cas Carl Hall est un mystère. Comment se fait-il qu’un Soul Brother de cet acabit soit tombé dans l’oubli ? D’autant que Jerry Ragovoy l’avait pris sous son aile pour produire les merveilles rassemblées sur l’indispensable You Don’t Know Nothing About Love - The Lomax/Atlantic Recordings 1967-1972. Pourquoi indispensable ? Tout simplement parce qu’il s’y niche pas moins de dix coups de génie, et c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les preuves ? Les voilà : dès le morceau titre d’ouverture de bal, on entend screamer un Soul screameur extraordinaire. C’est un fou de la glotte libérée, il hurle bien au-delà du grand doom de sexe. Voilà un screamer puissant et érotique, un rut-man exceptionnel. C’est un génie de l’intensité. Il hurle comme un goret de Camaret - You don’t know nothiiiing - Il revient par miracle à la raison pour dire don’t try. C’est un coup à faire exploser toutes les braguettes. Il s’en va hurler au sommet du slowah et ça te vibre les oreilles. Bill Dahl parle d’un stratospheric four-octave vocal range. Du jamais vu. Dahl soupçonne même que l’intensité de sa voix était a little too over the top.

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    Ça continue avec «Mean It Baby», même registre, génie de l’implacabilité des choses, il monte aussitôt à l’assaut - Hey girl you’re making your mind - Pure Soul de rêve ultra chantée, ultra classique et salement bien foutue. Comme ce mec peut être bon, ça va bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Bombance. Carl Hall est une bête de Gévaudan, il explose les viscères des annales de la Soul. Tu veux du scream à la vanille ? Alors écoute «Just Like I Told You» et tu auras ta dose - Remember what I said - Et on retombe inexorablement dans le génie avec «He’ll Never Leave You». Il part en hurlette carabinée, il fait de la Soul hurlée à bon escient et ça gicle. Ce mec ne lâche rien, il consume toutes les couches de la stratosphère une par une, il va bien plus loin que Wilson Pickett, il transcende le screaming («It Was You (That I Needed)»), il incarne l’énergie de Dieu sur la terre. Il sait aussi faire la Soul de plume dans le cul («The Dam Busted») et danser comme le dieu Pan tout en hurlant à la revoyure. Il bat même Little Richard à la course («I Don’t Wanna Be (Your Used To Be)»), eh oui, il faut se faire à l’idée que Carl claque tout pour de vrai. Il est bel et bien le stratospheric four octave phenomenon. Et quand on écoute «Dance Dance Dance», on ne comprend pas qu’un géant comme Carl soit resté dans les catacombes de l’underground de la Soul. Tiens, encore un cut complètement explosé de hurlette démentoïde : «Sometimes I Do». One two, one two three, piano, bass, Carl ramène sa fraise et c’est atrocement bon, dansant et hurlé à la sauvageonne d’entente cordiale, il se paye même un petit coup de vrille d’oh yeah de carabinette fustigée et il screame tout ça à tue-tête. Il dégage Little Richard en touche et fait de l’ombre à Wilson Pickett. Et le voilà qui tape dans «The Long And Winding Road», il part jusqu’à l’horizon du vieux monde. C’est parce qu’il tape dans la démesure du scream que ça prend tellement de sens. Derrière, les filles font chauffer la marmite. Ah comme ce démon chante bien ! A long time ago et il s’arrache la glotte au sang tellement il pulse le beat turgescent de la mélodie, ça palpite au firmament et Carl fait régner dans cette cover cousue de fil blanc un violent parfum de magie. Il fait exactement le même genre de boulot qu’Aaron Neville. Il est certainement le secret le mieux gardé d’Amérique, un buried treasure enterré vivant. Tout le monde n’est pas aussi doué que the Bride de Kill Bill, celle qui contre toute attente a réussi à ressortir d’une cercueil enterré à dix mètres sous terre. Et comme dirait Dickinson, I’m not gone ! Carl passe à la postérité avec un hit de Soul pop intitulé «It’s Been Such A Long Way Home», mais il faut bien dire qu’avec un chanteur comme lui, ça prend des proportions homériques. Il transforme une modeste chanson en abomination concomitante, c’est même concomité aux mites, dévoré de l’intérieur, cette Soul pue le ponton des esprits de Seltz, le langage rue dans les brancards, il se veut pégasien, il s’arrache de la pampa de Léo, il cherche à gagner le cercle d’Aurore, oui, elle, la boréale, l’art d’Hall impose son règne dans les cervelles et curieusement, un mec coupe les cuts en disant okay, ce qui les rend inexploitables. Carl Hall reste victime d’on ne sait quoi. Trop brillant, sans doute. Puis il profite de «Time Is On My Side» pour ridiculiser le pauvre Jagger. Voilà comment se chante ce vieux Time. Si Jagger avait entendu cette version, il est évident qu’il n’aurait jamais osé taper dedans. Carl sonne exactement comme Aretha lorsqu’elle lâche la rampe, c’est le même genre de génie à la puissance dix, ou la puissance qu’on veut, à toi de choisir l’exposant, car Carl vrille l’Aretha, c’est dire si son stratospheric four-octave vocal range va loin. Incroyable témoignage que ce disque et un mec fait okay pour bien sabrer le cut. Carl tape encore dans les classiques avec «Need Somebody To Love». Il l’explose. C’est du psych-Soul d’exaction parabolique, il hurle dans le giron des girouettes, voilà encore un cut extraordinairement orchestré et rongé par une basse dévorante. Quel démon ! Ça se termine avec un «Change With The Seasons» de pure perfection et on entre dans un nouveau planétarium d’extension universelle, le son s’ouvre comme la Mer Rouge devant Moïse, ou comme un crâne sous la hache d’un barbare viking. Carl nous vrille à la fois sa Soul et les esprits, il va plus loin que tu ne l’imagines, et il te salue bien.

    Signé : Cazengler, Hall de gare

    Carl Hall. You Don’t Know Nothing About Love: The Loma/Atlantic Recordings 1967-1972. Omnivore Recordings 2015

     

    JIMI FREEDOM

    MARLOW RIDER

    ( Clip YT / Octobre 2021 )

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    Waow ! Quelle est cette panthère noire qui s'avance royale dans la jungle urbaine montreuilloise, first french city rock, méfiez-vous, méfillez-vous, cette indolence hautaine cache quelque chose de pas très rose, cette coiffure aux mèches inflammables rouge sang, ne serait-ce pas une prêtresse vaudou, à la regarder vous en oubliez ces morsures de guitare qui rythment sa marche, elle entre dans un bar et tout le monde reconnaît La Comedia divine grotte trockglodyte chère aux amateurs de rock'n'roll, bloquez l'image quelques secondes pour admirer son profil d'impératrice romaine, réenclenchez, vous découvrez ce qu'elle regarde, Tony Marlow et sa guitare, n'essuyez pas vos lunettes, cette vapeur mauve insidieuse qui baigne l'image n'est pas de la buée sur vos verres colorés, elle est la marque purple déposée voici plus d'un demi-siècle par Jimi Hendrix, Tony interprète un des morceaux de First Ride, premier album de Marlow Rider, glisse la caméra, Fred Kolinski trône derrière la batterie tel un juge des enfers, il ne joue pas, à chacun de ses mouvements, il donne l'impression d'émettre un jugement définitif sur toutes les actions de votre vie passée, à la contrebasse Amine Leroy tape cent coups férir, il est la vie, il est l'énergie, ne vous laissez pas emporter par la voix ample de Tony, tenez à l'œil l'égérie fatale au profil d'aspic, ses doigts laissent tomber une étrange poudre blanche dans trois verres posés sur le comptoir, et maintenant elle s'approche de la scène, tentatrice, nos trois hommes n'osent refuser, elle a enlevé ses lunettes noires, et ses yeux verts de vipère maléfiques les ont ensorcelés, ils trempent leurs lèvres dans ces flûtes emplies d'un liquide, bleu, rose et jaune, et brusquement tout change, Marlow n'a plus une guitare mais trois, Kolinski possède trois têtes tout aussi inquiétantes et impassibles, même vos oreilles sont obligées de croire vos yeux, ce ne sont plus des notes qui sortent de la guitare de Tony mais des coups de poignards acérés qui vous transpercent les synapses, la sorcière effectue quelques passes maléfiques, la musique grince à la manière de ces vis qui crissent sous le tournevis qui les emprisonne dans la gangue de bois des cercueils qui vont emporter votre raison, les doigts bougent et la réalité se distend et se distord, les images deviennent chaotiques, le son s'étire en miaulement de chat de gouttière en quête de femelle consentante qui fait durer la donation du plaisir ultime, vous n'y pouvez plus rien, vous êtes vous et vous êtes un autre, vous n'habitez plus vos chaussures et vous marchez en un pays inconnu, respirez tout redevient normal, un piège évidemment, montagnes russes acidulées, les altitudes qui suivront vous paraîtront plus élevées quand vous vous envolerez une deuxième fois, tout bouge, tout tourne, la diablesse s'est multipliée par trois, elle est devenue une trinité trismégiste, maintenant Kolinski à quatre têtes, la féline noire est devenue chef d'orchestre, d'un geste ample des deux bras elle pousse le combo vers les cimes de la folie, Kolinski tape plus dur, Amine possède cinq têtes et il se démène sur son up-right-bass comme s'il les avait toutes perdues, tous trois reprennent l'invocation au dieu mauve, '' Jimi Freedom '' hurlent-ils en chœur, pris d'une fureur démoniaque, une transe tourbillonnante emporte et triture les ondes sonores, votre conscience explose, mille de ses fragment explorent l'infini des espaces sidéraux, et lorsque tout s'arrête, ils ne sont pas tirés d'affaire, ils restent figés dans leur surmultiplication satanique, la mystery girl franchit le seuil de l'antre, non sans jeter un dernier regard aigu comme une flèche sur le tohu-bohu immobile qu'elle laisse derrière elle. Purpural psychadelic !

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    Damie Chad.

    Je vous livre le nom du grand sorcier manipulateur des images : Olivier Forest, fondateur du festival international de films sur la musique, pas tout à fait grand-public, des programmations alléchantes puisqu'elles privilégient '' les figures singulières, les odyssées électroniques et les cultures souterraines '' Olivier Forest est en outre programmateur de Grand Voisin, une salle de cinéma non commercial située à Paris.

     

    CHÂTEAU-THIERRY - 15 / 10 / 2021

    PUB LE BACCHUS

    MARLOW RIDER

    Marx l'a dit, de la théorie critique ( exemple : l'écoute de disques ) il est nécessaire de passer à la pratique ( exemple : concert live ) afin de garder les deux pieds ancrés dans la réalité. Nous lui faisons confiance, n'est-ce pas lui qui a déclaré, je cite de mémoire, : '' Un spectre hante l'Europe : le spectre du rock'n'roll '' . Voici pourquoi la teuf-teuf mobile bis fonce sans retenue sur la route de Château-Thierry, toute fière de sa nouvelle technologie, à peine tournez-vous la clef, qu'elle vous avertit que l'ordinateur de bord N° 1 et l'ordinateur de bord N° 2 sont en bon état de fonctionnement. C'est super vous croyez piloter un avion de chasse. Longtemps j'ai cru que le département de Marne était une zone désertique, je l'ai parcouru je ne sais combien de fois sans rencontrer la moindre voiture, même pas une âme humaine désespérée tentant l'auto-stop, mais non ce soir je ne cesse de croiser des véhicules en goguette.

    Sabine grand sourire aux lèvres ouvre la porte du Bacchus, tout de suite l'on se sent bien, l'on est presque chez soi. A part que chez moi il n'y a ni billard, ni les Marlow Rider qui s'apprêtent à donner un concert.

    MARLOW RIDER

    Ce sont eux, les mêmes que sur le clip, je le jure, Tony Marlow, sanglé dans sa veste d'officier de commando, sourire aux lèvres et tout fringuant, le charme indéniable de la tenue militaire. Amine Leroy contrebasse noire et chemise rougeoyante, Fred Kolinski statufié derrière ses fûts. Débutent par Debout, pour mettre les choses au poing, nous avertir qu'il est temps de se réveiller en notre ère de liberté étriquée, car demain il sera trop tard. Le deuxième set commencera par Shut up, fermez vos gueules en bon français, dédiés aux politiciens et aux docteurs véreux. Marlow Rider ne mâche pas ses mots. Ni sa musique.

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    Dans l'angle coincé entre un piano et le mur Fred ne bénéficie pas du meilleur emplacement, faut se tordre un peu le cou pour l'apercevoir, pourrait se plaindre, bouder, faire grève, peu lui chaut, il est devant, il est derrière, il l'est partout, à tel point que vous pourriez l'oublier, l'a transformé ses baguettes en truelles, et en maçon diligent et imperturbable il monte un mur, le fameux mur du son, une courtine, une enceinte de château fort, il ne pose pas les pierres, il les range avec une minutie précisionnelle extravagante, infatigable, n'empêche que l'air de rien, malgré sa tâche quasi-obsessionnelle il tient ses deux comparses à l'œil, ne les enferme pas dans la tour de guet qu'il érige, ne les tient pas prisonniers, depuis les remparts, il les laisse vagabonder à leur guise aux alentours de la place-forte, sont sous sa protection, ils ne risquent rien, tout leur est permis.

    J'ai dit mur, vous pensez à rigidité. Allez vous rhabiller. Si Fred use du fil à plomb pour ses édifications, Amine le transforme en élastique. Son engagement sur Sunshine of your love - n'est-ce pas un crime que de penser qu'une malheureuse contrebasse rockabillienne serait aussi à l'aise dans la monstruosité électrique de Cream – chacun des slaps d'Amine est un coup de boutoir, la muraille se gondole, elle recule et s'avance, elle bouge, elle ondule, elle twiste, elle se dérobe, elle revient, sous les doigts d'Amine la pierre s'anime, elle se mue en piliers torsadés, en cathédrale gothique, elle respire, elle palpite, elle se colorise, elle vous ensorcelle.

    Fred et Amine s'amusent comme des petits fous. Sont complices, marchent la main dans la main, jouent au chat et à la souris, Fred marque le point, Amine rajoute la virgule par dessous, la phrase n'est pas terminée, Fred en frappe trois en surplus, péremptoires et décisifs, genre c'est moi qui commande et toi qui obéis, alors Amine rajoute la suspension, échoïsation auditive, la pierre retourne à son état primitif de magma brûlant, elle n'est plus qu'un liquide qui se répand, vous enserre, se glisse, s'insinue en vous et une chaleur bienfaisante vous saisit, agite votre corps d'une fièvre chaude, vous atteignez un état second de béatitude, la beauté fougueuse du rock'n'roll vous submerge et vous emporte en un autre pays.

    Pour Tony Marlow cette pâte brûlante est un véritable tapis de pourpre, magique et volant, infesté de reptiles, une ordalie de guitariste, qu'il se doit de traverser avec aisance et imagination. Fender et solitude d'un côté, compagnons siens et complicité de l'autre. Sans eux il ne serait rien, avec eux il est torero au milieu de l'arène confronté à la ménade de taureaux sauvages qu'ils lâchent sans arrêt sur lui.

    Au four du chant et au moulin virevoltant de la guitare, Tony. La voix, il la prend à bras-le-corps, claire, nette, précise, s'en sert comme d'un couteau dans un duel à mort, chaque mot se doit d'être jeté, un coup de poignard donné de face mais que vous recevez dans le dos, un truc qui troue la peau, un appel bref qui résonne longtemps en vous dans les profondeurs de vos sensations. Qu'il chante en français ou en anglais. Ou alors en cette autre langue, cet espéranto du rock'n'roll qui s'appelle guitare. Car il n'est jamais trop guitard pour s'en servir.

    Quel festival ! Ce qui prime c'est la joie, de jouer et de la maîtrise, cette attention soutenue, les doigts qui obéissent à l'œil qui les surveille juste pour jouir de leur facilité à se mouvoir sur les cordes. Marlow est en grande forme, de temps en temps il descend de scène et gambade parmi le public, sourire aux lèvres et dextérité en bandoulière.

    Quel jeu ! Eruptif ! Pas de riffs, à la place une forêt touffue de notes, d'une précision absolue, non Tony ne joue pas de la guitare, il parle, s'exprime avec, l'a la hargne sèche, courte, brève, sans regret ni rémission, une explosion épileptique, dense et crue. L'a les mots blessants, les notes brutales qui vous cueillent au plexus et vous déstabilisent, un jeu radical, une oreille sur la batterie et l'autre sur Amine, Tony dans sa solitude exaltée de guitariste joue collectif, faut voir Tony et Amine se tirer la bourre, Amine a des coups de folie, il saute, trépigne la danse le scalp, lance les jambes en l'air en athlète de full-contact, dans ses instants la Fender gronde et s'étire, mi-tigre cruel, mi-chat langoureux, rien ne se calme mais Amine se rapproche de sa contrebasse pour la rassurer.

    Avec Fred c'est différent, tout est question de cadence et de respiration des plongeurs en apnée, celui qui descendra le plus profond : Tony, et celui qui restera le plus longtemps sous l'eau : Fred. Fred est le maître de l'horloge, l'impartit le temps et Tony objectivise cette durée, la remplit jusqu'à la gueule dune sarabande multicolore infinie, le prisonnier peuple sa cellule de rêves étincelants, de tours de passe-passe éberluants, et le gardien s'avoue vaincu un quart de seconde, cet atome de temporalité dont Tony s'empare pour pousser le bouchon de ses doigts un peu plus haut sur le manche, un peu plus bas au plus près de ses entrailles, mais Fred sans pitié abat le gong du ring, un à un, égalité partout. Balle au centre.

    Donc deux sets. Hendrixiens en diable et psyché infernal. Un Hey Joe, version française d'Hallyday, douceur mélodique des chœurs de Fred et Amine, un All along the watchtower - un brasier incandescent – un Red House monstrueux, une Vapeur mauve envoûtante, Marlow reprenant le timbre si particulier d'Hendrix, cette voix d'arbre creux qui sonnait si incisivement... Surtout pas de la copie. Le sang vicieux du vieux rock'n'roll et du rhytm'n'blues sont là, souvenons-nous que Jimi a accompagné Little Richard, et aussi cette ductilité péremptoire propre au rockabilly, cette alliance du chant irradiant et de l'instrument définitif, aussi les racines, témoin ce Crossroad hyper électrique de Robert Johnson, mais encore cette bluette – souvenons-nous qu'étymologiquement ce terme de vieux français est à l'origine du mot blues – Juste une autre chanson, ce slow sixties dans lequel la guitare de Tony résonne de toutes les tristesses et toutes les nostalgies mortifères du blues.

    Je terminerai par ce Fire apocalyptique, Tony Marlox au zénith, comment parvient-il à jouer à cette vitesse avec une si grande précision, sans s'embrouiller les doigts, c'est en ces instants que l'on prend conscience du rapport entre la tête et la main digitale, qu'un solo est autant une chose mentale que tactile, que ça se construit comme une pensée philosophique, pas à pas, en réorganisant tout l'acquis expérimental précédent pour le métamorphoser en nouveauté souveraine... Je vous laisse méditer.

    Ne croyez pas que je n'ai à dire que du bien de nos trois musicos. Sont de sacrés tricheurs. Non, ils ne jouent pas en playback, pire Tony planque un as de cœur dans son manche. Un trio de trois, subito ils sont quatre, peu de temps il est vrai, mais quand Alicia F quitte le stand de merchs pour chanter par deux fois en duo avec Tony sur Mutual appreciation et Born to be wild, et en solo I fought the law son titre fétiche, la merveille tombe sur vous, Quel naturel, quelle présence sur scène, juste poser la voix avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous disposez les assiettes sur la table avant le repas, puis elle s'éclipse sans bruit pour ne pas se faire remarquer. Sortie totalement ratée, car les applaudissements crépitent et son nom est répétée bien fort.

    Sûr qu'il y a des disques qui peuvent changer une vie. Par contre certains concerts, celui-ci en était un, sont un flirt avec l'éternité .

    Damie Chad.

     

    CALIGULA

    French group de Montpellier formé en 2020, le nom m'a attiré, j'espère ne pas les rater lors de leur passage à Troyes le 11 décembre prochain, en leur tournée actuelle avec Bonecarver, au local des Boyans Coppers MC ( 77 Avenue Leclerc 10440 La Rivière de Corps ) Un premier titre sur Bandcamp en mai 2020, une superbe vidéo en mai 2021, et ce 23 Octobre sortie de leur premier EP Riddles.

    ELEVATION OF DILUSION

    CALIGULA

    ( Vidéo / WorldWide / Mai 2021 )

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    Rien de moins original et donc de plus difficile qu'un groupe de metal en train de jouer. Vous en regardez une vidéo, vous êtes conquis. Vous en visionnez mille, vous faites la moue. Tout vous semble mou. Mais là, chapeau bas. Brice Hinker c'est sous sa direction qu'a été réalisée l'artefact. L'a gardé tous les codes, la lumière bleutée, les musiciens pris un par un en train de jouer, dispatchés de tous côtés... Mais là le résultat est prodigieux. Comment a-t-il réalisé ce miracle. L'a d'abord mis beaucoup de noir dans son bleu, davantage d'opacité et moins de froideur. Les artistes porteurs de tenues noires, ne se détachent pas tant que cela du fond de l'image. Je devrais dire du fond des images. Le clip se présente en effet sous forme d'un montage très serré. Quand votre rétine a imprimé la vue qui monopolise son attention, il est déjà trop tard, l'on est passé à autre chose. Un deuxième secret, l'a été magnifiquement servi par la structure du morceau. L'on en viendrait à croire que d'abord il monté le synopsis des articulations des images et qu'ensuite le groupe a composé le titre en suivant scrupuleusement la cadence proposée. Evidemment il n'en est rien. Un deuxième atout, la voix du chanteur, ce mec ne growle pas, il possède une meute de loups sauvages disséminées en ses cordes vocales. Chaque fois qu'il émet son grondement l'on se croirait dans un roman de James Oliver Curwood en train de traverser les solitudes glacées du grand nord. Wild, very wild.

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    A ses débuts, Caligula se définissait comme un beatdown band. Avec raison. Ce n'est pas un hasard si dès la première image apparaît la batterie. C'est vrai que la frappe est dure, mais sèche, elle ne gronde pas, c'est-à-dire qu'elle ne s'amplifie pas pour mieux se dégonfler par la suite, un uppercut sur la mâchoire qui vous casse l'os mais c'est tout. Pas besoin de cinéma, pas besoin de s'appesantir, on vous frappe ailleurs, sur une autre partie de votre corps, aussi sèchement. Des manches de guitares percent l'obscurité, sont brandies telles des épées révélées par un éclair de lune dans un duel de nuit. Vous entrevoyez des torses, des T-shirts dont vous ne parviendrez jamais à déchiffrer le nom du groupe qu'ils affichent. Taches claires de bras et de visages, deux yeux noirs d'oiseau de proie qui vous fixent, et puis la photo de groupe, ce n'est pas souriez vous êtes filmés, mais quatre corps se tordent en même temps, quatre pattes terrifiques, avec derrière le corps velu des fûts, vous pressentez plus que vous ne voyez, l'ensemble forme une gigantesque araignée qui court vers vous, le cauchemar ne dure qu'une seconde, mais l'opérateur a pitié de vous, les images suivantes s'humanisent, on entrevoit des bustes et des visages d'êtres humains, c'était pour vous réconcilier avec la vie, profitez-en car ça ne durera pas, les images se désagrègent, le laps de temps qui les sépare est encore plus bref, chant et musique deviennent plus sauvages, non ce ne sont pas des hommes, mais une horde barbare qui fond sur vous pour vous anéantir, des cris qui sonnent comme des ordres, la musique est d'autant plus violente que les images ralentissent, guitares en haches d'abordage s'arrêtent une éternité au-dessus de votre tête, illusion votre crâne est fendu, une pomme dont un couteau sépare les deux moitiés, les images s'emballent, s'inversent, des éclats d'instruments braqués en gros plans vous tronçonnent la vue, tintamarre tonitruant de guitares, ils ne tirent pas sur les cordes, elles sont des enclumes et les bras tapent dessus tels des battoirs avec lesquels on assomme les bœufs dans les abattoirs. Vous les apercevez mieux, vous n'en êtes pas plus heureux, l'ennemi s'est rapproché, de brefs silences, des tambours de guerre, la blancheur d'une guitare, le maître hurleur plante ses yeux torves de hibou fou sur vous, sur sa gauche une rayure arc-en-cielique un peu trop rouge met en valeur la cruauté de son regard, un cri inhumain dans le lointain s'élève et s'éloigne, vous n'êtes pas digne de leur vindicte, vous ne seriez qu'un trophée indigne de leur valeur guerrière, sous le tumulte de la voix des doigts passent lentement au-dessus de cordes, à quoi bon se presser, leur victoire est certain, il faut savoir faire durer le plaisir de l'agonie, maintenant ils trempent leurs museaux féroces dans vos entrailles, ils se les disputent, se battent, la joie mauvaise du carnage, pas de véritable fin, les images s'arrêtent parce qu'il n'y a plus rien à montrer, le combat cesse quand il n'y a plus de combattants.

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    Prodigieux. Brûlant, une pile de centrale atomique en suspend. Une froideur monstrueuse qui vous pétrifie.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 3 )

    STATUT & STATUES DE STAR ( 1 )

    JOHNNY HALLIDAY

     

    Fin septembre, je roulais vers l'Ariège. Encore deux ou trois cents kilomètres, et je pestais, j'arpentais une zone morte, l'auto-radio n'arrivait pas à capter la moindre station, revenait sans cesse se fixer automatiquement sur France-Inter, y avait un mec qui parlait, racontait que vous ne trouveriez pas plus écologique qu'une Harley-Davidson dont le moteur ne tournerait plus jamais. Sur le coup je me suis demandé, quelle sorte de guy pouvait avoir intérêt à acheter une Harley qui ne roulerait pas. Vaudrait mieux s'offrir une bicyclette pensais-je, pourtant je déteste les vélos et n'arrive qu'à réprimer à grand-peine l'envie d'écraser les vélocipédistes que je croise... je ne comprenais rien, c'était un artiste qui parlait, un certain Bertrand Lavier, décrivait sa statue, fort mal, ce n'est que le lendemain en regardant chez un ami sur le net que je me suis aperçu que la représentation que je m'étais faite de l'objet était fausse, j'imaginais un manche de guitare horizontal de six mètres de long sur lequel était posée une moto, le gars devenait lyrique, une figuration de la route, de la liberté, du rock 'n' roll, en fait j'étais comme le gamin qui a récolté un zéro à son interro de math, il a trouvé le résultat du calcul algébrique, enfer et damnation, au lieu de le faire précéder du signe ''plus'' il a disposé le signe ''moins''. L'image est sans appel le manche de guitare mesure bien six mètres de long mais il est planté tout droit à la verticale, et surmonté d'une Harley ( fat boy pour les connaisseurs ), non elle ne roule pas sur les frettes. Au détour d'une phrase j'apprends que c'est un hommage à Johnny Hallyday. Je suis en retard de quinze jours, la statue a été inaugurée le 09 septembre dernier, en présence de Laeticia et d'Anne Hidalgo en même temps que l'esplanade Johnny Hallyday, sise près de Bercy, non la moto ne s'est pas décrochée durant la cérémonie, elle n'est pas tombée sur la politicarde, c'eût été marrant. Jouissif. Cela aurait certainement plu à Eddy Mitchell qui déclara lors d'une interview que ce monument était une catastrophe.

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    Personne ne possède le savoir universel. Bertrand Lavier explique qu'il a dû se documenter sur Johnny Hallyday qu'il ne connaissait pas bien. Je ne lui en veux pas, pour prendre mon cas personnel j'ignorais tout de Bernard Lavier. Me suis renseigné. Dans les encyclopédies on le classe parmi les réalistes, des descendants, des répétiteurs, des copieurs de Duchamp qui s'imaginent que l'art est dans le pré de la facilité, mettent en scène, exhibent les objets de notre quotidien, dans ma nomenclature à moi j'appelle cela l'art de centre aéré. Je sais de quoi je parle. J'ai dirigé de ces structures durant des années. Les journalistes s'extasient devant l'une des dernières sculptures de Lavier, une enclume posée sur un réfrigérateur, pour rester dans la musique il a aussi peint un piano en bleu... Un ange passe, aux ailes cassées.

    Ce n'est pas que je sois réfractaire à l'art moderne, mais que l'on privilégie l'idée, le symbole, ou même ces deux notions considérées en tant qu'acte efficient capable de transformer le monde et même de le changer radicalement au dépend de la création d'une forme nouvelle me laisse songeur... Ne croyez pas non plus que je sois heureux lorsque l'art vise à la reproduction de l'identique. Qui n'est qu'un autre aspect du réalisme.

    Le totem laviérien n'est pas le premier hommage sculptural rendu à Johnny Hallyday. En voici un autre. Très différent. Il n'est pas situé à Paris, reine du monde, mais en Ardèche. Ce département dont Stéphane Mallarmé qui y résida disait qu'il résumait toute sa vie : l'Art et la Dèche.

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    Les artistes auraient-ils meilleur goût que les fans ? Suffit-il d'aimer pour mieux exprimer son amour ? Ce jour-là Pierre Regottaz âgé de soixante-seize printemps avait le cœur gros. Il rentrait de Paris où il s'était rendu pour assister aux cérémonies du 09 / 12 / 2017 initiées en l'honneur de la disparition de Johnny. Le bourg de Viviers est une terre hallydayenne, c'est-là que résidait Huguette Clerc, la mère du chanteur, Long Chris évoque cela dans son livre A la cour du roi Johnny. Comment l'idée est-elle venue à l'esprit de Pierre Regottaz, je n'en sais rien, Johnny se devait d'avoir sa statue à Viviers. Un geste de fan. Un geste de fans. Une souscription est ouverte, trois cents participations, afin de permette au sculpteur Daniel George de se mettre au travail. La statue sera réalisée en résine, elle avoisine les trois mètres, elle sera inaugurée le 24 juin 2018. Beaucoup de monde. Beaucoup de déçus. Le constat est sans appel, elle ne ressemble pas à Johnny, pas le corps, la tête, à tel point que Daniel George opine du chef - sachez apprécier ses sculptures de terre cuite, matière qui selon ses craquelures d'argile donne une patine d'outre-monde presque d'outre-tombe à ses représentations de jeunes femmes – il en recommencera une autre. Est-elle meilleure que la précédente ? L'idée de base était de reproduire un Johnny de cinquante ans. A mon humble et péremptoire avis, z'auraient dû profiler un Johnny bien plus jeune, car à rentrer dans l'immortalité autant que ce soit dans la pleine jeunesse... Le fait que la statue soit exposée devant une pizzeria n'aide pas à la contemplation extatique. Mais au moins le rapport avec Johnny s'impose beaucoup plus. Je ne pense pas que ce soit la meilleure œuvre de Daniel George, loin de là, mais elle respire une honnêteté empreinte d'une naïveté populaire bien plus authentique que l'esbroufe de la précédente. C'est mon avis et je le partage. Existe-t-il une véritable différence entre art officiel et art populaire ?

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    Daniel George sculpteur sur bois n'a pas oublié de munir Johnny de la croix qu'il portait régulièrement autour du cou, Jean-Pierre Coniasse, chanteur et sculpteur sur bois a revu la babiole en grand, armé d'une tronçonneuse, il a laissé le personnage Johnny de côté mais a gardé le bijou directement taillé dans un tronc d'arbre, doit avoisiner les deux mètres, quoique je ne sois nullement chrétien, ce Christ crucifié avec sa guitare me semble porter bien davantage que les œuvres de Daniel George et de Bertrand Lavier, un peu de l'esprit ( pas saint du tout ) iconoclaste et rebelle du rock... La chanson de Johnny Jésus Christ (est un hippie, il aime les filles aux seins nus) fut à sa sortie ostracisée sur les ondes officielles...

    La plus ancienne statue de Johnny que je connaisse remonte à plus de vingt ans avant sa mort. Alain Dua a assisté à plus de cent cinquante concerts de Johnny. Un mordu, un fan. L'a même suivi jusqu'aux USA. Une expéditions mémorable, deux mille admirateurs français traversant l'Atlantique en avion pour assister à un concert de Johnny à Las Vegas. Mythologie elvisienne oblige ! L'évènement avait troublé les amerloques. Mais pas le concert. De même pour les fans. Johnny s'était trompé de set-list. L'on attendait un tour de chant d'Hallyday, l'on eut droit à Johnny interprétant des succès américains, de Creedence Clearwater Revival à Elvis. Les américains avaient la même chose chez eux, mais en original. Quant aux fans ils n'ont pas reconnu leur Johnny trempé et dégoulinant de sueur qu'ils attendaient. Ce n'était pas Johnny-rentre-dedans mais Johnny-y-va-mollo. Le CD Live du concert vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche, un creux à l'estomac que plusieurs écoutes ne gomment pas. Johnny en aura conscience, il enverra un billet gratuit d'un de ses prochains spectacles à tous ceux qui avaient fait le déplacement.

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    C'était un coup foireux, pourtant Alain Dua rentre de Las Vegas gonflé à bloc, désireux de rendre un hommage à son idole dont il est fan depuis plus de trente ans. Premier concert en 1962. Ce sera une statue en bois. Ce n'est pas un hasard. Alain Dua est propriétaire d'une entreprise d'abattage de bois. Il fournit le bois à deux copains sculpteurs, pas n'importe quoi, du Cèdre du Liban. Pour Johnny on aurait plutôt opté pour du séquoia. Elle est achevée en 1997, et placée devant son entreprise sise à Challes-les-eaux en Savoie. Les fans viennent s'y recueillir et y déposer des fleurs. Johnny en personne et en tournée l'a vue et appréciée.

    C'est la plus belle de toutes. Ce n'est pas Johnny rocker, mais Johnny country. Peut-être même Johnny HillbiIly, tient sa guitare comme un fusil. Il ne ressemble pas à Hallyday mais à Daniel Boone. A un cowboy, avec sa main à la ceinture. L'esprit de l'Amérique, la grande, la mythique, la mythifiée, oui c'est une représentation de l'Amérique, non pas parce que l'on reconnaît facilement le chanteur, mais parce que ce morceau de bois incarne à la perfection l'imagination de Johnny lorsqu'il pensait à l'Amérique. Certes elle n'est pas parfaite, il vaut mieux la voir sur un certain angle que sur d'autres surtout dans sa rusticité toute nue, débarrassée de ses grands panneaux blancs quasi-publicitaires qui soulignent au grand feutre rouge ce que la statue évoque toute seule d'elle-même.

    Ne soyez pas en pleurs parce que cette chronique se termine, il existe d'autres statues de Johnny, vous en reparlerai en une prochaine livraison...

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 03

    RETOUR A PARIS

    C'était l'Elysée. Notre présence immédiate s'avérait indispensable. Joël nous reconduisit à notre véhicule. Nous n'avions pas à nous inquiéter, aussitôt rentré il motiverait un groupe d'étudiants dans le but d'organiser une surveillance H24, un poste de guet relevé toutes les trois heures, avec rondes régulières sur la lisière du Bois du pendu. Le fantôme de Charlie Watts n'avait qu'à bien se tenir.

    Le moteur de la Lambor lancée à fond à contre-sens sur la bande d'arrêt d'urgence fit merveille. Nous n'eûmes qu'a signaler un incident minime, une anecdote subalterne qui risque d'arracher un sourire aux lecteurs de ces lignes. Dès que nous quittâmes le périphérique, nous nous retrouvâmes bloqués sur un boulevard, à l'arrêt, dans un encombrement monstrueux. Nous n'avancions plus. Le Chef alluma un coronado :

      • Agent Chad, savez-vous comment Alexandre le Grand a forcé le passage du Granique ?

      • Bien sûr Chef, il a lancé son cheval en premier dans le fleuve et la cavalerie a suivi !

      • Bien, agent Chad, je vais donc suivre cet illustre exemple, vous jouerez le rôle de la cavalerie, tenez-vous prêt.

    Tranquillement le Chef ouvrit la portière, descendit sur la chaussée, et s'en alla frapper à la vitre d'une ambulance deux ou trois voitures plus loin.

      • Ne vous dérangez pas, dit-il de son ton le plus aimable, je viens juste vous emprunter votre gyrophare aimanté, qui ne vous sert à rien, puisque vous êtes arrêté.

    Mais le gars ne l'entendit pas ainsi, il descendit de son véhicule et s'interposa entre le Chef et son gyrophare.

      • Vous êtes totalement fou ! Je transporte un blessé grave et je ne vous permets pas de...

      • Veuillez me pardonner, répondit le Chef d'un sourire avenant, je comprends votre situation, je puis y remédier facilement, sans préavis il ouvrit la porte latérale, sortit son Beretta 92 et aligna trois bastos pile dans le crâne du blessé qui cessa de geindre.

      • Voilà, il est mort, transportez-le immédiatement à la morgue, vous gagnerez du temps, vous n'avez plus besoin d'attendre des heures aux urgences !

      • Oh ! merci - le gars admiratif lui tendait de lui-même le gyro – prenez-le, ma femme sera si contente de me voir rentrer de bonne heure pour une fois !

    Autour de nous les voitures affolées se serraient les unes contre les autres ou se faufilaient sur les contre-allées pour s'écarter du Chef qui revenait vers moi pistolet ( packin' mama ) au poing, il reprit sa place à mes côtés non sans avoir pris le temps de poser le gyrophare sur le capot, je profitai de l'espace dégagé pour, klaxon à fond, arracher la Ghini, quelques minutes plus tard nous franchissions le portail de l'Elysée. Mais après cet intermède cocasse, passons aux choses sérieuses.

    UNE ENTREVUE ERUPTIVE

    Le Président du Sénat squattait déjà le bureau du Président de la République tragiquement disparu. Il n'en avait pas l'air plus heureux, le visage blême il arpentait la pièce sans rien dire, les chiens qui s'étaient sagement assis sur son bureau le suivaient du regard, étonnés. Manifestement il avait pris un rail de cocaïne aussi long que la ligne de chemin de fer qui dessert la ligne Paris-Cherbourg. Nous avait-il seulement aperçus ? Le Chef alluma un Coronado, juste pour passer le temps.

      • Ah, enfin vous voilà !

    Ce n'était pas à nous qu'il s'adressait, mais à une espèce d'individu tout maigre, tout chétif, la figure ravagée de tics qui venait de prendre place dans un fauteuil en face de nous et qui de toute l'entrevue n'ouvrit pas la bouche. Le Président en personne nous fit l'honneur de procéder à notre interrogatoire :

      • Alors vous l'avez-vu ce Charlie Bats ? aboya-t-il

      • Bien sûr, généralement quand on charge les agents du SSR d'une mission, nous l'accomplissons !

      • Vous l'avez donc attrapé !

      • L'agent Chad ici présent l'a saisi par le bras.

      • Il est donc notre prisonnier !

      • Pas du tout !

      • Comment cela ?

      • Pour une simple raison, ce n'est pas un être humain, c'est un fantôme !

      • Ah ! Ah ! Parfait, parfait ! Si c'est un fantôme nous n'avons plus besoin de vous. Vous pouvez disposer. Un autre service plus adéquat que le vôtre s'en chargera. N'oubliez pas de prendre vos cabots sur mon bureau !

    LE SANCTUAIRE

    Nous étions un peu abasourdis, nous nous installâmes dans la Lambor, mais lorsque je demandai au Chef la direction à prendre il n'eut pas le temps de répondre, Molossito et Molossita se mirent à aboyer frénétiquement, je compris immédiatement, il suffisait de se laisser guider. Les braves bêtes avaient leur code secret, chacun de leur côté le museau collé à la ville ils aboyaient lorsqu'il fallait emprunter une nouvelle artère, deux jappements de Molossito je tournais à gauche, un seul aboiement de Molossita je virais à droite. Evidemment ils ignoraient superbement les sens interdits, ce qui mettait un peu de sel dans cette traversée de Paris qui nous mena jusque dans le dix-huitième. Brutalement ils se turent je me hâtais de stationner devant l'entrée d'un garage. A peine furent-ils sur le trottoir qu'ils s'enfuirent à fond de train, de loin nous les vîmes entrer dans une boutique.

    • C'est donc vous les maîtres de ces deux adorables toutous - les deux secrétaires de l'agence de location d'appartements, elles avaient coiffé la Sainte-Catherine depuis au moins quarante ans, étaient à genoux en train de les caresser - Molissito leur léchait la figure avec fougue, ils sont venus ce matin, nous avons eu du mal à comprendre ce qu'ils voulaient, à la fin nous les avons suivis, se sont dirigés tout droit vers la vieille ruine, c'est ainsi que nous l'appelons, en si mauvais état que nous ne la proposons plus depuis longtemps à la clientèle, nous pensons que c'est le jardin qui leur a plu, des chiens très intelligents, ils ont fait le rapport avec le logo sur le panneau délavé ''A Louer''' posé sur la grille et celui qui est peint sur notre devanture. Depuis des années personne n'en veut, le propriétaire est mort depuis une dizaine d'années, un vieux toqué, aucun héritier ne s'est manifesté, nous vous la cédons pour un euro symbolique, voici la clef, c'est juste entre le numéro 17 et 19 de la rue.

      L'adresse était étrange, mais nous trouvâmes facilement. Une grille rouillée fermait un étroit passage qui débouchait sur un jardin envahi d'une folle végétation, contre un mur était adossé une masure de planches au toit goudronné crevé mais les chiens la dédaignèrent et se faufilèrent parmi les hautes herbes folles et les arbustes touffus, ils s'arrêtèrent devant ce qui dégagé d'un amoncellement de branches d'arbres qui le dissimulait se révéla être un trou dans lequel ils sautèrent sans hésitation. Nous les imitâmes, ce n'était pas bien profond et fûmes tout étonnés de nous trouver devant une porte blindée muni d'un volant que je me dépêchai de tourner. Nous entrâmes. Le vieux n'était pas si fou que cela, un gars prévoyant, l'avait aménagé un abri anti-atomique dans son carré de choux, assez spacieux, l'on se serait cru dans un sous-marin !

      - Une cache idéale, s'extasia les Chefs, félicitations les cabotos, retournons vite à la boutique signer le contrat !

      - Nous savions que vous aimeriez, s'exclamèrent les secrétaires, la baraque est un peu vétuste certes mais si romantique, Colette donne un biscuit aux toutous !

      Ils le croquèrent sur la banquette arrière de la Ghini, le Chef venait de recevoir un SMS : Charlie Watts fait des siennes, venez vite, RDV Bois du Pendu. Joël.

      A suivre...